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Idées - Action publique

Halte au mépris de l’État libanais !

L’Institut des finances Basil Fuleihan. Photo S.R.

Peut-on croire encore en l'action publique au Liban? Voilà une question à laquelle nombre de citoyens répondent aujourd'hui par la négative, souvent avec virulence. Ce qui leur vient d'abord à l'esprit, à l'exception des moments forts de la victoire du jurd, ce sont les carences de l'action publique qui semble plus briller par son absence que par ses réalisations.

Une absence que l'écrasante majorité d'entre nous subit quotidiennement, dans nos villes aux trottoirs étroits juchés d'ordures, sur nos routes cabossées et continuellement encombrées, jusque dans nos maisons que l'on peine à approvisionner en eau et en électricité... Et si l'on sort des villes pour un peu d'air frais, c'est notre santé que l'on met en péril : nos eaux sont si polluées que certaines parties du littoral devraient probablement être interdites au public, et nous déjeunons en famille dans de charmants restaurants n'ayant pas vu l'ombre d'un contrôle sanitaire depuis des années... Que dire de nos écoles publiques, de notre système de santé ? Que dire de la signalétique routière aléatoire ? Que dire de l'action publique dans un pays dont les citoyens subissent jour après jour, de manière si flagrante, le mépris de leurs élites politiques ? Mépris auquel les citoyens répondent, c'est de bonne guerre, par le mépris de l'État. Or, c'est là que l'on se trompe de cible !

 

Tenir le cap
Il est vrai que notre pays doit faire face depuis quelques années à plusieurs crises majeures dont les effets négatifs semblent se renforcer les uns les autres. Une crise politique tout d'abord, les partis au pouvoir ne se situant nullement dans une logique d'efficacité collective, mais plutôt dans une logique de renforcement du pouvoir et de répartition du « butin ». Rappelons à cet égard que le système de gouvernance confessionnelle coûte annuellement 9 % de notre PIB, selon le Diagnostic systématique du pays établi par la Banque mondiale en 2015. Viennent ensuite la crise des réfugiés, la menace terroriste et sécuritaire, le boom de la pauvreté (avec déjà plus de 28 % de la population vivant avec moins de 8,60 dollars par jour, selon l'Administration centrale des statistiques, et ce avant la crise syrienne), la crise écologique et enfin la crise de confiance des investisseurs et des citoyens à l'égard de la fonction publique, perçue comme trop coûteuse et inefficace...

Oui, bien sûr, l'efficience des services publics pâtit de cette crise multifactorielle, et l'on estime aujourd'hui à 2,5 milliards de dollars le budget additionnel nécessaire pour rétablir les services publics à leur niveau d'avant 2011. Or, ceux qui sont appelés à gérer au quotidien ces services, ce sont les cadres de la fonction publique. Des cadres qui gouvernent à vue, sans budget voté depuis 2006 – une contrainte que nous espérons voir se dissiper avec le vote promis du budget 2017. Des cadres à qui l'on demande de faire plus avec moins, de répondre à l'urgence, tout en pensant l'avenir, la sortie de crise et la modernisation... Dans ce contexte, comment tenir le cap ?

Au cours des dernières années, l'action publique a pourtant su se maintenir, nous permettant d'éviter le naufrage, portée par quatre valeurs fondamentales : solidarité, résilience, continuité et diversité. Nous avons su rester solidaires de nos voisins et des peuples avec qui nous partageons notre histoire et notre avenir. Nos capacités de résilience ne cessent de surprendre : le Liban ploie, mais il n'a pas cédé. Malgré le manque cruel de moyens et de ressources, le système continue d'exercer ses fonctions régaliennes et de résister aux pressions. Enfin, selon certains spécialistes, la représentativité des confessions au sein de la fonction publique n'a pas été que nuisible. En jouant la carte de la diversité, cette représentativité des confessions a permis au système de ne pas exploser.

