Le journaliste Ahmad Ayoubi, coordinateur de l'Alliance civile islamique et membre du mouvement de l'Initiative nationale, est toujours derrière les barreaux pour un article écrit dans le site al-Janoubia le 12 novembre. En garde à vue depuis jeudi, il a été entendu hier par le juge d'instruction de Beyrouth Charbel Abou Samra, qui a délivré à son encontre un mandat d'écrou, ainsi que le rapporte son avocate Zeina Masri à L'OLJ. Selon elle, « la partie plaignante a refusé toute initiative de règlement à l'amiable, malgré des tentatives en ce sens, et bien que M. Ayoubi lui-même ait assuré n'avoir eu aucune intention de porter atteinte à quiconque par ses écrits ».
Au cours d'une conférence de presse tenue en début de semaine par l'Alliance civile islamique, Me Masri avait précisé que la plainte contre M. Ayoubi avait été présentée par Nader Hariri, conseiller et cousin du Premier ministre Saad Hariri, pour « insulte et diffamation contre le président de la République Michel Aoun et atteinte à la relation du Liban avec un pays ami », en d'autres termes l'Arabie saoudite (voir L'OLJ du lundi 20 novembre).
Quoi qu'il en soit, le dossier de M. Ayoubi a été transféré au parquet par le juge d'instruction, après clôture de l'enquête, pour examen sur le fond, ajoute Me Masri. Elle précise que sa prochaine action visera à demander une libération sous caution de son client. Selon une source judiciaire, la procédure dans ce cas suppose que le juge d'instruction attende la proposition du parquet, qu'il peut prendre en compte ou pas dans sa décision finale.
La question reste de savoir pourquoi un journaliste se retrouve derrière les barreaux pour un article, au lieu que son cas ne soit déféré devant le tribunal des imprimés, comme c'est le cas généralement, où il serait seulement passible d'amende et non de peine de prison. Certes, la diffamation à l'encontre du président de la République est un cas à part, passible de peines plus lourdes que d'autres cas de diffamation, mais a-t-elle effectivement eu lieu ?
Dans son article en arabe intitulé « Qui est la personne visée par le tweet de (Thamer) al-Sabhane sur la trahison et l'incitation (contre le royaume) », publié sur le site al-Janoubia le 12 novembre, Ahmad Ayoubi avait certes mis en cause Nader Hariri, soulignant qu'il s'agit là de la personne à laquelle le ministre saoudien faisait référence, citant des milieux proches de Sabhane. M. Ayoubi parle du « rapprochement (de Nader Hariri) avec le Hezbollah pour ses propres intérêts » et termine son article par un appel « à chasser les marchands du temple » du courant du Futur. L'article ne cite cependant pas nommément le président de la République Michel Aoun. Les plaignants ont-ils considéré que la théorie évoquée dans l'article en question nuit aux relations entre le Liban et l'Arabie ? Mais même dans ce cas, pourquoi le journaliste a-t-il été déféré devant le parquet et non le tribunal des imprimés ?
(Pour mémoire : Ahmad Ayoubi interrogé aujourd'hui, la colère gronde)
Appel au mufti
Personne n'avait vraiment de réponse à cette question hier, à part cette remarque faite sous couvert d'anonymat : « Sans une intervention politique très lourde, il n'y aurait pas eu incarcération. Le journaliste paye apparemment le prix de son soutien à une grogne sunnite contre certaines personnalités de cette communauté qui se sont rapprochées d'autres factions politiques. »
Quoi qu'il en soit, le mouvement de défense d'Ahmad Ayoubi a pris de l'ampleur hier, avec l'émission à son encontre d'un mandat d'écrou. Un groupe de ses proches a été reçu par le mufti de la République Abdellatif Deriane, à qui ce groupe a demandé d'intervenir pour obtenir sa libération. Sur sa page Facebook, les appels à sa libération immédiate se multiplient.
Les Forces libanaises ont publié un communiqué de solidarité avec M. Ayoubi ainsi qu'avec le journaliste Marcel Ghanem, mis en cause récemment par le ministre de la Justice pour des propos tenus par des invités saoudiens au cours de son talk-show télévisé. Le communiqué des FL se demande, parlant d'Ayoubi, « quelles sont les lois qui permettent la détention de journalistes pour plus de cinq jours sur fond d'opinion politique, ce qui constitue un signe peu rassurant ».
Pour sa part, le directeur du Centre catholique d'information, le père Abdo Abou Kasm, a publié un communiqué sur l'ensemble des cas de poursuites contre des journalistes, dans lequel il affirme que « les poursuites contre un journaliste ayant exprimé sa libre opinion est une forme de restriction des libertés et d'oppression professionnelle qui nous est totalement inacceptable ». « Si quelqu'un se trouve moralement lésé par une prise de position quelconque, ou estime qu'il y a une atteinte à l'intérêt général, il devrait en référer au ministère de l'Information et non aux tribunaux », a ajouté le père Abou Kasm. L'OLJ n'a pas pu joindre le ministre de l'Information hier.
Quant à l'ancien député Farès Souhaid, qui suit de près cette affaire, il a indiqué à L'OLJ soutenir Ahmad Ayoubi, d'une part parce qu'il est membre fondateur du mouvement de l'Initiative nationale, mais aussi parce que les torts qui lui sont reprochés ne nécessitent en aucun cas une détention de cinq jours.
commentaires (9)
La liberté d'opinion n'existe pas au Moyen-Orient et encore moins au Liban. Rien n'y a vraiment changé depuis la fin du mandat français, au contraire , tout va moins bien, c'est magique! Vive le féodalisme et le confessionnalisme.
TrucMuche
13 h 50, le 22 novembre 2017