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Liban - Crise

Entre Aoun et Berry, une « guerre de cent ans » ?

Dans une vidéo fuitée, Gebran Bassil qualifie le chef du législatif de « voyou » et provoque l’ire des partisans d’Amal.

Les partisans d’Amal en cagoules, à l’ouvrage hier sur les axes routiers du pays. Mohammad Azakir/Reuters

La querelle opposant le président de la Chambre, Nabih Berry, au Courant patriotique libre (CPL) s’est transposée hier dans la rue, prenant ainsi un tournant dangereux. Et pour cause : les partisans du mouvement Amal ont envahi en soirée des quartiers de Beyrouth pour protester contre des propos du chef du CPL, Gebran Bassil, qualifiant le chef du législatif de « baltaji », l’équivalent en égyptien d’ « homme peu fréquentable », voire de « voyou ».

Tout a commencé dimanche, lorsque M. Bassil s’en est violemment pris au chef du législatif au cours d’une réunion partisane dans la région de Mehmarch (Batroun). Lors de cette rencontre (filmée par la chef de la section Kataëb de Mehmarch, Rémie Chédid, qui aurait ensuite diffusé la vidéo), Gebran Bassil a traité Nabih Berry de « baltaji » alors qu’il dénonçait les efforts déployés par Aïn el-Tiné pour pousser la diaspora de Côte d’Ivoire à boycotter la conférence « Lebanese Diaspora Energy » prévue cette semaine à Abidjan, sur fond de querelle avec Baabda autour du décret accordant une année d’ancienneté aux officiers de la promotion 94 de l’École militaire.

Une deuxième vidéo a également été diffusée un peu plus tard, dans laquelle M. Bassil accuse le chef du législatif de bloquer les propositions de loi présentées par le bloc du Changement et de la Réforme. « La seule solution, c’est de lui briser l’échine », lance le chef du CPL à l’adresse du leader d’Amal. 

Si Gebran Bassil a par la suite déploré la tournure prise par la querelle, soulignant que « cela ne relève pas de l’éthique du CPL », il reste que ses propos ont provoqué l’ire du mouvement Amal et de ses alliés.

Le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, conseiller politique de M. Berry, n’a pas tardé à répondre à son collègue des Affaires étrangères via le quotidien al-Akhbar proche du 8 Mars. « Toutes les lignes rouges sont tombées », a-t-il lancé.
M. Khalil a également usé de son compte Twitter pour s’en prendre à M. Bassil, adressant par la même occasion un message direct au président de la République. Aussi a-t-il traité « le gendre favori » (du président), d’ « impoli », l’accusant de tenir un discours « décadent »...


(Lire aussi : Le conflit politique dérape, la rue se réveille)


L’excuse…
De son côté, le mouvement Amal a publié un communiqué dans lequel il a mis en garde contre « la discorde qui risquerait d’anéantir tout ce qui a été accompli au niveau national ». « Cette discorde nous rappelle les maudites guerres de libération et d’élimination (déclarées par Michel Aoun dans les années 1989-1990 contre les troupes syriennes, puis contre les Forces libanaises) qui ont causé des catastrophes », ajoute le texte, incitant « les personnes concernées à agir avant qu’il ne soit trop tard ». Des positions auxquelles le ministre de la Justice, Salim Jreissati, proche collaborateur de Gebran Bassil, a réagi. Sur son compte Twitter, M. Jreissati a écrit : « Depuis le début (de la polémique autour du décret d’ancienneté), le président de la République a appelé à recourir à la justice, mais ils ont refusé et préféré le chaos et la rue. » Selon le ministre, « il n’y aura pas de discorde parce que la vigilance et la détermination du chef de l’État sont plus forts que ceux qui sèment la discorde et pêchent en eau trouble ».

Parallèlement, les alliés du président de la Chambre lui ont réitéré leur soutien indéfectible. Ils ont même été jusqu’à exhorter Gebran Bassil à s’excuser auprès du locataire de Aïn el-Tiné. Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, est entré en contact avec le chef du législatif pour dénoncer les propos de M. Bassil. Dans une déclaration, le leader druze a qualifié le discours du chef du CPL d’« inapproprié », estimant qu’« il va à l’encontre de la nature des rapports politiques internes, en dépit des divergences de points de vue ».

