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Liban - Les échos de l’agora

La vérité à géométrie variable

Depuis la surprenante annonce, à partir de Riyad, de la démission du Premier ministre Saad Hariri le 4 novembre dernier, le Liban vit au rythme d'un concept séduisant mais qui ne renvoie à aucune réalité bien définie et rationnellement convaincante. Il s'agit de la fameuse « distanciation » par laquelle on a traduit la notion arabe d'al-naï bil-nafs. Il aurait mieux valu parler d'« autodistanciation » afin de montrer qu'il s'agit d'une attitude subjective impliquant une position de prudence de la part d'une personne, physique ou morale, par laquelle cette dernière demeure sur sa réserve et ne prend pas position vis-à-vis d'une situation spécifique.
Ainsi comprise, l'autodistanciation ressemble curieusement à la « prise de distance » pratiquée sur Facebook à l'égard d'un ami virtuel dont on aimerait s'éloigner, ou avec lequel on aimerait rompre les liens d'amitié avant de lui interdire toute forme de relation en le bloquant. Plus sérieusement, l'autodistanciation se rapproche très fort du concept politique de non-alignement temporaire; voire de ce que la philosophie appelle épochè. Inventée par le fondateur du stoïcisme
(301 av J.-C.), le Phénicien Zénon de Kittion, l'épochè consiste à suspendre son jugement dans une circonstance donnée. C'est la qualité des sages, dit Zénon.
En matière de relations internationales, l'autodistanciation renvoie donc à un acte positif, une décision politique ponctuelle de l'État concerné qui, par le biais de son pouvoir exécutif, se place sur une position de réserve face à un conflit ou une crise. Une telle attitude n'a rien à voir avec le régime de la neutralité, juridiquement reconnu en droit international, d'un État quelconque.
La neutralité elle-même peut être occasionnelle ou perpétuelle. Elle peut également être « de fait » ou « de droit ». La Suisse, par exemple, est neutre de facto depuis le XVIe siècle, mais elle l'est devenue, de jure, au traité de Vienne en 1815. La Belgique fut reconnue de jure « perpétuellement neutre » à la conférence de Londres en 1831 et décida elle-même d'abandonner le régime de neutralité pour se défendre contre l'Allemagne en 1914. Mais la neutralité peut aussi résulter d'une déclaration unilatérale, à l'exemple de l'île de Malte (1981) ou du Turkménistan (1995).
Il apparaît clairement qu'un régime de neutralité du Liban, par déclaration unilatérale, est une entreprise impossible, vu l'agonie avancée de l'État libanais ainsi que son rapt par des forces de facto puissamment armées (Hezbollah pro-iranien), sans oublier les pressions qu'il subit de la part de pays membres, comme lui, de la Ligue arabe et qui se trouvent en conflit avec l'Iran des mollahs. Par ailleurs, le Liban ne peut pratiquer l'autodistanciation vis-à-vis du problème israélo-palestinien. Face à Israël, il ne peut que respecter scrupuleusement l'accord d'armistice de 1949 et appliquer les résolutions internationales de l'ONU qui protègent ses frontières internationales et sa souveraineté, notamment la 1559 et la 1701.
Face à la crise syrienne et au conflit arabo-iranien, il ne peut que pratiquer l'autodistanciation en principe. Mais le peut-il vraiment ? La réponse est « non ». L'autodistanciation, comme acte politique positif, exige deux conditions prérequises que le Liban ne remplit pas :
• L'existence d'un État souverain capable de prendre des décisions qui engagent toutes les parties
• La cohésion minimale d'un gouvernement afin que le rapport des forces politiques puisse accoucher d'une décision souveraine que ses auteurs respecteraient scrupuleusement.
L'autodistanciation libanaise s'avère, jusqu'à présent, être un leurre, tant son sens est perverti et dévoyé par la fourberie politique qui a épuisé aujourd'hui toutes ses ressources. Elle ressemble à la doctrine du mensonge opportuniste, le fameux dorough-e-maslehat amiz iranien qui confère à la vérité une « géométrie variable », comme le dit Jean-Pierre Perrin qui écrit : « En fait, tout le monde ment, au sommet de l'État bien sûr (...), dans les relations familiales, professionnelles, sociales, dans le couple... Et à soi-même. »
Un tel jugement lapidaire s'applique parfaitement au Liban. Plus aucun responsable n'y est crédible car tout le monde pratique le dorough-e-maslehat-amiz, soit par intérêt stratégique, comme le Hezbollah, soit par opportunisme strictement personnel, et c'est le cas des hommes de pouvoir, tous sans exception, depuis le sommet de l'État jusqu'à sa base. La vérité à géométrie variable, érigée en quintessence de la politique, n'épargnera pas au peuple libanais les flammes de l'incendie qu'on voit poindre à l'horizon.

Depuis la surprenante annonce, à partir de Riyad, de la démission du Premier ministre Saad Hariri le 4 novembre dernier, le Liban vit au rythme d'un concept séduisant mais qui ne renvoie à aucune réalité bien définie et rationnellement convaincante. Il s'agit de la fameuse « distanciation » par laquelle on a traduit la notion arabe d'al-naï bil-nafs. Il aurait mieux valu parler...

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