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Liban - Drame

Les familles des militaires en veulent à Machnouk et au Hezbollah

« Les soldats auraient mérité quelques concessions », s'est désolé hier Hussein Youssef.

Les parents des soldats de l’armée tués par l’État islamique, hier, au Grand Sérail. Photo Dalati et Nohra

L'armée a annoncé hier que la cérémonie d'enterrement des militaires kidnappés par l'État islamique (EI) se tiendra demain, les tests d'ADN ayant permis de confirmer l'identité des dépouilles mortelles exhumées dans le jurd de Ras Baalbeck. « L'identification des (dix) martyrs de l'armée est terminée grâce aux prélèvements ADN », a annoncé l'armée dans un communiqué.

Selon une source militaire citée par l'AFP, « comme les corps sont restés longtemps en terre, l'autopsie ne permet pas de déterminer la manière dont ils ont été tués ». Dans la matinée, le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, a reçu les proches des militaires à Yarzé, afin de leur annoncer ce qu'ils redoutaient depuis plusieurs jours.

La direction de l'orientation de l'armée a ensuite fait part d'une invitation à « la cérémonie d'hommage aux militaires martyrs qui se tiendra demain (vendredi) dans la matinée dans la cour du ministère de la Défense, sous la présidence du chef de l'État, et en présence du président de la Chambre et du Premier ministre (...) ».

 

(Repère : Tués ou libérés, qui sont les militaires libanais ex-otages des jihadistes)

 

Journée de deuil national
En outre, la présidence du Conseil a décrété une journée de deuil national, en conséquence de quoi le ministre de l'Éducation, Marwan Hamadé, a appelé à la fermeture des établissements scolaires et universitaires, publics et privés. Pour sa part, l'Association des banques du Liban a annoncé dans un communiqué que celles-ci fermeront leurs portes demain. La coordinatrice spéciale de l'ONU, Sigrid Kaag, a exprimé dans un communiqué ses condoléances aux familles des soldats, « symbole de courage et d'engagement pour leur pays », tout en saluant l'armée et les services de sécurité pour « leurs efforts continus afin de sauvegarder la sécurité, la stabilité et l'intégrité territoriale du Liban, notamment face au terrorisme ».

La confirmation officielle du décès des soldats survient au milieu de tensions liées à l'accord controversé conclu par le Hezbollah et le régime syrien avec l'EI en vertu duquel les corps des soldats ont pu être localisés, mais aussi le flou autour des circonstances de leur enlèvement en août 2014 et de l'échec des négociations pour leur libération.

Ouverture de l'enquête
Une enquête judiciaire a été ouverte hier, faisant suite à la demande adressée la veille par le ministre de la Justice, Salim Jreissati, au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, d'engager des poursuites contre X pour déterminer les responsabilités dans le dossier de l'enlèvement et de la mort des militaires. Une demande motivée notamment par l'objectif de soustraire ce dossier au champ des accusations politiciennes. Le juge Hammoud a de fait demandé hier au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, le juge Sakr Sakr, « de charger les services de renseignements de l'armée d'enquêter sur le rapt, l'emprisonnement et le meurtre d'éléments de l'armée libanaise, par des organisations terroristes ». « L'enquête doit porter sur les auteurs (des crimes), mais aussi les co-auteurs, complices et instigateurs des actes criminels résultant des rapts (...) », selon l'Agence nationale d'information (ANI, officielle).

La question reste de savoir dans quelle mesure cette enquête répondra aux attentes des familles des victimes, qui continuaient hier de se questionner sur l'efficacité des autorités ayant géré ce dossier depuis l'été 2014. Elles ont effectué hier une tournée auprès du Premier ministre, Saad Hariri, et du ministre de la Défense, Yaacoub Sarraf.

 

(Lire aussi : Militaires otage exécutés : Jreissati lance le processus judiciaire)

 

« Ils auraient mérité quelques concessions » ...
Au Grand Sérail, le porte-parole des familles, Hussein Youssef, a donné le ton. « Nous ne permettrons à personne d'instrumentaliser notre cause plus qu'elle ne l'a déjà été (...) », a-t-il dit, en notant que « toute personne dans ce pays était responsable du dossier des militaires, lesquels auraient mérité quelques concessions en leur faveur ». Il a réclamé ensuite nommément « la condamnation de Omar et Bilal Mikati pour leur implication directe dans l'assassinat des militaires. ». Ces deux cousins enrôlés par l'EI avaient été arrêtés par l'armée en mars 2015. Ils auraient avoué leur rôle dans le meurtre de trois des militaires otages : Ali el-Ali, Ali Sayyed et Abbas Medlej, selon des informations diffusées hier.

