Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le psychanalyste, la thérapeutique et la guérison (suite)

Nous avons vu dans la rubrique de jeudi dernier les raisons techniques et pratiques qui justifient l'application de la règle d'abstinence à l'intérieur de la cure. Cette règle d'abstinence s'applique également à la réalité de la vie du patient extérieure à la cure. Il est par exemple recommandé au patient, tant qu'il est en analyse, de ne pas prendre des décisions engageant sa vie de façon irréversible. Comme par exemple divorcer, se marier, quitter son lieu de vie pour un autre, changer de métier etc. Dans une cure analytique, l'inconscient du sujet est mis en acte, il est mis au jour. Et comme dans l'inconscient il n'y a pas de principe de contradiction – on peut être en même temps à Londres et à Beyrouth, avoir 5 ans et être adulte, être homme et femme à la fois, mort et vivant... – cette mise au jour peut envahir la vie entière du sujet, mélangeant l'intérieur et l'extérieur de la cure et amener parfois le patient à prendre des décisions importantes et irréversibles, croyant les prendre en toute conscience alors qu'il les agirait inconsciemment.

 

Le temps de la montre contre le temps de l'inconscient
Tant que dure la psychanalyse, la règle d'abstinence permet de protéger le patient de cette confusion entre la réalité de la vie et l'imaginaire qui se déploie dans la cure. Mais comme on l'a vu la dernière fois, les conditions d'exercice de la psychanalyse ont beaucoup changé en 120 ans. Du temps de Freud et des premières générations d'analystes qui ont suivi, les cures ne duraient pas longtemps. Les séances étaient quotidiennes, elles duraient une heure. Le temps subjectif, le temps intérieur, le temps de la mémoire oubliée, celui de l'inconscient était facilité. Il prenait de court le temps de la montre, le temps de l'oubli, le temps de la réalité extérieure. Il était donc facile aux analystes d'exiger l'application de la règle d'abstinence, autant à l'intérieur de l'espace de la cure que dans la vie réelle du sujet. Prenons l'exemple d'un patient qui veut divorcer. Si dans les années 20 à 40, la cure durait deux ans en moyenne, il était facile à l'analyste de recommander au patient d'attendre la fin de la cure pour le faire. Mais si comme aujourd'hui l'analyse dure en moyenne 5 à 6 ans, peut-on légitimement recommander au patient de ne pas divorcer avant la fin de la cure, afin que sa décision soit le moins possible hypothéquée par des motifs inconscients non encore analysés ?

De même pour un patient qui doit changer de travail ou qui par promotion doit s'installer dans un autre pays, peut-on aujourd'hui lui recommander de ne pas le faire ? Vouloir appliquer la règle d'abstinence coûte que coûte frise le ridicule et ridiculise la psychanalyse elle-même. D'autant que les progrès techniques dans les communications permettent aujourd'hui de faire les séances par Skype, Face time, WhatsApp, Viber ou autres. Exiger que les séances aient lieu seulement dans le cabinet de l'analyste relève d'une application contra phobique des règles, c'est- à-dire d'une crainte démesurée de déroger aux règles afin que l'angoisse ne soit pas au rendez-vous. J'entends par là l'angoisse de l'analyste. Ce sujet est capital, nous y reviendrons ultérieurement.

Comme on le voit, les conditions d'exercice de l'analyse ne peuvent être ignorées au nom des règles techniques. De même, comme on l'a vu la dernière fois, la dimension thérapeutique ne doit pas être ignorée non plus. Parce que les analystes l'ont fait, ils ont contribué sans le vouloir à détourner les demandes des patients vers des méthodes psychothérapeutiques plus accueillantes, plus souples, où la dimension de la souffrance humaine actuelle est prise en compte et où l'on n'attend pas que « la guérison vienne de surcroît ». Cette phrase de Freud ne veut pas dire que la guérison est secondaire, mais que l'analyste ne doit pas la chercher de prime abord, sinon le patient risque d'y opposer une « réaction thérapeutique négative », un refus de guérir.

 

Dans la même rubrique

Le psychanalyste, le psychiatre et les médicaments psychotropes (suite)

Le psychanalyste, le psychiatre et les médicaments psychotropes

La marchandisation de la santé (suite)

La marchandisation de la santé (suite)

La marchandisation de la santé (suite)

La marchandisation de la santé (suite)

Nous avons vu dans la rubrique de jeudi dernier les raisons techniques et pratiques qui justifient l'application de la règle d'abstinence à l'intérieur de la cure. Cette règle d'abstinence s'applique également à la réalité de la vie du patient extérieure à la cure. Il est par exemple recommandé au patient, tant qu'il est en analyse, de ne pas prendre des décisions engageant sa vie de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut