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Le moral de la fable

Il faut bien reparler d'elle, puisque c'est sa fête que l'on célébrait hier en grande pompe. Fastes on ne peut plus mérités d'ailleurs : d'abord, parce que par la faute d'une vacance présidentielle programmée, cela faisait trois ans que l'armée était injustement privée de ce genre de solennités. Pas de président, pas de remises de leurs épées et photos-souvenirs, en effet, pour les cadets. La vacance n'est plus aujourd'hui qu'un mauvais souvenir. Par la magie des arrangements politiques et autres sorties de crise, c'est précisément le héros du blocage programmé de l'élection présidentielle, lui-même ancien militaire à la tumultueuse carrière, qui occupe le palais de Baabda. Et qui distribue épées et paternelles exhortations aux jeunes officiers.


Fastes bien mérités, ensuite, parce que l'institution militaire, surtout en ce moment, a droit à l'estime, au respect, à l'affection, à l'appui et aux encouragements populaires. Un tel élan national ne saurait se réduire à un simple, un élémentaire devoir civique, à l'heure où la troupe s'apprête à exécuter la deuxième phase de l'offensive visant les groupes jihadistes à la frontière syrienne. C'est surtout là, et de manière pressante, affaire de moral : munition plus indispensable, plus précieuse pour toute armée que la plus performante des poudres à canon.


La classe politique, toutes appartenances confondues, ne se montre guère avare, c'est vrai, de telles marques de soutien. Souvent toutefois, celles-ci cachent mal les frustrations des uns et les ambiguïtés des autres. Les premiers ne peuvent faire autrement que se féliciter des résultats – incontestablement positifs – de l'offensive menée par le Hezbollah dans le secteur de Ersal ; mais ils regrettent en revanche que l'armée, gardienne légale et légitime de l'intégrité du territoire, se soit vue ravir la vedette (sinon la direction des opérations) par une milice. Laquelle, bien que présente au sein du gouvernement, a, au triple plan de l'idéologie, de l'armement et du financement, un lien ombilical avec une puissance étrangère, l'Iran. C'est le Hezbollah qui, une fois de plus, se pose en libérateur. Et c'est encore lui qui emmène, par fournées entières, les journalistes sur les lieux de son exploit.


Dans le camp d'en face, on ne se fait pas faute d'exalter, sur tous les tons, la parfaite coordination régnant entre le commandement militaire et le parti de Dieu. On évoque déjà tout haut la nécessité d'élargir celle-ci au régime sanguinaire de Damas. Et surtout, on s'apprête à exploiter jusqu'à la corde, sur la scène politique interne, le fameux slogan unissant armée et milice dans un même combat, avec le peuple étalé en sandwich entre les deux.


Mais qui donc s'est donné la peine de recueillir son avis, le peuple, qui dans son écrasante majorité, ne mange pas de ce pain et n'aspire qu'à un retour à la normalité constitutionnelle ? Quel gouvernement a-t-il jamais endossé, dans les formes, une formule qui, des réguliers et des irréguliers, fait quasiment (et dans la meilleure des hypothèses !) des égaux? Quelle politique de défense a-t-elle seulement pu être esquissée au milieu de toutes les aberrations qui ont plombé la démocratie libanaise ?


À toutes ces interrogations les beaux discours de la fête n'ont pas hélas apporté des réponses.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il faut bien reparler d'elle, puisque c'est sa fête que l'on célébrait hier en grande pompe. Fastes on ne peut plus mérités d'ailleurs : d'abord, parce que par la faute d'une vacance présidentielle programmée, cela faisait trois ans que l'armée était injustement privée de ce genre de solennités. Pas de président, pas de remises de leurs épées et photos-souvenirs, en effet, pour les...