M. Youssef n'a pas épargné non plus le cheikh Moustapha Hojeiry, dit Abou Takié, ni « certains médiateurs qui n'ont pas hésité à exploiter le dossier ». Le père meurtri a été jusqu'à réclamer la peine capitale pour « tout assassin ayant porté la main sur un militaire ».

La charge contre Machnouk
Mais les familles pointent aussi un doigt accusateur en direction de responsables politiques, notamment le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, qu'ils avaient prié mardi de ne pas assister aux funérailles. Interrogé sur les motifs de cette demande lors du point de presse au Grand Sérail, M. Youssef est revenu sur la décision prise par le ministre en 2015 de mener une opération sécuritaire dans la prison de Roumieh. « Nous n'étions pas contre cette opération, mais son timing était très dur à accepter pour nous et n'a d'ailleurs pas été sans influencer quelque part le dossier. Je ne dis pas que le ministre a participé au meurtre des militaires, mais l'opération a coïncidé avec leur assassinat. Ce jour-là d'ailleurs, le ministre avait dit que les soldats avaient été tués, qu'il fallait les considérer comme des martyrs et afficher leurs portraits sur les murs du ministère de la Défense, comme ils le sont aujourd'hui », a ajouté Hussein Youssef. Et de conclure sur ce point : « Nous le prions de ne pas se rendre aux obsèques, de peur de vexer les mères des martyrs et par crainte de comportements potentiellement nuisibles tant pour lui que pour les martyrs. »

 

(Lire aussi : Hussein Youssef : Nos enfants sont notre fierté)

 

La réponse de Sanayeh
Le bureau du ministre de l'Intérieur n'a pas tardé à réagir dans un communiqué. Tout en réitérant « l'empathie entière du ministre (...) et son appui avéré » aux familles, le texte a précisé que « les propos qui lui avaient été attribués sur l'assassinat des militaires, à l'époque où ils étaient toujours en détention, n'ont jamais été formulés par lui, ni oralement ni par écrit, ni ne correspondent à sa méthode ». S'agissant ensuite de l'opération sécuritaire dans le bâtiment B de Roumieh, le communiqué a rappelé que celle-ci a eu lieu « après l'annonce par les terroristes de la liquidation du soldat Ali Bazzal ». En effet, « le ministre avait décidé de reporter l'opération, mais des services de sécurité avaient entre-temps découvert des liens entre des détenus dans le bâtiment B et des kamikazes impliqués dans de nombreux attentats au Liban, y compris l'attentat de Jabal Mohsen. Il y avait donc une nécessité sécuritaire et un devoir national d'exécuter l'opération (...) ».

Le texte a souligné enfin que « les enquêtes officielles, menées parallèlement à la révélation du sort des militaires, ont révélé que l'émir de l'EI surnommé Abou Balkiss a donné l'ordre de liquider les militaires il y a deux ans, soit un an après l'opération de Roumieh, après avoir fait spécialement le déplacement de Raqqa pour interdire toute négociation » pour leur libération.

 

(Lire aussi : L'adieu officiel aux soldats-martyrs aura lieu vendredi)

 

Blâme à Ibrahim et au Hezbollah
Le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim ainsi que le Hezbollah ont eux aussi été « blâmés » par le porte-parole des familles des militaires. Le premier, pour « ne pas avoir informé les familles des informations qu'il détenait depuis deux ans » sur leur probable liquidation, sachant qu'à l'époque des « épouses et mères » des soldats otages allaient en personne solliciter des informations sur place auprès des terroristes. Le second pour l'accord « très douloureux » qu'il a conclu avec l'EI. « Nous blâmons le Hezbollah au même titre que nous blâmons le général Abbas Ibrahim. Il aurait fallu traiter un criminel en tant que tel. J'aurais préféré que le sort de mon fils reste inconnu pendant un siècle, plutôt que de témoigner de son retour de cette façon », a-t-il dit.

Alors que Hussein Youssef a identifié sa blessure à celle de Saad Hariri, « qui réclame depuis 12 ans » la justice pour son père, le Premier ministre a tenu à souligner qu'il « persévère » dans cette quête de vérité, « mais d'une manière qui préserve le pays ». « Nous tenons à ce que vous sachiez la vérité sur ce qui s'est passé », a-t-il insisté, tout en identifiant « l'EI, l'ennemi du Liban comme cause principale de ce crime ».
Le ministre de la Défense a lui aussi assuré à la délégation des familles que « le président de la République, le Premier ministre et le commandant en chef de l'armée « tiennent à suivre cette affaire nationale jusqu'au bout », tout en appelant à « la dépolitiser ».

Solidarité tacite de Mikati envers Kahwagi
Pourtant, la campagne menée par des proches du chef de l'État, dans la foulée de l'annonce officielle du décès des soldats, contre les « terroristes de l'intérieur », continue de déteindre sur le débat politique. Rentré hier à Beyrouth après des vacances en famille, l'ancien Premier ministre Tammam Salam a répondu à la campagne qui l'a visé en faisant valoir que « si la parole est d'argent, le silence est d'or (...) ». « Que Dieu leur pardonne leurs accusations à des fins politiques », a-t-il lancé.

De son côté, l'ancien Premier ministre Nagib Mikati s'est implicitement solidarisé hier avec l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi. Depuis Dimane, où il a été reçu par le patriarche maronite, il s'est dit « confiant que l'armée n'a jamais manqué à son devoir (...) et n'a aucune responsabilité directe (dans le rapt des soldats, NDLR), les forces armées étant, en vertu de la Constitution, sous le commandement du Conseil des ministres, lequel avait à l'époque la confiance du Parlement ».

L'armée a annoncé hier que la cérémonie d'enterrement des militaires kidnappés par l'État islamique (EI) se tiendra demain, les tests d'ADN ayant permis de confirmer l'identité des dépouilles mortelles exhumées dans le jurd de Ras Baalbeck. « L'identification des (dix) martyrs de l'armée est terminée grâce aux prélèvements ADN », a annoncé l'armée dans un...

commentaires (4)

La polémique n'a pas sa place en ces jours de deuil, et de compassion pour nos martyrs. Paix à leur âme. Que Dieu aide leurs familles à supporter leur absence.

Sarkis Serge Tateossian

11 h 17, le 07 septembre 2017

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Commentaires (4)

  • La polémique n'a pas sa place en ces jours de deuil, et de compassion pour nos martyrs. Paix à leur âme. Que Dieu aide leurs familles à supporter leur absence.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 17, le 07 septembre 2017

  • Deuil national fermeture des banques belles paroles "officielles" autant que vous voulez, etc. etc. Quelle honte...pensent-ils vraiment que tout ce "cirque officiel" va diminuer les souffrances des familles des soldats martyrs ? Et que nos "autorités" politiques, militaires et autres peuvent ainsi masquer leur coupable négligence et leur silence dans ce dossier depuis le 2 août 2014 ? Quant aux enquêtes officielles et leurs résultats, qui y croit encore dans un Etat et une justice qui n'existent plus depuis longtemps ? Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 37, le 07 septembre 2017

  • LE HEZBOLLAH AVAIT MIS LES VETOS CONTRE TOUTE NEGOCIATION DE L,ETAT AVEC L,E.I.... TOUS S,EN RAPPELENT... LE HEZBOLLAH A NEGOCIE AVEC L,E.I. LE RETRAIT DE SES COMBATTANTS DANS DES BUS CLIMATISES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 26, le 07 septembre 2017

  • La douleur fait le délire. Que Dieu les accueille dans son royaume. Je me souviens qu'à l'époque, des défections dans l'armée Libanaise était présentées presque comme un acte de courage , pour saluer les appels à l'insoumission de la part de certains partisans des bactéries internes quil faudra absolument demasquer . POUR LE BIEN DU PAYS ENFIN LIBÉRÉ DE CETTE CALAMITÉ.

    FRIK-A-FRAK

    05 h 55, le 07 septembre 2017

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