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Moyen Orient et Monde - Décryptage

En Birmanie, les bouddhistes sont-ils islamophobes ?

Selon le président turc, la minorité musulmane rohingya est la cible d'un « génocide » au Myanmar et le bouddhisme alimente les violences. Des experts nuancent...

Des extrémistes bouddhistes ont manifesté, le 28 avril, devant l’ambassade américaine à Rangoun. Romeo Gacad/AFP

« Actuellement, il y a clairement un terrorisme bouddhiste qui se déroule en Birmanie. » Cette phrase du président turc Recep Tayyip Erdogan, prononcée en marge de la crise des Rohingyas, sous-entend que le conflit est de nature confessionnelle. Une minorité musulmane réprimée par une majorité bouddhiste en Birmanie : les faits semblent donner raison au président Erdogan, qui dénonçait la semaine dernière un « génocide ». « Vous ne pourrez pas passer ça sous silence avec du yoga ou je ne sais quoi », ajoutait-il, faisant référence à la forte popularité du bouddhisme en Occident ainsi qu'au caractère non violent qui lui est généralement attribué. Pourtant, l'accusation de terrorisme bouddhiste n'est pas évidente. « La rhétorique d'Erdogan n'est pas constructive, elle ne fait qu'enflammer les tensions. Le terme de terrorisme n'est pas utile dans ce contexte... C'est un concept utilisé à des fins politiques, de propagande, mais qui ne caractérise pas la situation du bouddhisme extrémiste », explique Kirt Mausert, chercheur à l'Institut pour l'engagement politique et civique (iPACE), à Rangoun.

 

Le Ma Ba Tha et Wirathu
S'il n'a pas précisé de quelles entités « terroristes » il était question, M. Erdogan, dans son allocution, a probablement visé les groupes bouddhistes extrémistes qui influencent les actions de l'armée. Le plus connu est le Ma Ba Tha (Association patriotique de Myanmar), fondé en 2014 après la dissolution d'un mouvement analogue, le 969, et codirigé par le moine charismatique U Wirathu. Ce dernier est connu pour ses positions islamophobes radicales, au point d'avoir été présenté dans une couverture de la revue Time en juin 2013 comme étant « le visage de la terreur bouddhiste », ou encore de « Ben Laden bouddhiste ». Car s'il n'y a jamais directement participé, il a souvent soutenu et encouragé des actes violents contre les minorités musulmanes du pays. En 2012, plusieurs vagues de violence avaient fait plus de 200 morts et 100 000 musulmans déplacés. Un an plus tard, de nouvelles émeutes avaient fait plus de 40 morts dans l'État d'Arakan, au nord du pays. Le mouvement 969 avait également mené des campagnes contre des boutiques musulmanes à travers tout le pays avant d'être interdit par les autorités religieuses.

La position desdites instances officielles bouddhistes est mitigée : si elles n'encouragent pas les violences qui visent les Rohingyas, elles ne cherchent pas à les arrêter. « Le Ma Ha Na (organe bouddhiste national) n'a pas de position officielle, il n'est pas censé s'occuper de politique. Mais il a réprimandé le Ma Ba Tha pour s'être trop ingéré dans la politique en utilisant des symboles bouddhistes, pour avoir trop associé bouddhisme et politique », explique Kirt Mausert. Manon Quérouil, reporter freelance ayant fait un reportage sur le Ma Ba Tha, tempère : « Les autorités religieuses, d'un côté, n'ont pas le soutien populaire nécessaire pour vraiment recadrer Wirathu, et ne souhaitent pas trop se mêler de politique. De l'autre, on laisse parler Wirathu à dessein ! Personne n'essaie de le faire taire, car il fait le sale boulot à la place des modérés. Son discours sur les Rohingyas est largement partagé, c'est un consensus national ! » Dans un article du 9 juin 2017, l'Asia Times confirme que l'islamophobie birmane est due au fait qu'« une large proportion de bouddhistes ont vraiment peur pour l'avenir de leur religion. Cette peur a été faussement dirigée contre l'islam, souvent à cause de désinformation ». Le dynamitage, il y a quinze ans en Afghanistan, des bouddhas de Bamyan par les talibans, et plus généralement l'essor de la mouvance islamiste radicale, ont contribué à cette peur.

 

Sept races
Si certains moines comme Wirathu s'opposent aux musulmans en général, craignant une « islamisation » supposée de la Birmanie (alors que les musulmans représentent 4 % de la population birmane), la plupart des bouddhistes ne sont pas forcément islamophobes. Le Ma Ba Tha, par exemple, vise à préserver l'importance du bouddhisme, en effectuant surtout des œuvres caritatives, avant de se mêler du politique. « D'ailleurs, beaucoup de membres du Ma Ba Tha s'occupent exclusivement de charités et de promotion du bouddhisme. Très peu partagent véritablement les opinions islamophobes de sa frange extrême », explique Kirt Mausert. La crise des Rohingyas serait, au final, moins due à l'islamophobie des Birmans qu'à l'importance qu'ils accordent au concept de race.

