La bataille du jurd de Ersal achevée et l'accord avec l'ex-Front al-Nosra (la branche d'el-Qaëda en Syrie qui se fait aussi appeler « Hayat Tahrir el-Cham ») exécuté dans tous ses points, les regards sont actuellement tournés vers le jurd de Ras Baalbeck et de Qaa où sont installés les combattants de Daech. Même si les médias et les réseaux sociaux se font la course pour publier des détails et des spéculations sur la bataille à venir, les informations sérieuses restent très limitées, sachant qu'on voit mal l'armée libanaise, ou toute autre source officielle, divulguer la date du déclenchement de l'opération, si elle a lieu. Ce que l'on sait jusqu'à présent, c'est que des négociations se déroulent dans la plus grande discrétion, même si les milieux officiels ne croient pas trop à leur aboutissement sans une pression militaire sur le terrain.
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Exactement comme cela s'est passé avec le chef de l'ex-Front al-Nosra dans le Qalamoun syrien, Abou Malek el-Tallé, qui, en fait, négociait en son nom mais aussi au nom de Abou Mohammad el-Joulani, le chef de toute l'organisation. Des sources qui ont suivi les derniers développements rappellent que c'est bien Joulani qui avait exigé que l'État libanais permette à des terroristes présumés palestiniens et libanais, comme Chadi Mawlaoui, de quitter Aïn el-Héloué pour Idleb avec les combattants et leurs familles. En réalité, Joulani et Tallé avaient cru pouvoir accroître leurs exigences après avoir capturé trois combattants du Hezbollah qui s'étaient perdus dans le jurd au troisième jour de l'offensive (ces trois combattants ont d'ailleurs été libérés en premier parce qu'ils se trouvaient encore dans le jurd, dans la zone contrôlée par les hommes d'Abou Malek el-Tallé). Face aux nouvelles exigences du groupe terroriste, le directeur général de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, avait dû déclarer dans la soirée de mardi au médiateur : « À partir de minuit, je ferme mon téléphone et je ne suis plus joignable. Il n'y aura plus de négociations ! » En même temps, le Hezbollah avait modifié les positions de ses combattants autour de la superficie de 5 à 7 km² encore contrôlée par Tallé pour bien montrer son intention de passer à l'action. C'est cette double menace qui a finalement permis d'aboutir à un accord.
Le scénario pourrait donc se répéter dans le jurd de Ras Baalbeck et de Qaa, sachant que la superficie de cette zone est pratiquement le double de celle du jurd de Ersal, même si, contrairement au jurd de Ersal, la plus grande partie est en territoire syrien, autour des localités de Qara et de Jarajir. Depuis quelques mois, toutes les positions dans cette zone, en territoire libanais, sont aux mains de l'armée libanaise, qui devrait mener seule l'offensive, cette bataille ayant l'aval de toutes les parties politiques. En effet, aucune partie ne peut déclarer ouvertement appuyer Daech, alors que la perception de l'ex-Front al-Nosra est quelque peu différente, au moins sur le plan régional. Dans la bataille qui s'annonce, les rôles seront donc inversés : l'armée libanaise mènera l'offensive, alors que l'armée syrienne et le Hezbollah veilleront à maintenir le front stable du côté syrien. Les experts militaires considèrent ainsi que la bataille du jurd de Ras Baalbeck et du Qaa peut être plus aisée, même si la superficie est plus grande et le nombre de combattants de Daech supposés présents sur cette portion de territoire plus important. Toutefois, ces estimations ne sont pas précises. On avait ainsi parlé d'un maximum de 400 combattants de l'ex-Front al-Nosra dans le jurd de Ersal, et, au final, c'est 1 116 qui sont montés dans les bus vers Idleb, avec leurs armes individuelles. Mais, même si les combattants de Daech sont plus d'un millier, ils auront du mal à maintenir leur emprise sur ce large territoire face à une offensive de l'armée libanaise, estiment les experts militaires. Tout comme l'armée pourrait avoir du mal à stabiliser les positions qu'elle pourrait occuper. Il faut en effet beaucoup d'effectifs pour ce genre de bataille.
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Un général à la retraite explique aussi que l'armée dispose d'un armement pointu, qui sera utilisé pour la première fois dans le cadre de cette offensive, tout comme elle pourra compter sur le soutien du Hezbollah de l'autre côté de la frontière, si cela s'avère nécessaire. De plus, poursuit le général à la retraite, la portion de territoire contrôlée par Daech, même si elle est grande, est totalement encerclée des deux côtés de la frontière, et, sur le plan militaire, les combattants ne peuvent pas gagner, même s'ils peuvent faire beaucoup de mal. Ils ne pourront pas non plus compter sur les camps de déplacés syriens, séparés de leurs positions par l'armée libanaise et par des localités soit chiites, soit chrétiennes. Dans le jurd de Ersal, les combattants avaient un contact direct avec les camps via Wadi Hmayed, rappelle-t-on. Ce qui élimine toute possibilité d'« environnement favorable », qu'Abou Malek el-Tallé considérait comme un atout en sa faveur... Mais cela ne signifie pas que la bataille sera facile, car les combattants de Daech sont aguerris et déterminés. Ils ont aussi d'importants moyens, et, conformément à leur idéologie, ils ne craignent pas la mort. De plus, ils sont préparés à cette confrontation dont on parle depuis des mois.
Les experts militaires soulignent dans ce contexte l'importance « du premier coup » qui devrait permettre à l'armée libanaise de déstabiliser l'adversaire en le prenant de court et d'accélérer ainsi le cours de la bataille, pour éviter qu'elle ne se transforme en longue guerre de positions. Certains experts ont évoqué la possibilité d'un parachutage de commandos derrière les positions de l'adversaire, d'autres, de nouveaux missiles aériens. L'armée, elle, ne donne aucune précision. Le service de presse du commandant en chef a simplement déclaré, hier, que les informations publiées dans les médias sur un report de la visite du général Joseph Aoun à Washington (prévue le 12 août) et sur une participation américaine à la bataille annoncée sont fausses...
Reportage
En "tournée" avec le Hezbollah dans le jurd de Ersal
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L'Orient-Le Jour
19 h 10, le 05 août 2017