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Culture - Le grand entretien du mois

Gabriel Yared : Je ne pense pas en mots, je ne respire qu’en musique...

La musique de plus de 100 films qui ont retenu l'attention du public, d'innombrables chansons à succès pour les plus grands artistes des variétés françaises, Gabriel Yared, à 67 ans, n'a pas fini de donner et de surprendre.

Gabriel Yared : « Je suis né comme ça. C’est un don. Pas d’artiste dans ma généalogie, je suis le “mouton noir” de la famille. » Photo Peter Cobbin

Allure cool, discussion riche avec des formules heureuses, cigarette au bec, humour à fleur de phrases, le compositeur Gabriel Yared, au sommet de son art, se confiait à L'Orient-Le Jour lors d'un passage éclair à Beyrouth il y a quelque temps de cela. L'occasion de jeter la lumière autant sur l'artiste que sur l'homme. Pour une meilleure approche et une certaine proximité de son art et de sa personnalité.

 

Quel est le déclic qui vous a jeté dans les bras de la musique ?
Je suis né comme ça. C'est un don. Pas d'artiste dans ma généalogie, je suis le « mouton noir » de la famille. Un accordéon en vitrine a été ma première et plus précieuse acquisition...

Quel est pour vous la définition d'un compositeur ?
Le compositeur est celui qui reçoit l'inspiration d'en haut, qui se vide de tout ego pour se remplir de ce qui vient. On se rend compte au fil du temps qu'on reçoit des cellules qu'on féconde par le travail sur soi et sur la matière.

Comment expliquer ce succès aussi phénoménal ?
La chance, une bonne étoile, un ange...

 

(Pour mémoire : Gabriel Yared : Il est temps de connaître la musique de Béchara el-Khoury)

 

Quelle musique emporteriez-vous sur une île déserte ?
Je prendrais plusieurs partitions : L'Art de la fugue et la Messe en si de Bach, les concertos pour piano de Mozart et les derniers quatuors de Beethoven. Voilà, j'ai triché. Lire les partitions me nourrit. Lire, c'est entendre...

Quel est le travail dont vous êtes le plus fier ? Et quels sont vos projets d'avenir les plus proches ?
Les travaux dont je suis le plus fier ? Certainement ceux à venir. Mais aussi Camille Claudel avec Adjani et Depardieu. Pour ce qui est de l'avenir, il y a, côté cinéma, un film avec Xavier Dolan intitulé Death and Life of John F. Donovan avec Jessica Chastain, Natalie Portman et Kit Harington. Et aussi un autre film de Rupert Everett sur les derniers jours d'Oscar Wilde en France. Côté musique, il y a en préparation un album de 10 chansons avec Yasmina Joumblatt, arrière-petite-fille d'Asmahan à qui elle rend un hommage à travers des chansons originales, textes écrits et chantés par elle-même. Elle a une voix magnifique et un remarquable sens de l'écriture.

Quelles sont vos sources d'inspiration ?
Sur un plan non musical, le silence qui est comme une méditation. Mais aussi la promenade, la lecture, la peinture, et puis les œuvres des grands maîtres. Debussy a écrit La Mer quand il était en Bourgogne. On peut voir des images se dérouler en soi...

Quel est votre livre de chevet ? Votre littérature préférée ?
J'ai été très longtemps attaché à la lecture. D'abord Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. Ensuite, il y eut La Vie divine de Sri Aurobindo. Mais j'ai aussi une passion pour Maupassant et Dostoïevski...

 

(Pour mémoire : Gabriel Yared retourne aux sources d'Asmahane)

 

Quel est votre défaut ? Celui que vous ne supportez pas chez les autres ?
Je suis dictateur. Envers moi-même et envers les autres. Un peu comme quand il y a trop de feu en soi et qu'on n'arrive pas à le canaliser. Je ne supporte pas la médiocrité chez les autres quand ils ont les moyens d'aller plus loin...

Quels sont les convives d'un dîner parfait ?
Je suis très peu sociable. J'aimerais être avec des gens simples, sans artifices, mais riches du dedans. J'aime manger et boire, et pas forcément avec les gens qui font le même métier que moi.

La musique peut-elle sauver le monde ?
Elle peut éclairer, illuminer le monde. Elle peut lui apporter des « bribes » d'en haut, et c'est déjà beaucoup.

Que peut un musicien face à la barbarie terroriste ?
Rien. Continuer à exercer son métier, de la manière la plus parfaite.

Ce qu'on trouve en ce moment sur votre bureau ?
Sur mon piano, il y a le Clavier bien tempéré de Bach. Sur mon bureau, il y a du papier, des crayons, une gomme et un taille-crayon.

 

(Pour mémoire : Gabriel Yared et Xavier Dolan, le nouveau tandem)

 

Si vous n'étiez pas compositeur, arrangeur, que seriez-vous ?
Je ne suis plus arrangeur, ni orchestrateur, à part pour mes œuvres. Ce que je serais ? Je suis perdu, je ne vois rien d'autre. Peut-être écrivain. Mais je ne pense pas en mots. Je ne respire qu'en musique. Le destin m'a gâté : il m'a fait naître avec ça. Et à part ça, je ne saurais rien faire.

Un lieu pour fuir le monde, pour vous ressourcer ?
Le Liban. C'est bizarre, j'ai boudé le Liban depuis mon départ en 1969 et jusqu'en 1994, année du décès de mon père. Et puis, quand je suis ici, je me rends compte que j'appartiens à cette terre et qu'elle signifie beaucoup pour moi. Et ce ne sont pas tant les sorties et les soirées à Beyrouth que les promenades en bord de mer ou en montagne...

