A-t-on déjà franchi le premier pas ? Les déclarations israéliennes en faveur d'un rapprochement avec l'Arabie saoudite se multiplient depuis le début de l'année.
Dernière en date, une interview accordée hier par le chef d'état-major israélien Gadi Eisenkot au site d'information en ligne Elaph basé en Grande-Bretagne et dont le propriétaire est un homme d'affaires saoudien, une première du genre pour un média arabe.
« Nous sommes prêts à échanger notre expérience et les informations provenant du renseignement avec les pays arabes modérés pour faire face à l'Iran », a déclaré le général Eisenkot, estimant qu' « il y a beaucoup d'intérêts communs » entre l'État hébreu et le royaume wahhabite. Dans son interview reprise également par le quotidien israélien Haaretz, Gadi Eisenkot considère que l'Iran est « la menace réelle et la plus grande dans la région ». Il déclare en outre qu'Israël et l'Arabie saoudite sont entièrement d'accord sur les intentions de l'Iran. Selon le quotidien israélien, des sources militaires ont confirmé la teneur de ces déclarations, approuvées par les dirigeants politiques israéliens. Selon ces sources, « ce n'est pas la première fois qu'Israël et les pays du Golfe renforcent leurs relations fondées sur des intérêts communs au Moyen-Orient, notamment leur crainte concernant l'Iran ».
« Téhéran veut prendre le contrôle du Moyen-Orient, en créant un croissant chiite du Liban jusqu'à l'Iran et du golfe Persique jusqu'à la mer Rouge, poursuit le général Eisenkot. Nous devons prévenir cela. » Il indique toutefois que son pays « n'a aucune intention de lancer une offensive contre le Hezbollah au Liban ». « Mais nous ne pouvons pas accepter les menaces stratégiques venues de là-bas », a-t-il ajouté.
Le site Elaph a été, par le passé, un support médiatique de choix pour les Israéliens pour communiquer avec les pays du Golfe. Haaretz rappelle ainsi qu'en janvier 2016, un ministre israélien du Likoud (le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahu), Zeev Elkin, avait déjà mentionné, dans une interview à Elaph, la possibilité de coopérer avec des pays arabes.
Les propos du général Eisenkot interviennent dans un climat de fortes tensions entre l'Arabie saoudite et l'Iran sur plusieurs sujets, dont notamment le Yémen, Bahreïn, et le Hezbollah au Liban. Ce dernier est accusé par Riyad d'appuyer les houthis à Sanaa et la rébellion chiite à Manama. La crise née avec l'annonce par Saad Hariri, le 4 novembre depuis Riyad, de sa démission a mis en lumière la détermination du royaume wahhabite à s'attaquer au Hezbollah pour réduire son influence. Lors de son annonce, le Premier ministre a en effet accusé, avec virulence, le Hezbollah et l'Iran de « mainmise » sur le Liban. Des accusations régulièrement émises par Israël qui, par ailleurs, exige le retrait des combattants du Hezb du sud-ouest de la Syrie. Certains médias et observateurs ont même avancé des scénarios de coopération militaire entre l'État hébreu et l'Arabie saoudite pour se débarrasser du parti de Dieu, devenu encombrant à bien des égards.
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Un partage d'informations déjà en cours
Pour Bilal Saab, chercheur et directeur du programme de défense et sécurité de l'Institut du Moyen-Orient (MEI) basé à Washington DC, contacté par L'Orient-Le Jour, « ce qu'Eisenkot veut vraiment dire, c'est qu'Israël devrait partager plus d'informations et de manière cohérente (avec l'Arabie saoudite), car ce n'est un secret pour personne que le partage d'informations est déjà en train de se faire ».
La série de déclarations israéliennes courtisant les monarchies du Golfe et évoquant, plus ou moins directement, une alliance entre les deux parties face à l'Iran n'est pas nouvelle. Au début de l'année, M. Netanyahu avait insisté, lors de sa rencontre avec le président américain Donald Trump, tout juste intronisé, sur la menace iranienne, engageant son flirt avec les pays arabes. « C'est dangereux pour l'Amérique, dangereux pour Israël, dangereux pour les Arabes », avait déclaré M. Netanyahu, évoquant l'Iran, lors de sa conférence de presse avec le président Trump. Dans une interview à Fox News au lendemain de sa rencontre avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche, M. Netanyahu avait affirmé qu'il était le porte-voix des pays du Moyen-Orient, menacés par « un Iran malveillant ». Et toujours lors de sa visite aux États-Unis, le Premier ministre israélien avait appelé à « une paix globale au Proche-Orient entre Israël et les pays arabes », estimant, sur la chaîne de télévision MSNBC, qu'il y avait désormais « une occasion sans précédent, car nombre de pays arabes ne considèrent plus Israël comme un ennemi, mais comme un allié face à l'Iran ».
Cette idylle supposée entre l'État hébreu et les pays du Golfe intervient après des décennies durant lesquelles Israël a fait la sourde oreille aux propositions de paix de l'Arabie saoudite, dont celle du roi Abdallah, alors prince héritier et homme fort du royaume en 2002, quand il a proposé une « initiative de paix arabe », lors du sommet arabe de Beyrouth. Ce texte, toujours de mise, prévoit la reconnaissance de l'État hébreu par les Arabes en échange du retour aux frontières de 1967. Sans oublier qu'en 1981 déjà, lors du sommet de Fès (Maroc), le roi Fahd – alors prince héritier de son pays – avait présenté un premier plan de paix arabe.
Un règlement de la question palestinienne reste au cœur d'éventuelles relations normalisées entre les pays du Golfe et Israël. Déjà, en juillet 2016, plusieurs médias ont rapporté la visite à Jérusalem du général saoudien Anwar Ashki, actuellement à la retraite. Ce dernier dirige le Middle East Center for Strategic and Legal Studies, à Djeddah. À cette époque, les commentateurs n'avaient pas exclu que la visite du général Ashki, proche de la famille royale saoudienne, ait l'approbation du roi Salmane. Interrogé par une chaîne de télévision israélienne, le général Ashki avait été formel : Riyad et Tel-Aviv « pourraient travailler ensemble dès qu'Israël annoncera qu'il accepte l'initiative arabe ».
« Une coopération ouverte et totale entre l'Arabie saoudite et Israël nécessite un accord crédible sur la Palestine. Je ne vois pas les Saoudiens normaliser actuellement leurs relations avec les Israéliens, et ce pour une raison simple : l'opinion publique saoudienne ne les épargnera pas », conclut ainsi Bilal Saab.
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Quand l'esclave échoue le maître se sent obligé d'intervenir. Mais quand le maître lui même à reçu sa branlee en 2006 ET au delà.....
15 h 23, le 17 novembre 2017