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Liban - Le Portrait de la semaine

Nayla Moawad, ou l’intarissable source d’énergie

Photo archives

Lorsqu'elle doit assister à des funérailles à Tripoli, à Zghorta, ou dans un de ces villages reclus où persiste encore la tradition de séparer le salon des femmes en pleurs de celui des hommes baignés dans un silence funèbre, c'est aux hommes que Nayla Moawad, ancienne ministre et députée, tend la main pour présenter ses condoléances. Cette habitude qu'elle a, depuis qu'elle était toute jeune, de se mêler des « affaires » des hommes donne déjà une idée de ce qu'elle est. Elle n'est pas une femme en acier, elle est « en femme » – comme le décrit si bien Colette dans La vagabonde – simplement, et cela suffit.

Si on avait demandé à la jeune Issa el-Khoury, originaire de Becharré, à l'âge de 16 ans, si elle s'imaginait un jour députée au Parlement pour le siège de Zghorta, ou ministre des Affaires sociales, ou encore prenant la relève suite à l'assassinat d'un président de la République qui n'est autre que son époux, elle aurait certainement éclaté de rire. Cependant, Nayla Moawad semble avoir été destinée, depuis toujours, à jouer ce rôle aux multiples casquettes.

La Zghortiote
Comment a-t-elle décidé de prendre la relève au lendemain de l'assassinat de René Moawad ? « Sans penser », répond-elle tout court. « J'ai eu le sentiment d'être dans un champ de bataille. Lorsqu'un soldat y est abattu, celui qui est resté debout, derrière lui, se trouve sur le devant de la scène. J'ai été ce soldat. Je n'ai donc pas réfléchi », raconte Nayla Moawad, quelque 28 ans après le funeste mercredi 22 novembre 1989, le jour où son époux fut tué par l'explosion d'une charge dissimulée sous sa voiture, quelques jours après son élection à la première magistrature de l'État.

« J'ai eu des doutes, certes. Mais j'ai été animée d'une passion, celle de servir la cause pour laquelle René avait péri. Ceux qui sont venus me présenter leurs condoléances m'ont également prié de continuer le chemin, raconte-t-elle. Je l'ai fait, j'étais l'ambassadrice de René Moawad pour lequel j'éprouvais, depuis notre première rencontre, une profonde admiration. »

L'ancien président de la République avait, dès le début de leur liaison, imposé à la jeune Nayla Issa el-Khoury, habitant Beyrouth, une seule condition. Un seul mot voulait tout dire : Zghorta. « Il était particulièrement attaché à son village, à sa famille politique, il fallait passer tous les week-ends là-bas, et à l'époque, j'avoue que ce n'était pas très à la mode », commente-t-elle, non sans humour.

« J'ai accepté, et une fois mariée, j'ai voulu y apporter ma touche personnelle, poursuit-elle. J'ai fondé l'artisanat de Zghorta, entre autres, assurant ainsi un emploi à plus de 100 femmes qui en avaient besoin », souligne Mme Moawad avant de poursuivre : « J'ai toujours voulu entreprendre avec enthousiasme tout ce que j'avais à faire. »

Journaliste à « L'Orient »
« Dieu m'a beaucoup donné et m'a beaucoup pris », assure Nayla Moawad. Ce n'est pas la peine de lui demander ce qui lui a été pris, la réponse est bien trop claire. Mais de ce qui lui a été donné, elle pourrait en parler à perdre haleine. Sauf que Nayla Moawad ne se lasse pas facilement. Elle regorge d'énergie, sans répit. Elle est vive, sémillante et surtout habitée d'un amour viscéral pour le Liban, un amour dont elle se plaint parfois tant il est intense.

Cette énergie, Nayla Moawad l'a au départ investie dans le métier de journaliste. Au grand dam de sa famille, qui refusait de voir sa jeune fille attendre dans les couloirs pour recueillir les propos de telle ou telle autre personnalité, la jeune Issa el-Khoury a été l'une des rares femmes journalistes de l'époque. Elle s'est consacrée, dans les colonnes de L'Orient, aux sujets sociaux, notamment ceux liés à l'éducation et à la préservation des demeures historiques.

Au Parlement, où elle avait représenté les Zghortiotes et l'ensemble des habitants du Liban-Nord depuis 1991 et jusqu'en 2005, Nayla Moawad a lutté bec et ongles pour l'adoption d'un très grand nombre de lois dont elle avait présenté les textes. Siéger au Parlement n'était pas son unique façon de défendre les droits de la femme, comme le font de nos jours certaines députées. N'était sa présence hyperactive au Parlement, la femme libanaise mariée à un étranger n'aurait pas pu bénéficier des prestations sociales pour sa famille, malgré le fait qu'elle continuait de payer ses cotisations, pour ne citer qu'un seul exemple parmi tant d'autres.

Transition fluide
Figure phare du 14 Mars, Nayla Moawad n'a pas lutté que pour les femmes, mais pour l'ensemble des Libanais. Aujourd'hui, elle est profondément déçue et extrêmement nostalgique. « Après l'assassinat de René, je pensais que le Liban venait de rater sa dernière chance. Je voyais en cette révolution du Cèdre une nouvelle et dernière chance, elle aussi ratée, pour ma plus grande déception, affirme-t-elle. Son échec remonte, entre autres, au manque de vision d'avenir après le départ des Syriens et la formation du Tribunal spécial pour le Liban. »

L'action politique manque-t-elle à l'infatigable Nayla Moawad ? « Si, mais je suis heureuse de me consacrer entièrement à la Fondation René Moawad » (RMF). Fondée par elle, il y a plus de 25 ans, son objectif est de réaliser ce que l'ancien président a voulu faire. « La fondation a rendu le souvenir de René Moawad pérenne », assure-t-elle le sourire aux lèvres.

L'ancienne députée et ministre a remplacé la politique par le développement, et ce changement n'a pas l'air de l'attrister. Loin de là, elle est heureuse de promouvoir le développement social, économique et rural sur l'ensemble du territoire libanais. Collaborant avec l'Union européenne, l'Unicef, l'Agence américaine pour l'aide au développement, entre autres, elle se veut une « mendiante professionnelle » pour la bonne cause, celle du Liban de René Moawad. Que ce soit à travers la politique ou le développement, Nayla Moawad mène en définitive un même combat.

 

 

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Lorsqu'elle doit assister à des funérailles à Tripoli, à Zghorta, ou dans un de ces villages reclus où persiste encore la tradition de séparer le salon des femmes en pleurs de celui des hommes baignés dans un silence funèbre, c'est aux hommes que Nayla Moawad, ancienne ministre et députée, tend la main pour présenter ses condoléances. Cette habitude qu'elle a, depuis qu'elle était...

commentaires (2)

Nayla Moawad a non seulement été un modèle de courage mais aussi un modèle de sérieux, de persévérance et de patriotisme dans tout ce qu’elle a entrepris. Elle a su non seulement reprendre avec succès le flambeau de son mari, feu René Moawad, mais elle y a ajouté un savoir-faire et une autorité empreinte d’une grande finesse.

Citoyen volé

14 h 27, le 10 juillet 2017

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Commentaires (2)

  • Nayla Moawad a non seulement été un modèle de courage mais aussi un modèle de sérieux, de persévérance et de patriotisme dans tout ce qu’elle a entrepris. Elle a su non seulement reprendre avec succès le flambeau de son mari, feu René Moawad, mais elle y a ajouté un savoir-faire et une autorité empreinte d’une grande finesse.

    Citoyen volé

    14 h 27, le 10 juillet 2017

  • L'article sur Mme Nayla Moawad est tellement realiste que je ne peut rien ajouter .Elle est m'a heroine dans tout ce qu'elle fait. Eddy Arida

    Eddy Arida

    14 h 21, le 10 juillet 2017

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