Manon Quérouil confirme : « La répression n'est pas menée au nom du bouddhisme, mais de la "race" birmane. Même si certains, comme Wirathu, les mélangent. La notion de race est très importante pour comprendre le conflit. » Il existe, en Birmanie, sept races officiellement reconnues, qui regroupent la plupart des 135 ethnies et six religions qui composent la Birmanie. Les Bamars (bouddhistes, parlant la langue birmane) représentent 68 % de la population. La religion n'est qu'une composante de la race, et il existe, par exemple, plusieurs races musulmanes ou chrétiennes reconnues. Mais certaines ethnies ne sont pas reconnues au sein de ces races officielles, et se voient marginalisées. C'est le cas des Rohingyas (musulmans pour la plupart, avec une minorité de Sikhs), et qui composent 35 % de la population de l'État d'Arakan, frontalier du Bangladesh, mais moins de 2 % de la population totale birmane. Leur religion serait donc moins en cause que leur origine, leur ethnie.

 

Position intermédiaire
« Les Rohingyas sont vus comme des immigrés illégaux alors qu'ils faisaient partie des premiers habitants de l'Arakan », explique Kirt Mausert. De fait, ils sont nommés « Bengalis » (venant de l'actuel Bangladesh), car la plupart des musulmans rohingyas sont arrivés dans l'Arakan pendant la colonisation britannique, de 1886 à 1946. Ils constituaient de la main-d'œuvre peu chère pour l'Empire. Alors que le régime démocratique des années cinquante leur a accordé des droits de citoyenneté, ce statut d'immigrés a permis de leur retirer ces droits de citoyenneté en 1982, sous la dictature nationaliste de la junte militaire. Pourquoi ce statut d'immigrés illégaux persiste-t-il ? « Si les Rohingyas pouvaient voter, ils auraient un tiers du parlement de l'Arakan. C'est donc une menace pour les nationalistes arakanais, très puissants. Leur but est l'élimination totale des Rohingyas dans l'Arakan, mais ils ne s'opposent pas aux musulmans dans le reste de la Birmanie », analyse M. Mausert. Si les nationalistes et les bouddhistes extrémistes ne partagent donc pas une vision islamophobe, ils « marchent main dans la main contre les Rohingyas », souligne Manon Quérouil.

À ce ressentiment historique s'ajoutent des motifs économiques : « Alors que le bouddhisme ne dicte pas de règles sur l'héritage et condamne l'enrichissement personnel, l'islam permet aux fils d'hériter des fortunes parentales. Les inégalités qui en découlaient ont mené à du ressentiment », explique Kirt Mausert. Quant au gouvernement, il ne serait pas particulièrement islamophobe ou même probouddhiste, mais il serait pris au piège. « Le gouvernement essaie de s'en tenir à une position intermédiaire. S'il écoutait la frange extrême du Ma Ba Tha, il y aurait des pogroms contre des musulmans dans tout le pays. Mais s'il ne faisait rien contre les Rohingyas, il perdrait en popularité et risquerait surtout de se mettre l'armée, nationaliste, à dos. Il est difficile pour le gouvernement d'établir une position propre, entre celle de l'armée, de la population, du Ma Ba Tha, et de la communauté internationale ». L'Asia Times confirme et conclut : « Le gouvernement essaie, de manière hésitante et inconsistante, de changer l'environnement de haine et de méfiance islamophobe qu'avait créé la junte. Mais il doit lutter sincèrement contre le sentiment de fragilité bouddhiste s'il souhaite faciliter la réconciliation et la paix. »

 

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commentaires (3)

""De fait, ils sont nommés « Bengalis » (venant de l'actuel Bangladesh), car la plupart des musulmans rohingyas sont arrivés dans l'Arakan pendant la colonisation britannique, de 1886 à 1946. Ils constituaient de la main-d'œuvre peu chère pour l'Empire "" information veridique, INQUIETANTE SI l'on veut bien Y reflechir serieusement : nos refugies -pareil-sont arrives au Liban de la palestine et de la syrie,APRES LA CREATION DU LIBAN nos refugies constituent de la main d'oeuvre peu chere nos refugies a nous ont l'avantage sur les rohingyas: ils sont INDESIRABLES meme par leur pays d'origine

Gaby SIOUFI

12 h 10, le 13 octobre 2017

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Commentaires (3)

  • ""De fait, ils sont nommés « Bengalis » (venant de l'actuel Bangladesh), car la plupart des musulmans rohingyas sont arrivés dans l'Arakan pendant la colonisation britannique, de 1886 à 1946. Ils constituaient de la main-d'œuvre peu chère pour l'Empire "" information veridique, INQUIETANTE SI l'on veut bien Y reflechir serieusement : nos refugies -pareil-sont arrives au Liban de la palestine et de la syrie,APRES LA CREATION DU LIBAN nos refugies constituent de la main d'oeuvre peu chere nos refugies a nous ont l'avantage sur les rohingyas: ils sont INDESIRABLES meme par leur pays d'origine

    Gaby SIOUFI

    12 h 10, le 13 octobre 2017

  • OU LES ISLAMISTES MANIPULES PAR L,EXTERIEUR ANTI BOUDDHISTES... C,EST LA LA QUESTION !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 39, le 13 octobre 2017

  • Tout le monde peut parler sauf la Turquie. Qu'elle commence a reconnaître les génocides dont elle est responsable, et qu'elle occulte, et seulement après Mr. Erdogan aura le droit de faire de telles remarques. Sinon, il est clair qu'il y a un problème grave et une enquête internationale doit être faite pour arrêter ce qui se passe en Birmanie. Il n'est pas permit de s'en prendre a toute une population a cause de trois voyous et demi.

    Pierre Hadjigeorgiou

    11 h 31, le 13 octobre 2017

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