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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Référendum kurde et peurs turques

Hier encore, le PM kurde Nechirvan Barzani a répété qu'Erbil n'est et ne sera « jamais » une « menace » pour Ankara.

Le président du Kurdistan irakien Massoud Barzani, après avoir voté hier à Erbil. Azad Lashkari/Reuters

Recep Tayyip Erdogan n'a pas mâché ses mots hier. « Nous prenons toutes les mesures nécessaires aux niveaux politique, économique et sécuritaire. Il n'y aura pas de compromis », a affirmé le président turc lors d'un colloque à Istanbul. « Nous pouvons venir un soir, tout à coup, a-t-il ajouté. Nous l'avons fait avec l'opération Bouclier de l'Euphrate. (...) Toutes les options sont sur la table. » La menace n'est même pas voilée. Comme tous les détracteurs du référendum – et ils sont légion –, Ankara a haussé le ton hier pour dénoncer la consultation organisée hier au Kurdistan-Nord ainsi que dans certaines zones disputées avec Bagdad, comme Kirkouk, techniquement sous contrôle du gouvernement central irakien. Historiquement, la Turquie revendique cette province, rattachée à l'Irak après la Seconde Guerre mondiale. Les Kurdes y sont minoritaires face aux Turkmènes. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a d'ailleurs affirmé hier que si la minorité turkmène venait à être visée en Irak, une opération militaire turque serait immédiate pour la défendre.

La Turquie refuse la création d'un État kurde indépendant pour des raisons évidentes. Elle combat le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu'elle qualifie de « terroriste », sur son sol depuis plus de trente ans, et un référendum comme celui d'hier pourrait renforcer les velléités indépendantistes des communautés kurdes en Turquie même – plus de 15 millions – et de la région, comme en Syrie et en Iran. Le gouvernement de Massoud Barzani « doit faire un pas en arrière. (...) Nous n'autoriserons pas non plus la formation d'un État terroriste en Syrie », a d'ailleurs affirmé hier encore M. Erdogan. Et à ses yeux, un État autonome kurde pourrait offrir son soutien aux groupes kurdes appelant à un État kurde en bonne et due forme.

 

(Lire aussi : Kurdistan irakien : le référendum, étape décisive du vieux rêve d’indépendance)

 

Intervention russe
Ankara entretient pourtant de bonnes relations avec Erbil. Depuis la rencontre Erdogan-Barzani en 2013, notamment, les deux gouvernements se sont soutenus mutuellement lors des différentes crises qui les ont ébranlés. Les autorités kurdes commencent à être considérées comme des partenaires dans la lutte contre le PKK. Sur les plans économique et énergétique aussi, la collaboration est étroite. Le président turc n'a d'ailleurs pas hésité hier à jouer cette carte pour menacer les Kurdes. « Voyons par quels canaux et où le (Kurdistan irakien) vendra son pétrole. Les vannes sont chez nous. Une fois que nous fermons les vannes, ce travail est terminé », a-t-il lancé. Le genre de mesure à asphyxier l'économie du Kurdistan : sur les 600 000 barils par jour (bpj), plus de 550 000 sont acheminés vers la Turquie quotidiennement. Une manne économique conséquente, donc, pour Erbil mais aussi pour Ankara, qui n'a finalement peut-être pas intérêt à interrompre ces activités.

D'autant que la société russe Rosneft vient de signer un contrat d'une durée de vingt ans avec Erbil. D'après l'accord, qui injecterait plusieurs milliards de dollars dans les caisses du gouvernement régional du Kurdistan (GRK), Rosneft devrait acheminer d'abord 700 000 bpj, puis graduellement atteindre le million, à travers la Turquie, pour finir en Allemagne, où le pétrole sera raffiné. De quoi faire réfléchir la Turquie quand elle menace de fermer ces canaux. « Après l'intervention russe dans le secteur pétrolier, il faut peut-être voir une volonté d'Ankara de mettre une certaine pression » sur Erbil, estime Julien Théron, politologue et enseignant en relations internationales à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. En diversifiant ses collaborations énergétiques, Erbil ne met pas tous ses œufs dans un même panier et devient de facto moins dépendant d'Ankara.

Le gouvernement kurde a beau répéter que le processus d'indépendance est long, qu'une déclaration d'indépendance n'est pas pour bientôt, et vouloir simplement discuter sérieusement avec Bagdad, rien n'y fait. Hier encore, le Premier ministre kurde Nechirvan Barzani a répété qu'Erbil n'est et ne sera « jamais » une « menace » pour Ankara, qui ne pourra trouver « meilleur ami » dans la région. « Cela fait deux mois que je tente de me rendre en Turquie pour expliquer que ce plébiscite ne constitue pas une menace pour la Turquie », sans résultat. « Il leur faut comprendre que ce référendum est uniquement destiné aux Kurdes d'Irak, et non aux autres Kurdes de la région. »

En attendant, les relations bilatérales se poursuivent... par téléphone. Ankara pourrait toutefois mettre un peu d'eau dans son vin, estiment certains observateurs, après des premières réactions virulentes. « On peut imaginer une Turquie opposée à une indépendance du Kurdistan, mais évidemment le GRK serait a priori le plus acceptable des indépendantistes pour Ankara du fait de leurs liens », avance Julien Théron.

 

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Repère

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