Un portrait du président syrien Bachar el-Assad, sur une autoroute de Jouret al-Chiyah, un quartier de la ville de Homs tenu par les forces gouvernementales, en septembre 2016. Louai Beshara/AFP
Le Liban a acquis depuis longtemps la malheureuse réputation d'être une caisse de résonance pour les conflits régionaux ; en irait-il de même de la Syrie ? C'est, à beaucoup d'égards, ce qui semble se profiler au moment où s'est ouvert en Suisse, cette semaine, le énième volet des « négociations » de Genève, sous l'égide de l'ONU, pour une paix qui n'est pourtant toujours pas à l'ordre du jour.
On comprend en effet que les sempiternels motifs d'opposition qui ont prévalu depuis 2011 entre le régime syrien et certains de ses opposants n'ont pas changé à ce jour : chaque partie prétend à sa propre et exclusive légitimité, et elle garde pour souci premier de discréditer un adversaire avec lequel elle est pourtant censée définir les termes d'un modus vivendi. Dès lors, les non-discussions de Genève finissent par avoir valeur de mascarade et de perte de temps, au grand dam des premières victimes de ce long conflit : les civils.
(Lire aussi : Syrie : reprise mardi des pourparlers de Genève, mais doute sur la participation du régime)
Stériles effets d'annonce
Dans ce contexte, pourquoi les parties aux pourparlers genevois abonderaient-elles dans le sens de stériles effets d'annonce ? Les plus optimistes voient que les avancées du cycle parallèle d'Astana, organisé par Moscou, et la manière par laquelle les accords dit de « désescalade » auraient connu un début de succès dans certaines zones de Syrie, permettent de croire à Genève aussi. Côté détracteurs, les avis divergent, les opposants accusant le régime syrien de tous les maux, cependant que ce dernier manie l'accusation de terrorisme à l'adresse de maints acteurs avec lesquels il est censé négocier... ainsi que de leurs soutiens étatiques.
L'appui d'acteurs étrangers à chacune des parties en conflit n'est plus un secret depuis longtemps : côté gouvernemental, Russie, Iran, Hezbollah et Unités de mobilisations populaires irakiennes ont permis à l'armée syrienne d'entamer sa récupération en cours de larges parties du territoire ; côté opposition, l'ascendant saoudien est manifeste depuis un bon moment, quand bien même il se voit – ou s'est vu – accompagné de soutiens provenant d'une palette d'acteurs allant des États-Unis au Qatar, en passant par la France et le Royaume-Uni.
Or, soutien implique dépendance, et quand bien même les adversaires dans le conflit syrien ont peiné à identifier des points d'ancrage dans le passé, ils se voient forcer la main aujourd'hui par leurs bailleurs de fonds et/ou soutiens respectifs.
Si cela ne tenait qu'à lui, le pouvoir syrien s'épargnerait bien la participation à des négociations qui ne l'intéressent point, et il dédierait exclusivement son attention aux opérations militaires visant à la reconquête de l'ensemble du territoire ; or, l'accolade Poutine-Assad intervenue dans la ville russe de Sotchi, en novembre 2017, et dont les caméras ont témoigné, assoie notamment l'idée selon laquelle la route de Damas passe par le Kremlin. En face, outre le fait que l'intense fragmentation de l'opposition ne l'aide en rien à s'imposer, on ne peut que constater combien le positionnement du « comité des négociations », structure récemment formée à Riyad et soi-disant inclusive, reste, en partie, conditionné par les frustrations accumulées par bon nombre de ses membres au fil des années. Beaucoup d'entre eux ont – et continuent d'ailleurs à entretenir – le rêve de voir un ou des acteurs extérieurs déloger le régime syrien et les placer à la tête du pays. Un espoir pourtant d'autant plus avorté que la succession de changements intervenus au fil des années à la tête de « l'opposition » syrienne n'a aidé les opposants ni à donner une bonne image d'eux-mêmes, ni à prouver leur capacité à régir un pays aussi sensible que la Syrie.
(Pour mémoire : Les pourparlers de Genève sur la Syrie prolongés jusqu'à mi-décembre)
Sept ans de désastre
Maintes chancelleries ont eu le tort de croire que Bachar el-Assad connaîtrait le sort de ses pairs tunisien, égyptien ou même libyen de l'époque ; ironiquement, depuis 2011, Qatar, Arabie saoudite, France, Royaume-Uni ou encore États-Unis ont tous connu un changement de leadership cependant qu'Assad est resté en place. Il demeure donc l'homme fort de la situation. Et quand bien même l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, dit croire en la possible et prochaine initiation de pourparlers directs entre régime et opposition syrienne, croire pour autant que le contexte actuel pourrait pousser le régime syrien à s'autosaborder, ou ses soutiens à le sacrifier au nom de la volonté du peuple syrien, revient à prolonger le mirage, et donc les souffrances du peuple syrien. Le régime syrien continuera à vouloir négocier selon ses propres conditions, surtout aujourd'hui qu'il peut se targuer d'un avantage de taille sur le terrain.
(Lire aussi : À Genève, Damas cherche à imposer son rythme)
La Syrie est détruite, et la moitié de la population nationale syrienne se répartit aujourd'hui entre réfugiés, déplacés internes, prisonniers et morts du fait de la guerre ou suite à des tentatives visant à atteindre les terres européennes. Or c'est ce drame humanitaire qui demeure prioritaire. Et on ne peut dès lors raisonnablement penser que le placement forcé à la tête de la Syrie d'une opposition fragmentée et peu douée d'un sens de l'intérêt collectif réussirait à faire mieux qu'un pouvoir qui, aussi corrompu et autoritaire soit-il, a cependant gagné la partie. Cuba, Corée du Nord, Irak sous Saddam Hussein, Iran ou encore Soudan sont autant d'exemples de pays qui ont pu vivre en marge de normalisation diplomatique et sous embargo, sans pour autant s'effondrer ; pourquoi Bachar el-Assad penserait-il autrement?
Après sept ans de désastre, les appels internationaux au départ du président ne sont plus aussi pressants, ni aussi déterminés, qu'auparavant ; cela, combiné à la reconquête active par l'armée syrienne du pays, établit une réalité : le fait qu'il faut se résigner à composer avec Assad et partant avec ses alliés russe et iranien, qu'on le veuille ou pas. Et, aussi déplaisante que soit cette idée pour d'aucuns, elle ne doit jamais nous faire oublier que le vrai drame, c'est, à force de romantisme entretenu, d'avoir eu à sacrifier deux à trois générations syriennes pour en arriver à ce résultat.
Directeur de Stractegia Consulting et professeur à l'Université Saint-Louis de Madrid.
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commentaires (5)
pure illogisme mais bon. ils se prennent pour victorieux . ils omettent la presence d'une demi douzaines d'armees etrangeres sur le territoire syrien, la russie invitee par un SOS d'alexandre le grand lui-meme in extremis (3 armees amies presque demembrees), les centaines de milliers de morts, les millions de blesses, ceux exiles de l'interieur et refugies ailleurs, le pays tt entier detruit , ET ILS OSENT ,sans HONTE - journalitses, medias , experts & analystes a l'appui - IL OSENT CRIER VICTOIRE al'unisson, les populaces chanter leur gloire.
Gaby SIOUFI
11 h 54, le 08 décembre 2017