 

Idée d'avenir
Solidarité, résilience, continuité et diversité ; ces valeurs n'auraient pu être portées sans la détermination des agents publics. N'oublions pas que nombre de femmes et d'hommes œuvrant au service de l'État s'investissent bien souvent au-delà de leur devoir, y consacrant toute leur énergie, y sacrifiant les meilleures années de leur vie et, parfois, leur propre vie. De quoi tordre le cou au préjugé tenace du fonctionnaire fainéant, incompétent, corrompu ou soumis. Au fil des années de travail au sein de l'Institut des finances Basil Fuleihan et de mes rencontres avec de hauts fonctionnaires, j'ai perçu toute la difficulté de concilier l'esprit des accords politiques et le souci de l'efficacité de l'appareil de l'État, par sa « domination légale rationnelle », pour citer Max Weber.

C'est pourquoi j'affirme que l'on se trompe de cible lorsque l'on opte pour le mépris de l'État ! S'il paraît légitime de mépriser une poignée d'individus sans éthique, si l'on est en droit de condamner leur mauvais exercice du pouvoir, le mépris de l'État fait en réalité le lit de l'effondrement du système et met en péril la stabilité d'un pays.

Les citoyens libanais souhaitent une classe politique éthique et réclament des administrations plus efficaces et moins onéreuses. Des hommes et des femmes recrutés pour servir sans s'asservir. Or, une administration performante passe nécessairement par une gestion rationnelle des recrutements, des formations et des processus de carrière. Plus les procédures sont adaptées, réfléchies, incorruptibles, plus les standards des services au citoyen sont de qualité. Et le contrat social devient un contrat de confiance. Or, quand on ignore cette logique, vertueuse et cartésienne, qu'on dénigre les valeurs du mérite et de l'équité, les institutions sont poussées à l'échec. Dans ces conditions, les investissements fuient, l'économie stagne, le malaise social s'aggrave, les tensions montent, et chacun sait que le partage d'un gâteau se fait au couteau.
Veiller à ce que ce capital humain reste la clé de voûte de la bonne gouvernance : c'est en partie le rôle des écoles du service public appelées à reprendre leur juste place. Malheureusement, ces écoles sont reléguées au second rang au sud de la Méditerranée et mal connues du citoyen.

Au fil de l'histoire, les sociétés ont appris que ni paix ni progrès durable ne se font sans un État développeur et sans grands commis de l'État. Même si le chemin est semé d'embûches, que les difficultés sont énormes, nous nous devons de réclamer des administrions flexibles, entreprenantes, décloisonnées, à l'image du Libanais. Nous nous devons de mieux connaître notre État et d'y croire. Parce qu'il est notre bien commun le plus précieux. Qu'il fait partie de notre avenir. Que l'État est une idée qui a de l'avenir.

Directrice de l'Institut des finances Basil Fuleihan, chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur française.

 

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Peut-on croire encore en l'action publique au Liban? Voilà une question à laquelle nombre de citoyens répondent aujourd'hui par la négative, souvent avec virulence. Ce qui leur vient d'abord à l'esprit, à l'exception des moments forts de la victoire du jurd, ce sont les carences de l'action publique qui semble plus briller par son absence que par ses réalisations.
Une absence que...

commentaires (3)

Moi qui vit en Italie ça me rattriste de lire ça , c'est la mafia

Eleni Caridopoulou

18 h 33, le 15 octobre 2017

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Commentaires (3)

  • Moi qui vit en Italie ça me rattriste de lire ça , c'est la mafia

    Eleni Caridopoulou

    18 h 33, le 15 octobre 2017

  • DANS LE CHAOS NE SE MEUVENT QUE LES TRES RIDICULES PARTICULES CHAOTIQUES ! NOUS N,AVONS QUE DE TELLES POUR NOUS DIRIGER DANS LE CHAOS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 26, le 30 septembre 2017

  • Très bon article, y-a-t-il des personnes qui vont s'en aspirer ? J'espère.

    Sarkis Serge Tateossian

    12 h 40, le 30 septembre 2017

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