C'est une visite tout en symboles que le chef du gouvernement, Saad Hariri, a effectuée hier auprès de son prédécesseur, Tammam Salam, à qui le camp du 8 Mars, notamment le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL), attribue, ainsi qu'à l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, la responsabilité de la mort des soldats qui étaient pris en otage par le groupe terroriste État islamique.
La boîte de Pandore qui s'est ouverte avec la découverte des corps des soldats otages et la nouvelle de leur liquidation, en 2015, a eu pour effet d'attiser les clivages politico-confessionnels qui, prochaines législatives obligent, se sont traduits par de violents échanges d'accusations aux relents consternant de règlements de comptes.
À Mousseitbé, Saad Hariri et Tammam Salam ont donné hier l'image de deux chefs sunnites soudés contre une campagne qui transcende la personne du chef du gouvernement, pour atteindre toute la communauté sunnite, comme l'a laissé entendre le Premier ministre lorsqu'il a mis en garde contre une discorde confessionnelle, après avoir lancé : « Que personne ne fasse de la surenchère avec nous au sujet de notre islam ou de ce que nous représentons », se faisant ainsi l'écho de l'exaspération que d'autres personnalités sunnites, comme le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, et l'ancien chef de gouvernement, Nagib Mikati, et l'ancien ministre, Achraf Rifi, ont exprimée durant le week-end.
Dans sa déclaration de presse au terme de l'entretien, Saad Hariri a donné le ton, en affirmant qu'il est venu discuter avec M. Salam d'un dossier « grandement politisé et traité d'une manière visant à provoquer une scission dans le pays ».
« Nous savons tous que les soldats ont été enlevés alors que le conflit politique faisait rage dans le pays, a déclaré M. Hariri. (...) Tammam Salam a dû prendre les décisions adéquates pour protéger le Liban. Nous voulons tous connaître la vérité, mais la vérité ne doit pas être politisée », a-t-il averti en rappelant les circonstances de l'époque et comment l'État avait géré les incidents de Abra et le phénomène Ahmad el-Assir, ainsi que le terrorisme qui frappait le pays. « Que personne ne fasse donc de la surenchère avec nous au sujet de notre islam et de ce que nous représentons », a-t-il martelé.
M. Hariri a en outre rappelé les attaques, en 2014, contre l'armée « qui a réagi de manière à empêcher une implosion dans le pays ». « Le commandement politique à l'époque avait pris les bonnes décisions, en dépit des divergences, pour protéger le Liban et éviter une discorde sunnito-chiite, a-t-il dit. Nous ne permettrons à personne de semer la discorde entre les sunnites et les chiites au Liban. Nous avons vu ce qui s'est passé en Syrie et en Irak », a soutenu le Premier ministre, en mettant l'accent sur l'importance qui était accordée à l'époque au maintien de la stabilité. Et d'ajouter : « Nous avons des divergences insurmontables avec le Hezbollah mais nous sommes d'accord avec eux sur le maintien de la stabilité et de la sécurité au Liban. Je demande à tous d'arrêter les surenchères. Si nous voulons définir des responsabilités, je dirai que nous sommes tous responsables, tous les leaders politiques, en raison de leurs conflits. »
À la question de savoir si l'enquête va s'étendre à ces derniers, le chef du gouvernement a répondu par l'affirmative, « si besoin est », faisant également part de la responsabilité des médias qui mettent de l'huile sur le feu, selon lui.
M. Hariri n'a pas répondu à la question de savoir s'il comptait rendre publics les procès-verbaux des Conseils des ministres qui ont suivi le rapt des soldats en août 2014, se contentant de souligner que ce qui lui « importe, c'est l'enquête réclamée par le président Michel Aoun pour déterminer comment et pourquoi les soldats ont été tués. Nous échangeons des accusations, en oubliant que les soldats ont été tués par l'EI ». Il a dénoncé la polémique qui a aussi éclaté autour de l'enquête, la situant dans le cadre de « surenchères visant seulement à marquer des points ».
