Maintenant que les Zghortiotes s'apprêtent, non sans grand enthousiasme, à rejoindre par vagues Ehden pour la saison estivale, les symptômes du « complexe des Pléiades » – les Pléiades étant sept sœurs jalouses l'une de l'autre, toutes à la conquête d'un dieu, Zeus, leur père – se lisent de plus en plus dans la ville de la plaine, aux étés chauds et hivers tempérés. Zghorta est jalouse de sa grande sœur Ehden.
Souvent ramenée au statut de ville d'hiver de son « double », Ehden – terre des origines, plantée à quelque 1 500 mètres d'altitude au-dessus d'elle, dans la haute montagne libanaise du Nord –, Zghorta est loin d'être la sœur laide de Cendrillon.
Encerclée par les rivières de Racheine et de Jouit et entourée de champs d'oliviers et d'orangers, Zghorta jouit d'un charme qui réside dans cette espèce de chaleur qui se fait sentir en arpentant ses sentiers. Une chaleur qui est le propre de ces villes, petites, méconnues, vivant dans l'ombre de cités adjacentes et glorieuses, et inlassablement dans l'attente d'être découvertes par des touristes « égarés ».
Ce week-end, écartez-vous donc du trajet habituel qui mène droit de Beyrouth vers la montagne. Optez pour le chemin le moins fréquenté ; faites-vous ainsi plaisir, et faites plaisir à la ville de Zghorta, l'éternelle abandonnée du paysage touristique. Après avoir effectué une heure et demie de trajet en voiture, garez votre véhicule dans le parking de l'église Saint-Jean-Baptiste, située au beau milieu de la route principale, et n'y retournez plus avant l'heure de rentrer chez vous.
Toute l'importance de cette église réside dans les fresques murales du célèbre peintre Saliba Douaihy, originaire de Zghorta. D'une valeur inestimable, ces fresques constituent un tournant majeur dans l'histoire de la peinture sacrée chez les maronites : c'est la première fois que cette peinture se libère de l'emprise de l'art de la Renaissance européenne, pour revenir aux sources orientales les plus anciennes, saisies dans une synthèse personnelle créatrice.
Votre tournée touristique à caractère religieux est loin d'être exclusivement teintée de beauté uniquement artistique. Une fois sorti de l'église, dirigez-vous vers l'ancienne ville de Zghorta, vers les quartiers et les maisons groupées autour de la Vierge de Notre-Dame de Zghorta, aux bras grands ouverts. En entrant par l'une des sept vieilles portes voûtées de l'église, vous ferez mieux de baisser la tête.
Toutes petites, ces portes ont été construites de la sorte pour des raisons militaires, puisque les Ottomans avaient l'habitude d'entrer à cheval dans les églises pour les détruire. Pieuses, les vieilles femmes expliquent l'architecture différemment. À leur avis, baisser la tête en entrant dans l'église serait un signe de soumission à Dieu. Mi-église, mi-forteresse, Notre-Dame de Zghorta constitue un parfait modèle de l'architecture traditionnelle maronite, dénuée de toute influence, européenne ou autre.
Notre-Dame de Zghorta, la Vierge patronne de la ville, ne vit pas loin des habitants. Toutes les anciennes maisons ont été construites dans les alentours de l'église et leurs propriétaires se disent fiers d'être les voisins de la Vierge qui porte le nom de leur cité. Dans les replis des sentiers qui mènent vers l'église, les maisons sont entassées l'une au-dessus de l'autre et les unes à côté des autres. Toujours à pied, il fait bon se promener dans ces allées, se rappeler la société libanaise d'antan, du temps où les voisines s'envoyaient au quotidien, en guise de cadeau, des assiettes de kebbé et de moujaddara.
En temps normal, les quartiers d'as-Saydé sombrent, dès la tombée de la nuit, dans un bleu calme et serein avant que tout le paysage ne disparaisse dans le noir. Mais ce week-end, l'ancien centre de Zghorta est au rendez-vous avec les célébrations de la Fête de la musique. Aujourd'hui et demain, les chants, la musique et la danse occuperont les petites ruelles, remplaçant ainsi les assiettes envoyées remplies et rendues vides. Le programme est chargé.
Ce soir, les performances débutent à partir de 20h30. À 21h30, ne manquez pas d'assister au spectacle dansant de Nadine Fenianos et son équipe « Art Vibes », une jeune danseuse à la chevelure dorée et au sourire lumineux dont les pas vous feront chavirer. Le lendemain, le rendez-vous est fixé à la même heure. Ne ratez surtout pas la performance de la chanteuse Maria Douaihy, à 21h30, et laissez-vous bercer par une voix douce et lyrique qui, dans un cadre comme celui de l'ancienne Zghorta, vous emportera vers vos souvenirs enfouis au plus profond de vous-même. Et pour bien clore ce festival, la soirée sera couronnée par une performance du très célèbre chanteur Marwan Khoury.
Jusqu'ici, vous n'avez toujours pas besoin de votre voiture. À 400 mètres de l'église Notre-Dame de Zghorta se situe la Mirdachiyé. Demandez à n'importe quel passant dans le quartier de vous guider vers la rivière. Mais attention, vous risquez de vous faire inviter à déjeuner chez la personne qui, normalement, devrait vivre tout près. Refuser l'invitation ne va pas être facile, mais faites-le quand même parce qu'une variété de cuisine zghortiote succulente vous attend au restaurant Beit el-Cheykha, au bord de la rivière de Mirdachiyé.
Contrairement aux nombreuses séries de restaurants, souvent regroupés sous l'appellation anglaise de « villages », qui poussent ici et là dans toutes les régions du pays et qui ne ressemblent en rien à des villages, la région de la Mirdachiyé est, elle, authentique. Elle est verte avec ces platanes qui la surplombent et la rivière qui coule paisiblement au-dessous du monastère et des deux restaurants qui s'y trouvent. À l'abri de la chaleur qui étouffe les habitants pendant la saison d'été, et qui les pousse à fuir vers Ehden, installez-vous sur l'un des canapés vert et blanc de Beit el-Chaykha et faites-vous servir une variété interminable de kebbés zghortiotes. Si vous avez la chance de rencontrer le propriétaire ou l'un de ses deux fils, n'engagez surtout pas avec eux une conversation sur l'histoire riche et curieuse de Zghorta, vous risquerez d'y passer mille et une nuits.
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