Ce qui vous donne de l'espoir, vous désespère ?
Ce qui me donne de l'espoir, c'est approfondir chaque jour mes connaissances et sentir que j'évolue. Ce qui me désespère un peu, c'est ne pas avoir connu Bach et Mozart...

Le plus beau compliment d'un fan? Le genre de musique auquel vous êtes allergique ?
C'est quand j'éveille un « fan » à la beauté. Je suis allergique à la mauvaise musique, ce robinet d'eau tiède qu'on appelle musique répétitive ou minimaliste, qui manque souvent d'imagination, de développement et d'élévation. À part la belle musique répétitive de Steve Reich !

Quel conseil donneriez-vous à un jeune musicien en herbe ?
Si c'est un compositeur, je lui dirais qu'on est tous les enfants des grands maîtres. C'est eux qu'il faut étudier. Un autre conseil : ne pas se fier à l'oreille car c'est un mauvais juge. L'oreille en musique, c'est l'œil, donc l'écriture. Si on a trouvé un thème, en chercher deux ou plusieurs pour s'assurer que le premier est impeccable. Ne pas se contenter du premier jet.

Quel personnage historique vous impressionne ?
Quand j'étais enfant, j'admirais beaucoup Napoléon et je lisais tout ce qui se rapportait à lui. Aujourd'hui, je n'ai de véritable admiration que pour les grands créateurs.

Une définition de l'art de vivre à la française ? À la libanaise ?
L'art de vivre dans l'absolu, c'est vivre le moment présent et ne pas se soucier du passé ou de l'avenir.

Vous arrive-t-il de passer derrière les fourneaux ? Quelle est la recette que vous préparez alors à vos amis ?
Je suis un gourmet mais je ne sais malheureusement pas cuisiner. Dans ce cas, je préférerais être un bon assistant et regarder faire celui ou celle qui cuisine pour en apprendre plus.

Un vœu récemment exaucé ?
Mon concert le 9 décembre prochain à la Philharmonie de Paris avec le London Symphony Orchestra. Un concert important car j'y interpréterai des musiques de film composées entre 1980 et 2014, et surtout la musique du nouveau film de Xavier Dolan, The Death and Life of John F. Donovan, qui sortira prochainement. J'ai la chance d'avoir aussi deux très talentueuses solistes : Catherine Ringer, du groupe Rita Mitsouko, et Yael Naïm qui interpréteront les chansons des films Tatie Danielle et The Talented Mr. Ripley.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Dans ma jeunesse, mon ami et compositeur Guy Sacre. Plus tard, mon maître, le compositeur Henri Dutilleux, puis Quincy Jones, Paul McCartney et enfin mon ami et compositeur Bechara el-Khoury.

Ce qu'il y a de moderne en vous ?
Mon intérêt depuis toujours pour les nouvelles technologies dans le domaine de la musique, l'utilisation que j'en ai faite, en précurseur, au début des années 80, et que je continue de faire régulièrement, en les mélangeant avec l'orchestre symphonique.

Qu'est-ce qu'il y a dans votre iPod ?
Je n'ai pas d'iPod.

L'objet dont vous ne pourriez jamais vous séparer ?
Mon piano.

Qu'offrez-vous comme cadeaux et qu'aimez-vous recevoir ?
Je n'aime pas recevoir, j'aime offrir des cadeaux très personnalisés et, de préférence, simples et peu encombrants.

Une devise ? Le secret de votre forme physique ?
Refléter l'Être qui est en soi... J'étais obèse quand j'étais petit. Je ne me laisse pas aller : je me surveille en permanence. Marche et exercices sont une discipline de vie.

Vos engagements sont nombreux. Quelles priorités ?
Tous mes engagements sont prioritaires en ce sens que je leur accorde toute mon attention et le meilleur de mon inspiration.

Tout arrêter, vous y pensez ? Un film à voir et revoir ? Une musique à écouter, réécouter ?
Jamais. Pour moi, c'est comme arrêter de respirer... Je ne suis pas un grand cinéphile (étrange pour quelqu'un qui fait la musique de films !), mais j'aime Hitchcock, Fellini. Et ce qui me fait rire, Mel Brooks : Young Frankenstein et The Producer. Pour la musique, il y a Bach, Mozart, Beethoven et Bartok. J'aime aussi les Beatles et John Coltrane.

Vous étiez à Cannes en mai 2017...
Je suis honoré d'avoir été nommé au jury officiel du Festival de Cannes et très heureux de recevoir cette reconnaissance du milieu du cinéma et de la musique.

Vous ne seriez pas arrivé là si...
Si tous les concours de circonstances ne s'étaient pas présentés par miracle, chaque fois que j'en avais besoin. L'intérêt que portaient mes parents à mon don. La rencontre par hasard du mari de Leila Khalidy, Augusto Marzagao, qui m'a invité au Brésil. Et tout ce qui s'est opposé à ma carrière... et qui a finalement été un levier.

 

Pour mémoire

Gabriel Yared lauréat du prix Henri-Langlois 2016

Gabriel Yared : « Exprimer la musique qui vit en moi »

 

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commentaires (3)

Il a une bonne bouille .

FRIK-A-FRAK

13 h 17, le 30 septembre 2017

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Commentaires (3)

  • Il a une bonne bouille .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 17, le 30 septembre 2017

  • Magnifique ! Gabriel Yared s'y exprime avec sincérité et justesse. Pas de blabla bla; que des mots qui font sens. Un vrai bonheur que de lire ce grand artiste.

    Marionet

    09 h 02, le 30 septembre 2017

  • Question : Une définition de l'art de vivre à la française ? À la libanaise ? Réponse : L'art de vivre dans l'absolu, c'est vivre le moment présent et ne pas se soucier du passé ou de l'avenir. Il y a beaucoup de générosité dans son expression

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 27, le 30 septembre 2017

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