En réponse à une autre question, M. Hariri a assuré que les habitants de Ersal « n'ont rien à craindre » et qu'« il se tient à leurs côtés ». « L'armée libanaise est là aussi », a-t-il dit. Dans ce contexte, il convient de rappeler que les services de renseignements de l'armée avaient arrêté samedi l'ancien président du conseil municipal de Ersal, Ali Hojeyri, soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement des soldats.
Prenant à son tour la parole, Tammam Salam a approuvé les propos de son successeur, saluant les positions « claires » qu'il adoptait à l'époque des faits, « contrairement à d'autres qui croyaient que la surenchère confessionnelle pouvait développer leur popularité ». Il a fustigé « une course visant à marquer des points » précisant qu'il n'est pas question pour lui ou pour Saad Hariri d'agir de la sorte « dans un souci de popularité ».
(Lire aussi : Geagea : La majorité des Libanais sont contre le Hezbollah car il hypothèque la décision nationale)
« Une proie facile »
Samedi, le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk avait lui aussi fustigé les détracteurs de Saad Hariri « qui est le porte-parole officiel du gouvernement et qui n'a de leçons à prendre de personne », estimant que la campagne menée contre lui et contre Tammam Salam « transcende la personne des deux pour viser leur poste et ce qu'ils représentent ». « Personne ne peut nous considérer comme une proie facile. Nous sommes fiers d'avoir pu préserver Ersal. Jean Kahwagi n'a fait que ce que sa conscience lui avait dicté », a-t-il dit, lors d'un dîner en son honneur à Chbeniyé.
M. Machnouk a en outre réagi aux accusations portées contre lui par les familles des ex-otages, affirmant que « les tests d'ADN ont montré que les soldats ont été assassinés plusieurs mois après l'opération sécuritaire dans la prison de Roumieh ». Les familles en veulent à M. Machnouk pour avoir mené en 2015 une opération contre des islamistes dans la prison de Roumieh, dont le timing aurait, selon eux, coïncidé avec le meurtre des soldats. « Certaines personnes mal intentionnées mais influentes essaient de manipuler la vérité en propageant des mensonges, a accusé M. Machnouk. Ils veulent me faire payer le prix de mon soutien à l'armée et à l'État libanais. »
L'ancien Premier ministre, Nagib Mikati, a lui aussi mis en garde contre « des provocations communautaires », en avertissant que « les tentatives de monopoliser les décisions nationales risquent de mener de nouveau à des tensions et des divisions ». Dans le même temps, l'ancien ministre Achraf Rifi qui, à Fnaydek, présentait ses condoléances aux familles des deux soldats tués par l'EI, Hussein Ammar et Khaled Mokbel Hassan, se déchaînait contre le Hezbollah, qu'il a de nouveau accusé d'avoir facilité la fuite des combattants de l'EI qui étaient encerclés dans le jurd de Qaa et d'avoir entravé les négociations qui auraient débouché en 2014 à la libération des soldats. Il a réclamé que l'enquête ordonnée par le chef de l'État porte aussi sur ces volets. S'adressant à M. Salam et au général Kahwagi, il leur a demandé de « ne pas se laisser intimider » par leurs détracteurs qu'il a désignés en des termes insultants, au moment où le chef du CPL, Gebran Bassil, tenait à son tour un discours électoral virulent contre ses adversaires politiques, lors d'un dîner du CPL à Batroun.
Face à ce paysage politique, le président de la Chambre, Nabih Berry, n'a pas caché sa consternation, allant même, en réponse à une question de la presse, à laisser entendre qu'il risque d'affecter le gouvernement. M. Berry a notamment déploré une médiatisation de tous les conflits, estimant que « les hommes politiques n'ont pas le droit d'agir de la sorte ». « Nous ignorons dans notre pays le principe de l'intérêt supérieur de l'État », a-t-il déploré, en appelant à mettre fin aux polémiques.
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commentaires (6)
il y a ceux qui détruisent le liban pour le compte de pays régionaux !! C'EST CELA LA VRAI TRAITRISE
Bery tus
16 h 11, le 11 septembre 2017