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Économie - Financement du terrorisme

Lafarge en Syrie : un cadre en détention provisoire, deux autres poursuivis

La justice soupçonne le cimentier d'avoir fait transmettre de l'argent au groupe État islamique contre des laissez-passer pour ses employés.

Le groupe Lafarge est soupçonné d’avoir transféré de l’argent à des groupes jihadistes pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014 son usine de Jalabiya. Jacques Demarthon/AFP

L'enquête sur les activités de Lafarge en Syrie, soupçonné d'avoir indirectement financé le groupe État islamique (EI), a pris hier une nouvelle tournure : un premier cadre a été mis en examen et deux autres, toujours dans le bureau des juges, risquent de l'être à leur tour. Après 48 heures de garde à vue, Bruno Pescheux, directeur de l'usine syrienne de 2008 à 2014, Frédéric Jolibois, qui avait repris la direction du site à partir de l'été 2014, et Jean-Claude Veillard, directeur sûreté chez Lafarge, ont été conduits hier matin au tribunal de Paris. Le parquet de Paris a requis le placement en détention provisoire de M. Pescheux et le placement sous contrôle judiciaire de MM. Jolibois et Veillard, selon une source judiciaire. Les juges d'instruction ont prononcé une première mise en examen : celle de M. Jolibois pour « financement d'une entreprise terroriste », « violation du règlement européen » concernant l'embargo sur le pétrole syrien et « mise en danger de la vie d'autrui », a annoncé son avocat Jean Reinhart.

Dans ce dossier hors norme, le groupe est soupçonné d'avoir pactisé avec des groupes jihadistes, dont l'organisation dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014 son usine de Jalabiya (nord de la Syrie). La justice soupçonne Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le Suisse Holcim, d'avoir fait transmettre de l'argent au groupe EI contre l'obtention de laissez-passer pour ses employés. Il lui est aussi reproché de s'être, sous couvert de faux contrats de consultant, approvisionné en pétrole auprès de l'organisation qui avait pris le contrôle de la majorité des réserves stratégiques du pays à partir de juin 2013.

 

(Pour mémoire : Activités de Lafarge en Syrie : le siège du cimentier à Paris perquisitionné)

 

« 20 000 dollars » par mois pour l'EI 
Bruno Pescheux avait confirmé des versements litigieux. La branche syrienne du groupe (Lafarge Cement Syria, LCS) versait « de 80 000 à 100 000 dollars » par mois à un intermédiaire, Firas Tlass, ex-actionnaire minoritaire de l'usine, qui ventilait ensuite les fonds entre différentes factions armées, d'après l'ex-directeur. Ce qui représentait pour l'EI une somme « de l'ordre de 20 000 dollars », selon lui. L'enquête s'attache aussi à déterminer si Lafarge a tout fait pour assurer la sécurité de ses employés syriens, restés seuls sur place, alors que la direction de l'usine avait quitté Damas pour Le Caire à l'été 2012 et que, quelques mois plus tard, les expatriés avaient été évacués par vagues successives.

Entendu en janvier, Jean-Claude Veillard a raconté comment neuf employés alaouites (communauté musulmane hétérodoxe minoritaire en Syrie) avaient été enlevés en 2012 par les Kurdes puis « revendus à des milices locales ». Il avait expliqué que Lafarge avait dû s'acquitter d'une rançon de 200 000 euros (soit 238 000 dollars). Cet épisode n'avait pas modifié la stratégie du cimentier de se maintenir dans le pays. M. Veillard a aussi reconnu que lorsque l'EI a finalement pris le contrôle du site, en septembre 2014, les employés syriens avaient « dû fuir par leurs propres moyens ».

 

(Pour mémoire : LafargeHolcim/Syrie : les responsables "doivent être condamnés", déclare Sapin)

 

Plusieurs autres responsables du cimentier et de sa filiale syrienne ont été entendus par les douanes judiciaires, notamment Bruno Lafont, ex-PDG du groupe, et Eric Olsen, directeur général démissionnaire de Lafarge-Holcim. Ces auditions avaient conduit le Service national de douane judiciaire à rendre un rapport accablant pour la direction française qui « a validé » les remises de fonds aux groupes djihadistes « en produisant de fausses pièces comptables ». Les témoignages suggéraient aussi que la décision de rester en Syrie avait reçu l'aval des autorités françaises : M. Jolibois expliquait ainsi avoir été « régulièrement en contact avec le Quai d'Orsay et la DGSE », les services de renseignements français. Les investigations se sont accélérées ces dernières semaines. Trois ex-employés syriens ont été entendus fin septembre et une vaste perquisition a été menée les 14 et 15 novembre au siège du cimentier à Paris. Sollicité, Lafarge-Holcim n'a pas souhaité faire de commentaires.

 

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