L'ennemi de mon ennemi est mon ami. Jamais auparavant tel adage n'aura été aussi justifié depuis le rapprochement, encore en gestation, entre l'Arabie saoudite et Israël. Même si ce dernier, selon de nombreux experts, ne serait pas prêt à faire la guerre pour les Saoudiens.
Partageant un ennemi commun, l'Iran, Riyad et Tel-Aviv, qui n'ont pas de relations diplomatiques, voient leurs intérêts géostratégiques converger depuis que la « menace iranienne » dans la région est devenue, à leurs yeux, réelle et inquiétante. Ainsi, jeudi, Israël s'est dit prêt à coopérer et à échanger des renseignements avec l'Arabie saoudite, « pour faire face à l'Iran », comme l'a déclaré le chef d'état-major israélien Gadi Eisenkot dans un rare entretien avec le site d'information Elaph, un média arabe indépendant, fondé par un homme d'affaires saoudien et basé en Grande-Bretagne.
Depuis le cataclysme provoqué par la démission de Saad Hariri depuis Riyad, le 4 novembre, précédée par des déclarations en flèche et des menaces proférées par le ministre d'État saoudien pour les Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane, contre le Hezbollah et son parrain iranien, une question taraude les esprits : comment l'Arabie saoudite envisage-t-elle de mettre ses menaces à exécution ? Les yeux sont aujourd'hui rivés sur Israël, le seul pays susceptible de « couper les ailes » du parti chiite, du fait de sa puissance militaire et de sa longue expérience avec un adversaire de la taille du Hezbollah.
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Il reste à voir si le nouveau rapprochement – aussi récent que circonstanciel – entre l'État Hébreu et le royaume wahhabite pourra effectivement se concrétiser dans une guerre par procuration que Tel-Aviv dit n'être pas disposé à mener. Israël « n'a aucune intention de lancer une offensive contre le Hezbollah au Liban », a pris soin de préciser le général Eisenkot. « Mais nous ne pouvons pas accepter les menaces stratégiques venues de là-bas », a-t-il sitôt ajouté. De son côté, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a également laissé entendre qu'il n'initierait pas une attaque contre l'État hébreu, mais qu'il réagirait violemment à toute agression contre le Liban. Quant au ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, il a indiqué, il y a deux jours, que l'Arabie saoudite consulte actuellement ses alliés afin d'identifier la manière de mettre un frein ou un terme à la domination du Hezbollah au Liban. « Nous prendrons une décision quand le moment viendra », a-t-il dit.
Autant de déclarations de part et d'autre qui laissent croire pour l'instant à une simple guerre psychologique. Le risque de dérapage n'est toutefois pas à exclure, même si nombreux sont les analystes qui n'y croient pas. Selon un stratège militaire libanais qui a requis l'anonymat, « rien n'indique à ce jour que les adversaires de l'Iran sont prêts à une offensive au Liban ». « Or, dans ce genre de situation, personne ne sait qu'est-ce qui pourrait mettre le feu aux poudres », a-t-il commenté pour L'Orient-Le Jour, dans une allusion à la guerre déclenchée en 2006 par Israël, suite à l'enlèvement de trois soldats israéliens par le Hezbollah à la frontière. À l'époque, Hassan Nasrallah avait lui-même reconnu « avoir été surpris par la réaction de Tel-Aviv », soulignant que s'il l'avait su, il aurait revu ses comptes.
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« C'en était trop »
L'axe formé par les États-Unis et l'Arabie saoudite, consolidé par ailleurs par une alliance objective avec l'État hébreu, ne cache plus ses objectifs, à commencer par la lutte contre l'expansionnisme iranien, pour en finir avec ce qu'ils considèrent être « une autre forme de terrorisme », incarnée par Téhéran.
Selon un ancien officier de l'armée, l'administration US « a décidé de prendre le risque d'une déstabilisation du Liban pour contrer l'Iran et le Hezbollah ». Pour atteindre son but, le président américain Donald Trump, qui a claironné son intention d'éradiquer le terrorisme dans ses deux représentations, sunnite et chiite (l'État islamique et le Hezbollah, qu'il a mis sur un pied d'égalité), a tablé sur une stratégie en trois volets : politique, financier et militaire. « La démission-surprise de Saad Hariri le 4 novembre était l'un des épisodes du volet politique », souligne-t-il. Quant au volet financier, ce sont les États-Unis qui s'en sont chargés en adoptant de nouvelles sanctions contre le Hezbollah, par le biais de la loi intitulée Hezbollah International Financing Prevention Amendments Act of 2017 (HIFPA 2017). Il reste à voir comment se manifestera le volet militaire.
Car par-delà la mise en scène de l'épisode de cette démission et du feuilleton énigmatique qui l'a entouré, c'est en définitive le fond et la portée du message envoyé par Saad Hariri ce jour-là, depuis la capitale saoudienne, qui sont à retenir : à savoir que le retour à la situation ante est désormais impossible, Riyad et Washington étant déterminés à en découdre avec l'Iran et son bras armé, le Hezbollah.
L'administration américaine et le nouveau régime saoudien ont fait savoir à plus d'une reprise qu'il était temps que la distanciation proclamée mais jamais appliquée au Liban devienne une réalité.
« Pour ces deux alliés, il s'agit de remettre le navire entre deux eaux, c'est-à-dire d'extirper le Liban de la crise régionale », commente le stratège militaire. Ce dernier souligne que la politique de non-ingérence officiellement proclamée au début du sexennat « a fini par mettre l'État à la remorque du Hezbollah empêtré dans son périple militaire dans la région et de tous ceux qui le soutiennent et lui confèrent une légitimité, entraînant ainsi tout le pays dans la guerre des axes ».
Pour cet expert, la visite du ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Velayati, à Beyrouth le 3 novembre et ses déclarations « avancées » signifiant que le Liban est désormais dans l'orbite iranienne ont été la goutte qui a fait déborder le vase. « Pour Trump et pour l'Arabie saoudite, c'en était trop. »
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13 h 28, le 20 novembre 2017