Maintenant que l'échelle des salaires a été adoptée et que les enseignants du public et du privé ont obtenu leurs droits, il reste à savoir comment le secteur privé entend financer cette loi. C'est-à-dire les réajustements des salaires de ses enseignants, le réajustement du salaire pour chaque échelon, la vie chère et les effets rétroactifs de cette mesure gelée depuis 2008. Sachant que pour financer la grille des salaires du secteur public, le Parlement a voté non moins de 19 nouvelles taxes, dont une bonne quinzaine se répercuteront directement sur les classes moyennes, voire défavorisées.
Les rumeurs les plus folles courent déjà sur des hausses imminentes des scolarités. Le député Samy Gemayel parle, lui, d'une augmentation annoncée de 27 %. Les comités de parents, pour leur part, se mobilisent et en appellent au chef de l'État, le suppliant de renvoyer au Parlement l'échelle des salaires pour réexamen. De son côté, le ministre d'État contre la corruption, Nicolas Tuéni, soutient sur son compte Twitter qu' « une hausse des scolarités n'est pas justifiée », invitant les directions d'établissement à ne pas toucher aux scolarités et les comités de parents à réagir.
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Les écoles privées s'indignent
Interrogé par L'Orient-Le Jour, le secrétaire général des écoles catholiques, le père Boutros Azar, se dit outré. « Nous invitons l'État à assumer cette augmentation imposée aux établissements éducatifs privés, et plus particulièrement son effet rétroactif, comme il l'a fait pour le secteur public », lance-t-il, accusant « les députés d'avoir fait montre de générosité en puisant dans les poches des écoles privées ».
Également président de la Fédération des associations scolaires privées, le père antonin fait part de « l'indignation de l'ensemble des établissements éducatifs privés contre à la fois l'échelle des salaires et la nouvelle imposition ». « Ce sont les parents d'élèves qui devront couvrir les salaires des enseignants », reconnaît-il, fustigeant « le législateur qui n'a pas pris en considération l'enseignement privé, mais qui a lié par une simple clause les deux secteurs public et privé ». « Ils ont voté cette loi de pair avec de nouveaux impôts, donnant d'une main et reprenant d'une autre », dénonce-t-il. En même temps, le père Azar « refuse catégoriquement que les enseignants du public obtiennent leurs droits et non pas ceux du privé ».
Pour parler concrètement, « un enseignant doté d'une licence d'enseignement démarrait sa carrière avec un salaire de 1 088 000 LL ». Depuis l'adoption de la loi, « le salaire de départ de ce même enseignant sera de 1 875 000 LL. Il débutera sa carrière avec 21 échelons, compte tenu que l'échelon, qui représente deux années d'ancienneté, équivaut désormais à 70 000 LL, contre 42 000 LL avant l'adoption de l'échelle des salaires », explique le père Azar. Il dénonce aussi le caractère illogique de cette loi, qui privilégie l'enseignant du primaire et du complémentaire au détriment de l'enseignant des classes secondaires. « L'adoption de l'échelle des salaires s'est faite sans une connaissance profonde du dossier », regrette-t-il.
(Idiots utiles, le billet de Gaby NASR)
Séparer les secteurs public et privé
Les écoles privées ont bien essayé de négocier avec l'ancien secrétaire général du syndicat des enseignants des écoles privées, Nehmé Mahfoud, pour un rééchelonnement de l'échelle des salaires sur trois ans. Peine perdue. « Les enseignants ont insisté pour que l'application de la loi se fasse d'un coup, regrette le secrétaire général. Nous savions où cela nous mènerait. » Et d'estimer par ailleurs que l'échelle des salaires « aurait dû être votée après l'adoption du budget ».
Dans ce contexte, et alors que les syndicats de parents d'élèves réagissent, les écoles privées mettent en garde. « La nouvelle grille des salaires se répercutera sur les scolarités », martèle le père Boutros Azar. La décision d'augmenter les scolarités n'a certes pas encore été prise, mais les écoles privées « se concertent et multiplient les réunions avec les experts comptables et les avocats des établissements, chiffres à l'appui ». Elles envisagent, suite à ces réunions, « de présenter aux autorités des propositions d'amendements à l'application de l'échelle des salaires », comme celui de « séparer les deux secteurs privé et public ». Elles tentent de plus d'inclure les comités de parents dans ces réunions. Sauf que les parents d'élèves « n'ont pas réussi à former un comité » représentant toutes les écoles privées. « Rien que les écoles catholiques sont représentées par quelque 345 comités de parents », déplore le père Azar. C'est ainsi que trois présidents de comités de parents d'écoles privées, Lara Zouein, Maya Geara Bardawil et Raymond Rouhana, ont lancé un appel au président Michel Aoun, lui demandant de renvoyer la grille des salaires au Parlement afin que lui soient apportés les amendements nécessaires et justes. Se prononçant en faveur des droits des enseignants, ils réclament plus d'équité pour les parents et dénoncent « l'injustice » que représente pour eux « une hausse des scolarités ».
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