Rechercher
Rechercher

Liban - La vie, mode d’emploi

67 - Le salut par la politique

À lui seul, ce titre devrait faire naître un sourire sur les lèvres des Libanais. Et pourtant, il semble que certains d'entre eux sont des croyants à toute épreuve et en dépit de toutes les preuves puisqu'ils parlent encore de la politique avec le sérieux d'un instituteur nouvellement promu et continuent à y placer leurs espoirs (car, pour leurs avoirs, je ne sais pas si la politique leur en a laissé beaucoup à placer). Personnellement, je ne cherche, dans ce propos, qu'à esquisser le portrait d'une catégorie particulière de ces irréductibles champions du salut par la dévotion politique et qui fut longtemps, pour moi, une énigme, voire un scandale.

Étranges, ces militants impénitents le sont, d'abord, parce que admirables, non pas de fidélité et d'activisme, mais de détachement. Ils ont renoncé à tout : au monde et à ses pompes, aux amours et à leurs doux tourments, jusqu'au moindre hochet qui permet de tenir dans l'ennui des jours, défilant en tablier gris de travail. Ils pourraient vivre sur des colonnes, dans le désert, tels des stylites, en bénissant Dieu pour l'air poussiéreux qu'ils respirent et pour le soleil qui ne les a pas encore réduits en fumée. À l'imitation de leurs modèles, ils sont aussi exceptionnels de charité et prodiguent leurs conseils aux plus miséreux, gravement brûlés, eux, par le mauvais soleil de Satan. Admirables, donc, sans contestation possible ! Et pourtant, ces ascètes, contemplatifs pour la plupart, continuent, pour les affaires d'ici-bas, de croire davantage à ceux qui tiennent la destinée des peuples entre leurs mains qu'à Celui qui tient le cœur des princes entre les siennes, selon la formule de Bossuet ! Ainsi, alors que vous avez l'oreille collée à une grille de couvent pour recueillir une parole pleine d'élévation, d'édification, bref, aidant à votre salut (comme c'est proprement le cas de le dire, à cet endroit), avec quel étonnement n'entendez-vous pas des femmes vouées à la méditation et à la prière vous questionner, d'une voix tremblante d'émotion, sur les chances de l'un ou de l'autre ministrable d'obtenir tel ou tel portefeuille. On m'a même rapporté qu'au moment où leurs coreligionnaires étaient écrasés sous les bombes d'un dictateur, certaines de ces enragées de la politique s'enquerraient, avec une curiosité qui fait comprendre pourquoi saint Augustin la classait parmi les concupiscences majeures, de la couleur des rubans dans les cheveux des fillettes de l'homme tout-puissant et inclément. Cas rarissimes, jugerez-vous ? Cas extrêmes, je vous le concède.

La réalité est que ne sont pas rares les hommes et les femmes à qui on donnerait sans confession, non pas la communion, mais le titre suprême de la sagesse extrême-orientale, celui d'« éveillé », et qu'aveuglent néanmoins la question politique... comme si toute la passion retirée des autres objets du monde s'était entièrement réfugiée dans cette unique affaire.
Plus de repas plantureux et de mets raffinés, mais des orgies de discours enflammés et des raffinements d'analyse géopolitique ; plus de famille, d'amis de cœur ou de tête, mais l'adulation d'hommes sans cœur et à tête de girouette ; plus de vêtements élégants et somptueux, mais l'attendrissement devant les rubans imaginés dans les cheveux de fillettes d'un père sanguinaire ; plus de distinction entre fidèles et infidèles, et prières pour l'humanité dans toute sa bigarrure, mais l'adversaire politique du moment condamné sans rémission ; plus de bijoux, de biens mobiliers et immobiliers, mais le bien incarné dans un seul homme ; plus de blason aristocratique, de décorations républicaines, de petite vanité commune, innocente et réconfortante, mais l'appellation de partisan, lequel est transporté au septième ciel par la grâce d'un mot, oracle tombé de la bouche de l'idole.
L'infini dans le fini, c'est comme l'univers dans un dé à coudre : il acquiert la dimension et la puissance d'un atome et devient incomparable tout à la fois par son insignifiance et par sa capacité de nuisance. Plus simplement dit : la corruption des meilleurs est la pire.

 

Dans la même rubrique

Le salut par la hauteur

Le salut pour les chiens

Le salut par les chiffres

Le salut par le « ne plus rien attendre »

Le salut par les bonnes œuvres

À lui seul, ce titre devrait faire naître un sourire sur les lèvres des Libanais. Et pourtant, il semble que certains d'entre eux sont des croyants à toute épreuve et en dépit de toutes les preuves puisqu'ils parlent encore de la politique avec le sérieux d'un instituteur nouvellement promu et continuent à y placer leurs espoirs (car, pour leurs avoirs, je ne sais pas si la politique leur...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut