« Nous ne céderons rien à l'antisionisme, car il est la forme réinventée de l'antisémitisme. » Ces propos du président français, Emmanuel Macron, tenus dimanche devant le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lors de la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv, ont enflammé internet hier, aussi bien en France que dans le monde arabe. Est-ce bien une faute de la part du jeune chef de l'État ? Ou bien s'agit-il d'idées fondées sur une connaissance des nuances inhérentes à ces notions ?
Ce n'est toutefois pas le premier haut responsable français à faire l'amalgame entre antisémitisme et antisionisme. Déjà en mars 2016, lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France, le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, a assimilé l'antisionisme à l'antisémitisme, suscitant une première controverse. Or, chez les politiciens comme chez l'homme de la rue, mélanger les deux notions est courant, souvent par ignorance, parfois par mauvaise foi. Les séparer complètement aussi. Expliquer ces amalgames revient d'abord à préciser le sens des termes utilisés.
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Définitions
Un antisioniste est quelqu'un qui nie le droit à l'existence de l'État d'Israël. Le sionisme, un mouvement nationaliste initié par Théodore Herzl en tant que projet d'émancipation du peuple juif à la fin des années 1800, a été considéré par la résolution 3379 votée en 1975 par l'Assemblée générale des Nations unies comme « une forme de racisme et de discrimination raciale ». Bien que révoquée en 1991, elle a donné pendant longtemps une connotation négative au sionisme.
De son côté, l'antisémitisme se définit comme la haine des Sémites en tant que groupe racial ou ethnique. Il considère que les Juifs sont une race inférieure à celle de la nation dans laquelle ils vivent. L'antisémitisme est une forme de racisme, de xénophobie, qui rejette les Juifs.
Pour le politologue Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, attaché au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), le terme d'antisémitisme désigne le rejet des Sémites, qu'ils soient juifs ou arabes. Pour être plus précis, il propose à sa place le terme de judéophobie, qui vise uniquement les Juifs. À mettre en parallèle avec l'islamophobie, qui est la peur ou la crainte de l'islam.
La différence entre l'antisémitisme et la judéophobie réside dans le fait que cette dernière n'est pas fondée, comme l'antisémitisme nazi, sur une supposée supériorité de la race aryenne, mais, selon lui, principalement sur l'antisionisme. Pour le philosophe français, Vladimir Jankélévitch, « l'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite ».
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Juifs, Israéliens et sionistes
Ce qui entraîne souvent l'amalgame entre Juifs, Israéliens et sionistes. Ainsi, les victimes du nazisme deviennent les bourreaux des Palestiniens, des Arabes et des musulmans. Cette hostilité envers le Juif, l'Israélien et le sioniste trouve des échos dans le monde arabo-musulman, aussi bien chez les nationalistes arabes que chez les jihadistes et les islamistes. Cet amalgame touche dans le même temps les pays occidentaux, notamment les militants tiers-mondistes, antisionistes et anti-impérialistes.
Autre différence majeure entre antisémitisme et judéophobie: le profil des acteurs. Ainsi, pour Pierre-André Taguieff, ce qu'il appelle le « nouvel antisémitisme » serait en train de changer de camp et de migrer de l'extrême droite à l'extrême gauche de l'échiquier politique. L'islamophobie ayant pris la place de l'antisémitisme pour l'extrême droite.
En France d'ailleurs, le profil des agresseurs a changé. Depuis l'an 2000, l'Hexagone a connu une hausse sans précédent des actions antisémites. Or, l'extrême droite y est impliquée de manière résiduelle (9,5 % des violences antisémites de 2003, 7 % en 2002, selon un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), datant de 2003). Actuellement, en France la majorité des actes antisémites sont le fait de jeunes issus de l'immigration maghrébine, très imprégnés du conflit israélo-palestinien.
Critiquer Israël
Dans tout cet amalgame, reste la distinction entre l'antisionisme et la critique de la politique des gouvernements israéliens. S'il est tout à fait légitime de critiquer la colonisation israélienne dans les territoires occupés, l'humiliation quotidienne que subissent les milliers de Palestiniens sur les check-points de l'armée israélienne, les violations systématiques du droit international, la barrière de sécurité en Cisjordanie, l'usage excessif de la force durant les conflits armés, le blocus de la bande de Gaza, et bien d'autres actions politiques et diplomatiques entreprises par les différents gouvernements israéliens, de droite ou de gauche... sans être taxé d'antisémitisme, il est aujourd'hui contraire au droit international de refuser l'existence de l'État d'Israël.
Ceux qui craignent que la critique de la politique de l'État hébreu soit assimilée à de l'antisémitisme mettent en fait la charrue devant les bœufs. En effet, reconnaître à Israël le droit d'exister n'est pas incompatible avec la défense des droits du peuple palestinien et la création de l'État de Palestine. Et ceux qui prônent une solution du conflit israélo-palestinien basé sur deux États sont de fait... des sionistes.
Reste que les propos de M. Macron en présence de Benjamin Netanyahu pourraient faire le jeu du dirigeant israélien. En effet, la politique de ce dernier est vivement critiquée de toute part. Et l'inviter à participer à la commémoration d'un événement lié à l'histoire de la France a été mal vu. D'autant plus que le dirigeant israélien aime profiter de telles brèches pour faire taire les critiques contre la politique de son gouvernement, de plus en plus isolé.
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commentaires (5)
En vous penchant sérieusement sur le rapport 2003 sur "La lutte contre le racisme " de la CNCDH, vous auriez lu que :"Les auteurs connus des actes perpétrés en 2003 n'appartienent pas, dans leur très grande majorité, à des groupes à l'idéologie extrémiste de droite". Sur 125 violences antisémites, l'extrême- droite était responsable de 6 dégradations, mais 44 violences, dont des blessés, étaient imputables à "des acteurs des quartiers sensibles originaires du Maghreb" qui agissaient par antisémitisme, en écho à l'actualité israélo-palestinienne. Un pur amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Qui ne masque pas pour autant les haines du FN.
Saab Edith
18 h 21, le 18 juillet 2017