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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le psychanalyste, le psychiatre et les médicaments psychotropes (suite)

Reprenons notre discussion de la dernière fois. Lorsque les symptômes d'un patient deviennent invalidants, les analystes doivent-ils intervenir dans la cure pour indiquer une consultation psychiatrique afin d'atténuer le poids des symptômes ? Avant de reprendre la question de la thérapeutique, voyons d'où vient cette idée de non-intervention de l'analyste.

Au congrès de Budapest de 1918, Freud affirme : « Quelque cruel que cela puisse sembler, nous devons veiller à ce que la souffrance du malade ne disparaisse pas prématurément de façon marquée. Au cas où, les symptômes s'étant désagrégés et ayant perdu leur valeur, cette souffrance a été atténuée, nous sommes obligés de la recréer en un autre lieu sous la forme d'une privation pénible. » Si nous oublions qu'il s'agit chez Freud de pousser plus loin le moteur de l'analyse qui est la souffrance, et ce dans un but thérapeutique ultime, nous penserions que l'auteur de cette phrase pourrait être un quelconque théoricien enseignant le marquis de Sade. En fait, en 1918, Freud poursuit ce qu'il a énoncé en 1915 comme étant la Règle de l'abstinence. Cette règle pose que « la cure doit être menée de telle façon que le patient trouve le moins possible de satisfactions substitutives à ses symptômes ». Car, poursuit Freud, il faut chez les patients « maintenir besoins et aspirations comme des forces poussant au travail et au changement et se garder de les faire taire par des succédanés ». Ainsi, l'analyste ne devait satisfaire aucune demande venant du patient, comme aller aux toilettes, prendre un papier mouchoir ou boire un verre d'eau. Genre de refus qui ne passe plus du tout auprès des patients aujourd'hui et qui discrédite la pratique analytique.

On le voit bien, la souffrance (« besoins et aspirations ») pousse au changement et constitue la force de la psychanalyse. Au-delà de la dimension technique, on y retrouve une dimension romantique telle qu'elle apparaît chez Alfred de Musset au XIXe siècle : « L'homme est un apprenti, la douleur est son maître et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. » Placée dans ce contexte qui correspond au côté romantique et absolutiste de Freud, on pourrait penser que les médicaments que pourraient prendre les patients seraient des « succédanés » qui feraient taire la souffrance et poseraient comme un frein à la poursuite de la cure.

 

La psychanalyse retrouverait son crédit si elle redevenait thérapeutique
Seulement, il ne faudrait pas oublier qu'à 20 ans du début de la pratique (1898), c'était l'âge d'or de la psychanalyse. Aux yeux des sciences humaines, il fallait démontrer que c'était une pratique scientifique. Il fallait donc qu'elle soit assise sur des règles strictes, contrairement aux premières années (1900-1910) où parmi les analystes, les « tempéraments artistes » étaient les plus nombreux et ce genre de règle n'était pas encore de mise. En plus, il fallait former les analystes et transmettre la psychanalyse. À l'époque, pour faire une analyse, les patients venaient des États-Unis, d'Europe, d'Asie, etc., s'installaient à Vienne pour plusieurs années, avaient une séance d'une heure avec Freud tous les jours (sauf le dimanche). Ils vivaient en somme dans et pour l'analyse. L'analyse était un but en soi et non plus un outil thérapeutique ou un outil de connaissance de soi. Imposer la règle d'abstinence dans ces conditions était tout à fait possible. Aujourd'hui, dans les conditions de pratique de l'analyse, dans un monde où le travail est tyrannique et les taux de chômage insupportables, il est impossible de faire une séance par jour, voire trois ou quatre par semaine. Les moyens de transport sont devenus impossibles. L'ordre social et familial est devenu intolérant et la souffrance n'est plus seulement une souffrance psychique et névrotique, mais également sociale, professionnelle, une souffrance d'intolérance, de ségrégation et de rejet. Imposer aujourd'hui une règle d'abstinence au patient serait totalement injuste et injustifié. Comme le disait mon maître André Bourguignon, cela ferait de l'analyse une « thérapie pour les riches et les bien portants ».

 

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