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Moyen Orient et Monde - Analyse

Deux ans d’intervention russe en Syrie : quel bilan ?

Deux ans après le début de son engagement militaire, Moscou s'impose peu à peu comme un acteur diplomatique incontournable au Moyen-Orient.

Le président syrien Bachar el-Assad et son homologue russe Vladimir Poutine à Moscou, le 21 octobre 2015. Alexei Druzhinin/RIA Novosti/Kremlin/Reuters

Vladimir Poutine n'est pas du genre à avoir le triomphe modeste. Mais il semble avoir compris qu'il est parfois préférable de ne pas crier victoire trop vite. Contrairement à Georges W. Bush qui s'était empressé, en 2003, d'annoncer que la mission américaine était accomplie en Irak, le président russe s'est pour l'instant gardé d'exprimer un satisfecit définitif sur l'intervention russe en Syrie. Deux ans après le début de l'intervention russe, Moscou a pourtant de quoi se réjouir, puisque les objectifs militaires initiaux sont en passe d'être atteints.

Deux ans après avoir lancé, le 30 septembre 2015, son intervention militaire, sous couvert de lutter contre le terrorisme, Moscou a inversé le rapport de force sur le terrain au profit de son allié Bachar el-Assad. Forts de leur implantation sur le sol syrien avec leur base navale de Tartous, les Russes ont consolidé les positions de l'armée régulière dans ce qu'il est coutume d'appeler « la Syrie utile », et ont poussé Damas à l'offensive dans l'Est syrien. Le résultat a été un affaiblissement considérable de l'opposition syrienne, notamment avec la perte d'Alep, et une reprise progressive du territoire pour les troupes loyalistes, notamment face à l'État islamique, qui est désormais acculé dans la province de Deir ez-Zor, l'un des derniers grands fiefs de l'organisation terroriste.

 

(Lire aussi : La Russie veut agrandir ses bases en Syrie)

 

Sur le plan militaire, difficile de nier que le président russe a donc réussi son pari. Sur le plan politique et diplomatique, le bilan est toutefois plus nuancé. Si Moscou s'est imposé comme le maître du jeu diplomatique, il n'est pas encore parvenu à imposer sa « paix » à toutes les parties.

Deux ans après le début de son intervention, c'est la question de la pérennité de la présence militaire russe en Syrie qui se pose aujourd'hui. « Étant donné le sang versé et le budget alloué, il est probable que Moscou continuera de déployer ses troupes en Syrie, éventuellement dans le cadre d'un cessez-le-feu avec les quelques groupes d'opposition armés », estime Rodger Shanahan, chercheur au Lowy Institute à Sydney. Autrement dit, Moscou restera investi tant qu'il n'aura pas touché les dividendes de son intervention auprès d'un régime qui ressemble davantage à un obligé qu'à un allié : en témoigne la convocation de Bachar el-Assad au Kremlin le 21 octobre 2015. « Les Russes attendent de la Syrie des opportunités économiques et une part du gâteau dans la reconstruction du pays post-conflit », ajoute Rodger Shanahan.

Moscou devra toutefois prendre en compte le coût politique et économique du maintien d'une telle intervention. « La guerre va encore durer longtemps », estime Christian Taoutel, enseignant en guerres et conflits à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. « Ce rythme épuise la Russie financièrement et les combats au sol feront pencher la balance », ajoute-t-il. Michel Goya, dans son étude Étoile rouge : enseignements opérationnels de deux ans d'engagement russe en Syrie, évoque un total de 3 millions d'euros par jour de mobilisation des forces engagées ou encore 150 millions d'euros alloués pour la simple tournée du porte-avions Amiral Kustnetsov. La Russie, touchée par un grand nombre de sanctions économiques internationales, est-elle capable sur le long terme de supporter le coût financier d'une telle intervention ? Pour l'instant, le coût paraît tout à fait acceptable compte tenu du résultat. D'autant plus que le bilan des soldats tués en 2017, qui s'élèverait à 40 selon Reuters et non à 10 comme l'indique le ministère de la Défense russe, reste faible compte tenu des circonstances.

 

(Pour mémoire : L’Iran, la Turquie et la Russie pourraient réussir un « coup diplomatique » sur la Syrie)

 

Rôle et influence au Moyen-Orient
En permettant au régime syrien de reprendre l'ascendant dans le conflit, c'est l'opportunité de s'attaquer à la menace islamiste, l'un de ses objectifs prioritaires depuis le début des années 2000 et la multiplication des attentats terroristes sur son sol, qui était évoquée par le discours officiel russe. Mais l'intervention de Moscou est surtout liée à sa volonté de redorer son blason au Moyen-Orient, explique Rodger Shanahan. « La Russie a compris que son alliance avec Damas lui procure une influence régionale et son intervention a aussi montré aux autres qu'elle est une grande puissance politique et un partenaire militaire important », estime-t-il.

Deux ans après, la Russie s'impose peu à peu comme un acteur diplomatique incontournable au Moyen-Orient. En atteste la récente visite du roi Salmane d'Arabie saoudite à Moscou et la signature de contrats d'armement avec l'industrie militaire russe qui scelle un nouveau partenariat entre deux pays dont les relations en 2015 étaient au plus bas. « Ce voyage est une manière de reconnaître le rôle très important de la Russie en termes stratégiques dans la région », précise David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur à l'Institut d'analyse stratégique (IFAS). Le changement d'attitude de la Turquie vis-à-vis de Moscou est aussi le signe d'un accroissement du poids de la Russie au Moyen-Orient. Ankara est depuis quelques mois l'un des meilleurs alliés de Vladimir Poutine dans la région, alors que les deux pays, outre leurs divergences stratégiques, avaient connu une crise diplomatique majeure après la destruction d'un avion russe par l'armée de l'air turque le 24 novembre 2015. La commande en septembre du système de défense russe S-400 par Ankara en témoigne.

Son alliance avec l'Iran, quant à elle, est de mise dans un conflit où les deux protagonistes se battent côte à côte. Mais le partage du gâteau avec l'autre parrain du régime syrien a de quoi agacer Moscou. Si la présence de pasdaran aux côtés de l'armée syrienne et l'impact qu'a eu Téhéran dans la sauvegarde du régime de Bachar el-Assad ont été décisifs, « il est possible que Moscou fasse tout de même pression sur Damas pour limiter les concessions faites à l'Iran », explique Christian Taoutel. Vladimir Poutine fera tout pour que la Syrie reste prorusse ».

Moscou ne semble pas pour autant en mesure de remplacer Washington au Moyen-Orient. Le poids et l'influence significatifs que Moscou a dans la région sont surtout « la conséquence directe de la politique désastreuse de Barack Obama au Moyen-Orient : un vacuum of power, un vide que la Russie et l'Iran occupent maintenant », estime Christian Taoutel.

 

 

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