Comment vivre normalement

Pourquoi n'essayons-nous pas, nous, citoyens libanais, de nous comporter désormais en conformité avec les règles suivantes, en nous départissant de ce qu'il reste de nos réflexes devenus de véritables carcans moyenâgeux – dont notre orgueil, égoïsme, indiscipline et nonchalance – afin de mieux vivre en collectivité, comme les véritables sociétés civilisées. Et je vous garantis alors que notre vie n'en sera que beaucoup plus douce, décontractée, calme, sereine, souriante, agréable, correcte et honorable, digne du respect du monde entier. Voici ces règles :

1) Renoncer à toutes les formes de violence ou de torture (verbale ou physique) au sein de nos familles, écoles, universités, postes de police et prisons (sauf éventuellement avec les terroristes-assassins avérés).

2) Essayer de conduire nos voitures en conformité avec la loi (pourvu que les montants de certaines contraventions soient rabaissés à des niveaux raisonnables, et non pas choisis à tout hasard par des députés sans conscience, parce qu'ils se considèrent au-dessus de la loi, et/ou incompétents). J'ai bien dit essayons, car il existe certaines situations inextricables (dont seul le Liban possède le secret) et dont on ne peut s'extraire qu'en enfreignant la loi.

3) Nous voici arrivés au problème qui nous empoisonne la vie quotidienne : lorsque nous nous garons, il faudrait éviter ceci : (a) grimper sur le trottoir ; (b) occuper la place de deux voitures, car il faut aussi penser aux autres ; (c) se garer n'importe comment, par exemple de travers, ou en sens interdit, tout en ne laissant pas suffisamment de place à nos voisins de devant et de derrière pour sortir, avec parfois certains poussant leur sans-gêne jusqu'à verrouiller leurs voitures, tout en disparaissant, de manière à obliger ceux, dont les bagnoles sont coincées, à attendre le bon vouloir de Monsieur/Madame Sans-Gêne pour qu'ils décident de réapparaître, en ayant la bonté de leur ouvrir le passage.
4) Qui de nous n'a pas voyagé à l'une ou l'autre de ces destinations : Londres, Amsterdam, Bruxelles, Paris, Genève, Vienne, Francfort, etc. ? Serait-ce tellement difficile de nous comporter de la même manière que le font les citoyens de ces villes ? Je sais que l'État (ainsi que, parfois, les municipalités) est gravement défaillant et responsable d'une bonne partie de cette situation (surtout de l'état déplorable de notre infrastructure routière et de l'absence de transports publics). Cependant, qu'est-ce qui nous empêche entre-temps d'aider les commis de l'État, en assumant la part de responsabilité qui nous incombe, parce que ni le citoyen seul ni l'agent de l'État seul (pourvu que celui-ci se comporte comme un fonctionnaire civilisé et responsable, censé être au service du citoyen) n'est capable de résoudre le problème ? Il est impératif de joindre nos efforts, tout en reconnaissant qu'il revient aux autorités (et à elles seules) de commencer, en montrant au citoyen que l'État est fermement décidé à en découdre, dont le recours à des amendes dissuasives (qui ne devraient toutefois pas atteindre des plafonds aussi abracadabrants que la moitié du smic, comme ceci est le cas pour certains délits routiers !). Cependant, ces amendes devraient être applicables à tous les citoyens, c'est-à-dire Messieurs les députés, ministres, chefs de parti et autres zaïms compris, et l'agent, qui aura montré de la complaisance dans ce sens, devra être sévèrement sanctionné et ladite sanction annoncée officiellement, avec le nom du contrevenant.

5) Comme nous vivons dans des villes extrêmement bruyantes, il faudrait aussi obliger les voitures en circulation, avec les fenêtres ouvertes, à abaisser le volume de leurs radios, parce qu'il y a beaucoup d'agités qui circulent avec des niveaux de volume anormalement élevés, pouvant être entendus jusqu'au 12e étage des immeubles dressés de part et d'autre des rues. Cela ne devrait pas dépasser un certain niveau de décibels convenu internationalement, tout en étant particulièrement applicable le soir, à partir de 22 heures, pour ne pas rester à la merci des indélicats, désireux de donner une party chez eux jusqu'à l'aube du lendemain.
Autrement, inutile d'espérer un changement, parce que nous ne sortirons alors jamais du cercle vicieux et archaïque dans lequel nous sommes empêtrés. Il ne devrait plus y avoir de citoyens au-dessus de la loi et d'autres en dessous, dont les plus faibles sont même écrasés par ladite loi, sans pitié. Cela me rappelle le dialogue qui eut lieu durant l'un des passages du fameux film La folie des grandeurs, avec Louis de Funès, lorsque celui-ci (dans le rôle du ministre Don Salustre) s'adressa au roi, en réaction à la décision de ce dernier d'augmenter les impôts applicables à tous, pour lui dire : Sire, je proteste, car ce sont les pauvres qui paient les impôts. Chez nous, l'application des lois est tellement ridicule que cela finit par aboutir à des situations tragicomiques semblables, où ce sont seuls les plus riches et les plus puissants qui sont épargnés par les contraventions et les amendes.
C'est en commençant par de pareilles mesures, pourtant essentielles, que les pays évoluent, d'autant plus que le mandat présidentiel actuel est très prometteur.
Les exemples ne manquent pas autour de nous, en commençant par les pays scandinaves, lesquels, en moins de trois siècles, sont sortis de l'état primitif, et parfois barbare, dans lequel ils étaient plongés durant l'Antiquité et le Moyen Âge, pour prendre la tête des nations les plus civilisées, avancées et prospères du monde. Bien plus loin, à l'Est, l'exemple de Singapour demeure cependant le plus frappant, car ce tout petit pays, qui il y a à peine quatre décennies figurait parmi les pays corrompus et pauvres du tiers-Monde, a fait un bond spectaculaire, qui l'a propulsé au rang des quelques pays aux PIB les plus élevés du monde, tout près de la Norvège et de la Finlande, tous soutenus par une rigueur morale impitoyable.