M. Joumblatt a appelé à « réparer l’insulte inacceptable par une prise de position claire à même de réduire les tensions dans la rue et paver la voie à une nouvelle phase qui préserverait la stabilité du pays ».

De même, les ministres Youssef Fenianos (Marada) et Nouhad Machnouk (courant du Futur) se sont entretenus avec Nabih Berry et ont appelé M. Bassil à s’excuser auprès des Libanais, dans la mesure où ses propos sont « dangereux ».

En face, le président de la République, Michel Aoun (qui recevait son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier, au moment des protestations) a préféré observer un mutisme complet, indique une source bien informée à L’OLJ, qui a précisé que le chef de l’État s’est tenu informé de tous les développements de la rue.


(Lire aussi : À Abidjan, des menaces contre Bassil en pleine ambassade)


Hariri et le Hezbollah
Outre les protestations dans la rue, cette nouvelle phase d’escalade entre Rabieh et Aïn el-Tiné est importante dans la mesure où elle intervient quelques heures après l’annonce par Nabih Berry d’une « trêve » dans les médias, obtenue sous l’effet d’efforts déployés par le Hezbollah. Et si cette escalade a poussé certains à croire que la formation de Hassan Nasrallah est au pied du mur entre ses deux alliés traditionnels, celle-ci s’est ouvertement rangée dans le camp de M. Berry. « Nous rejetons catégoriquement l’atteinte au président de la Chambre, Nabih Berry, aussi bien dans la forme que dans le fond, quels qu’en soient les auteurs », a indiqué hier le parti chiite dans un communiqué.
Le Hezbollah a estimé que « ce langage (employé par Gebran Bassil) ne contribue aucunement à l’édification d’un État, encore moins à la réforme, et mène le pays vers des dangers dont il n’a pas besoin ».

À L’Orient-Le Jour, une source proche du Hezbollah indique que le parti insiste sur la nécessité de régler le problème d’une façon sage et loin des médias. À la question de savoir si la formation entend intervenir à nouveau, la source a répondu : « Nous ne révélons pas nos actions. » De source bien informée, on apprenait hier que M. Bassil s’est entretenu avec Hussein Khalil, conseiller politique du secrétaire général du Hezb, Hassan Nasrallah. Une information que d’autres sources ont toutefois démentie.

L’escalade intervient aussi à l’heure où l’on s’attendait à une médiation du Premier ministre, Saad Hariri, pour régler la question du décret d’ancienneté. Face aux protestations, M. Hariri s’est dit triste hier de constater que « le discours politique se soit dégradé jusqu’au niveau atteint ces dernières heures ». Dans un communiqué, M. Hariri a souligné que « la dignité de MM. Aoun et Berry est celle de tous les Libanais de tous les groupes et de toutes les confessions. Toute offense à l’un d’entre eux, par des mots, des discours ou des déclarations, est une offense pour nous, pour nos institutions et confessions ». « J’appelle toutes les personnes concernées à œuvrer à surmonter cette tempête et prévenir ses répercussions, d’autant que les défis auxquels nous sommes confrontés sont bien plus dangereux que la violence verbale dont nous sommes témoins », a encore dit Saad Hariri. Il avait auparavant fait savoir qu’il interviendrait pour calmer la situation. Il s’était entretenu dans ce cadre avec le chef de l’État à Baabda, avant l’escalade du mouvement Amal en soirée.

En dépit de la maîtrise de soi observée par les partisans du CPL hier, des milieux politiques du parti affirmaient hier leur détermination à faire face au président de la Chambre. Ziad Assouad, député CPL de Jezzine (le plus important champ de bataille électorale entre les deux partis), s’indignait ainsi, via L’OLJ, du fait que « les formations politiques soient plus fortes que l’État ». « Je ne sais pas ce qui nous est demandé, mais ce n’est certainement pas une excuse », dit-il, sans cacher ses craintes quant à la possibilité d’un torpillage des législatives de mai prochain.

