Le psychanalyste et le transfert comme symptôme (suite)

Nous poursuivons notre interrogation sur le symptôme, le savoir qu'il contient, l'Autre auquel ce savoir s'adresse et l'amour que cela peut induire chez le patient. Reprenons le même exemple, le film de John Huston sur Freud, Freud, passions secrètes.
Après sa guérison, Cécilie est en superforme.
Breuer annonce à Freud qu'il part à Venise avec sa femme et lui demande de s'occuper d'une partie de ses patients. Cécilie étant guérie depuis 5 semaines, elle n'a plus besoin de soins. Breuer est fier du travail accompli et propose à Freud de passer lui rendre visite chez elle pour le constater lui-même aussi.
L'ambiance est lourde. Cécilie est au piano, sa mère coud au moment où arrivent les deux médecins.
Elle demande à Freud de l'excuser pour l'avoir chassé la dernière fois après la séance d'hypnose, puis s'adresse à Breuer.
– Où allez-vous en vacances ?
– À Venise.
– Seul ?
– Avec ma femme, répond Breuer.
L'ambiance devient plus tendue, Breuer et Freud se regardent, la mère de la patiente est gênée.
Mal à l'aise, Breuer dit à Cécilie :
– Il me reste à vous souhaiter un meilleur rétablissement, de tout cœur...
– Vous avez un cœur ? répond-elle.
Elle se reprend, s'excuse en reconnaissant tout le dévouement de Breuer à son égard.
La tension est à son comble, mais pas pour la jeune fille qui demande avec candeur et franchise à Breuer :
– Vous ne m'embrassez pas pour me dire au revoir ?
Très mal à l'aise, Breuer s'exécute sous le regard de Freud et de la mère de la patiente.
Puis il se retire poliment, suivi par Freud.
Un plan sur le profil de la jeune fille nous la montre tordue de douleur. Elle est amoureuse, jalouse, souffre déjà du départ de Breuer et surtout de l'imaginer avec sa femme à Venise.
La scène est filmée avec maestria par un John Huston au sommet de son art. Aucun artifice, pas de fioritures, aucun usage excessif d'érotisme. La jeune fille est amoureuse, pire, elle est férocement jalouse. Le tout hors de contrôle.
La scène d'après nous montre Freud et Breuer à la gare, juste avant le départ de Breuer pour Venise. Ce dernier reçoit un message exprès et se rend en urgence chez Cécilie, avec Freud. Ils entendent des cris de douleur. Le médecin de famille de Cécilie, abasourdi, leur dit qu'elle a tous les symptômes d'une femme qui accouche, mais elle n'est pas enceinte. Freud remarque une poupée à côté d'elle.
– Qu'est-ce que vous avez Cécilie ? lui demande Breuer.
Soulagée, la jeune fille répond :
– J'attends un enfant de vous.
Breuer l'hypnotise à la va-vite, affirme qu'il n'en est rien et lui ordonne de tout oublier.
Elle le regarde horrifiée.
Breuer se lève, se précipite à l'extérieur et s'en va. Freud le suit et le conjure de rester :
– C'est votre patiente, vous ne pouvez pas l'abandonner.
– C'est fini Freud, je ne peux plus continuer, ma femme soupçonne une liaison entre nous.
La légende raconte qu'à Venise, la femme de Breuer tomba enceinte. Cette légende, réelle ou fictive, comporte une part de vérité. L'amour étant toujours réciproque, Breuer était aussi amoureux de Cécilie. Et c'est cet amour qui s'opposa à leur désir de savoir. Le désir de savoir de Freud lui permit de rester vigilant, de comprendre que l'amour de Cécilie était originellement dédié à son père, transféré sur Breuer par la suite et enfin sur lui.

N. B. : la prochaine rubrique sera pour la première semaine de décembre.

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