Le Premier ministre démissionnaire Saad Hariri et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, à Riyad. Photo Dalati et Nohra
L'annonce de la démission, extravagante dans sa forme, de Saad Hariri sur les ondes de la chaîne satellite saoudienne al-Arabiya a immédiatement cédé la place à deux récits antagonistes qui ont ensuite rythmé le débat politique au Liban.
L'un, porté par le Hezbollah et la présidence de la République, a mis en avant les circonstances absurdes qui ont accompagné cette démission. L'autre, soutenu par les faucons de ce qui fut un jour l'alliance du 14 Mars, a fait l'impasse sur les circonstances de la démission et insisté sur les motifs invoqués par Hariri pour la justifier – à savoir la mainmise du Hezbollah sur le Liban et la menace que celui-ci fait peser sur le royaume saoudien.
Le premier de ces deux récits a eu plus de succès parmi les Libanais, et notamment au sein d'une bonne partie de la communauté sunnite. Dans une certaine mesure, il a permis à la diplomatie libanaise de mener une campagne en règle contre Riyad, avec pour slogan : « Rendez-nous notre Premier ministre. » Dès son retour au Liban, mercredi, celui-ci a d'ailleurs « suspendu » sa démission pour soi-disant redonner une chance au « dialogue ».
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Échanges discrets
Le second récit est néanmoins le plus à même de rendre compte de l'état affligeant des relations libano-saoudiennes et permet de comprendre pourquoi elles risquent de s'aggraver encore. Les relations entre Riyad et Téhéran sont historiquement marquées par l'incessant effort saoudien pour contenir les « bras de l'Iran dans le monde arabe », et l'entêtement iranien à continuer d'exporter ses idéaux « révolutionnaires » et élargir ses sphères d'influence. Mais malgré les crises passées, jamais les relations entre les deux puissances n'avaient atteint un tel degré d'hostilité.
Certes, le Hezbollah s'est toujours trouvé dans le collimateur saoudien. L'attentat du 25 juin 1996 au camion piégé par des membres du Hezbollah saoudien contre les tours Khobar où logeaient des militaires américains, copie presque conforme de l'attentat à Beyrouth contre les soldats américains et français de la force multinationale en octobre 1983, offrait déjà un échantillon de ce que le Hezbollah libanais pouvait enseigner à ses cadets régionaux en matière de savoir-faire terroriste. La prise en charge politique et idéologique par le Hezbollah libanais de ses cadets et la transformation du « Hezbollahland » au Liban en métropole de « l'Internationale chiite », arabophone ou pas, ne constituaient pas un moindre grief que Riyad et ses alliés pouvaient faire au Hezbollah et à son patron iranien.
Mais, malgré la lourdeur de ce « casier judiciaire » et tous les moments de haute tension qui ont ponctué les relations entre l'Arabie saoudite et le Hezbollah, le royaume s'est toujours abstenu de couper tous les ponts avec le « parti ». Ni l'un ni l'autre n'a probablement aujourd'hui envie que l'on leur rappelle comment leurs échanges discrets avaient culminé en 2007 avec la visite, sur invitation royale, d'une délégation du Hezbollah au royaume des Saoud. Ni de se faire rappeler que la visite à Beyrouth, en juillet 2010, de feu le roi Abdallah, main dans la main avec Bachar el-Assad, tenait lieu d'absolution public de l'assassinat de Rafic Hariri. Ou encore qu'en mars 2013, l'ambassadeur saoudien à Beyrouth, Ali Awad Assiri, pouvait encore dire que « la porte et le cœur (de son pays) restent grands ouverts (au dialogue avec) le Hezbollah ».
(Lire aussi : De quoi cette fameuse « distanciation » est-elle le nom ?)
Changement de « profilage »
Que diable s'est-il donc produit pour que les Saoudiens changent si radicalement le « profilage criminel » du Hezbollah, le faisant passer de la position d'organisation cumulant le statut de milice hors la loi à la solde de l'Iran et d'acteur politique libanais – un profil qui n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, celui d'autres « partis » libanais – à celle d'une « organisation terroriste » au même titre qu'el-Qaëda ou l'État islamique ?
Du côté de l'Iran, très peu de choses ont changé depuis, dans le fond comme dans la forme. Téhéran juge toujours ouvertement ses succès dans cette partie du monde par le nombre de capitales arabes soumises à sa volonté et, conséquemment, par les exploits des organismes chargés de cette expansion. Cela s'applique tant à un corps expéditionnaire comme al-Qods, une entité hybride civile/militaire comme le Hezbollah, le mouvement des Ansarullah yéménite, ou des « gardes suisses » comme la Brigade des Fatimides.
En parallèle, beaucoup a changé, dans le fond comme dans la forme, du côté saoudien sur le plan tactique et stratégique, notamment en ce qui concerne le danger iranien pour la sécurité et la stabilité de l'Arabie saoudite et du Golfe.
Admettons tout d'abord que ce changement a coïncidé avec des développements d'importance tels le décès du roi Abdallah (janvier 2015), l'entrée en guerre officielle du royaume au Yémen (mars 2015) ou l'accord sur le nucléaire iranien (conclu dans les faits en avril 2015). Nous nous rendons alors compte de la pugnacité de la politique saoudienne envers le Hezbollah en tant qu'entremetteur pour le compte de l'Iran, et envers un État libanais qui avoue son impuissance à lui faire entendre raison et logique.
Si nous ajoutons que ce changement ne s'encombre pas des règles du jeu habituelles et fait montre d'une volonté peu soucieuse de briser les tabous, internes comme externes, on s'étonnera moins de la démission de Hariri et des circonstances qui l'ont entourée. Dans ce sens, aussi, cet épisode, qui ne finira certainement pas de faire des vagues, n'est qu'un moment fort d'un divorce déjà annoncé et dont on peut aisément égrener les points de repère, à commencer par la décision saoudienne d'annuler l'aide de trois milliards de dollars à l'armée libanaise en février 2016.
Aidé, paradoxalement, par son agenda supranational, seul le Hezbollah semble avoir compris, au Liban, l'enjeu de cette démission et sa place dans le cadre dudit divorce. Le texte de la démission de Hariri étant un réquisitoire en règle contre ses agissements locaux et à l'étranger, le Hezbollah a vite fait de déplacer l'attention sur le démissionnaire et sur les circonstances de son acte, au prétexte que ces dernières représentent un affront à l'« honneur national ». Sans doute que cette manœuvre de diversion a partiellement réussi, mais sans doute, aussi, que les Libanais ont de nouveau prouvé que myopie politique et libanocentrisme vont de pair.
Essayiste et réalisateur. Dernière œuvre: « Tadmor » (documentaire réalisé avec Monika Borgmann en 2016).
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L'annonce de la démission, extravagante dans sa forme, de Saad Hariri sur les ondes de la chaîne satellite saoudienne al-Arabiya a immédiatement cédé la place à deux récits antagonistes qui ont ensuite rythmé le débat politique au Liban.
L'un, porté par le Hezbollah et la présidence de la République, a mis en avant les circonstances absurdes qui ont accompagné cette démission....
commentaires (6)
Bon débarras et PLUS JAMAIS avoir des relations avec des attardés de cette espèce. Les LIBANAIS déjà intelligents savent qu'ils sont devenus fort et donc seront respectés grâce à ça et pas au sale fric de ces attardés mentaux.
FRIK-A-FRAK
21 h 29, le 26 novembre 2017