Pour un observateur politique contacté par L’OLJ, c’est une « guerre de 100 ans entre Michel Aoun et Nabih Berry » qui commence. « Et elle ne prendra pas fin prochainement, d’autant que le Hezbollah a préféré le chef du législatif au locataire de Baabda. »



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La querelle opposant le président de la Chambre, Nabih Berry, au Courant patriotique libre (CPL) s’est transposée hier dans la rue, prenant ainsi un tournant dangereux. Et pour cause : les partisans du mouvement Amal ont envahi en soirée des quartiers de Beyrouth pour protester contre des propos du chef du CPL, Gebran Bassil, qualifiant le chef du législatif de « baltaji »,...

commentaires (10)

Beaucoup de bruit pour rien.... Et personne n'est immortel. en Europe on se traite de tous les noms.c'est la democratie. Ici il faut garder bouche cousue.que des tabous. Même les brigands, les mafieux de la drogue, les journaux ne citent jamais leur nom complet. Que les initiales.Pourquoi?

Massabki Alice

12 h 13, le 30 janvier 2018

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Commentaires (10)

  • Beaucoup de bruit pour rien.... Et personne n'est immortel. en Europe on se traite de tous les noms.c'est la democratie. Ici il faut garder bouche cousue.que des tabous. Même les brigands, les mafieux de la drogue, les journaux ne citent jamais leur nom complet. Que les initiales.Pourquoi?

    Massabki Alice

    12 h 13, le 30 janvier 2018

  • HN veut édifier un état....

    Christine KHALIL

    10 h 18, le 30 janvier 2018

  • Mis a part le politiquement correct, Gebran Bassil a exprimé tout haut ce qu'au moins 70% des Libanais pensent de Berry. D'ailleurs les partisans d'AMAL se sont bien chargés de le prouver de par leur comportement. Ceci dit, Je ne croit pas a la guerre de cents ans entre ces deux larrons car ils sont tous deux aussi Baltaji l'un que l'autre et donc la même m.... dans un différent paquet! En fait de tels agissements peuvent conduire vers deux possibilités: 1-Le renforcement de ce que l'ont appelle la "3assabiyeh" des deux partis pour les élections a venir dans leur communauté respective. 2-Sachant qu'il risque de perdre certains sièges lors des prochaines élections, on provoque de dangereuses tensions pour les annuler. Bref un win-win situation pour les deux ... baltajis! Connaissant bien leur pratique politique de par le passé, tous les scénarios sont possibles.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 51, le 30 janvier 2018

  • POUR UN ANE ENLEVÉ DEUX VOLEURS SE BATTAIENT : L,UN VOULAIT LE GARDER, L,AUTRE LE VOULAIT VENDRE... LA FONTAINE

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 50, le 30 janvier 2018

  • bassil a depasse toutes les bornes, C entendu, cela peut arriver a tout le monde , mais qu'aucun politicien chretien n'ait pas appele n Berri a la suite de cet incident est une grosse betise -justes qqs uns ont fait une tte petite declaration qui menage visiblement bassil-et ensence aoun au passage. se serrer le coude -entre chretiens- je veux bien, donner tacitement-timidement raison a bassil passe encore, mais pas comme ca . pas quand il s'agit d'une grossierete , d'une impolitesse ne relevant d'aucune "strategie politicienne "

    Gaby SIOUFI

    09 h 50, le 30 janvier 2018

  • En fait c ‘est toujours et encore la loi du plus fort qui regit ce pays...

    Cadige William

    09 h 48, le 30 janvier 2018

  • Wlek wayna Caroline?

    Gros Gnon

    08 h 45, le 30 janvier 2018

  • "...une guerre de cent ans..." ils seraient donc immortels ? Que le ciel nous préserve d'une telle calamité ! Que ces papis fatigués rentrent donc chez eux, en n'oubliant surtout pas d'y emmener aussi les gamins irrespectueux. Il y aura alors un mince espoir de meilleur avenir pour notre pauvre Liban. Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 42, le 30 janvier 2018

  • IL Y A QUAND MEME DES DOIGTS MAL INTENTIONNES ET MANIPULATEURS DANS CETTE HISTOIRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 04, le 30 janvier 2018

  • 1- le hezbolla veut diviser pour mieux regner 2- malgre le fosse entre le cpl et amal, aucun parti n'ose se separer de l'alliance avec le hezbolla 3- la fin de la recree sera sifllee le lendemain matin de l'election parlementaire, preuve que tout ceci n'est que de la petite comedie. ils en ceuillerons les dividendes pendant 9 annees comme la derniere fois

    George Khoury

    07 h 15, le 30 janvier 2018

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