L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani (à droite), accueillant en 2016 le roi Salmane d’Arabie saoudite. Archives/Saudi Press Agency/Handout via Reuters
Riyad aurait pu croire à un affront. Alors que l'Arabie saoudite et ses alliés annonçaient, lundi dernier, la fin des relations diplomatiques avec Doha, l'émir qatari recevait, quelques heures plus tard, Youssef el-Qaradaoui, le guide spirituel des Frères musulmans. Un pied-de-nez aux Saoud, alors que le royaume reprochait notamment à l'émirat de financer le terrorisme par l'intermédiaire de cette mouvance islamiste. L'accueil de l'imam réaffirme la relation amicale qu'entretient le Qatar avec l'organisation fondamentaliste, que l'émirat mis en quarantaine aura du mal à rompre sans renoncer du même coup à ses ambitions régionales. La question qui se pose est simple. Qu'est-ce que Doha finira par privilégier : son influence, loin d'être garantie aujourd'hui à l'aune du poids politique des Ikhwan, ou la stabilité, relative là aussi, dans le giron de la umma sunnite ?
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Rayonnement régional
Pour Karim Émile Bitar, spécialiste du Moyen-Orient, la rupture demandée avec les Frères musulmans par l'Arabie saoudite est « une exigence qui sera difficilement acceptable pour le Qatar ». Depuis de longues années maintenant, le petit émirat voit cette organisation comme un moyen d'asseoir son influence dans la région. Doha héberge ainsi de nombreux membres de la confrérie et leur procure les moyens financiers nécessaires à leur implantation en dehors de ses frontières. Ses émirs misent sur la fidélité du groupe. En échange, le pays espère élargir son rayonnement régional, en plaçant ces islamistes à la tête de certains pays. « Un retour sur investissement », commente M. Bitar. L'accession au pouvoir de la confrérie permettrait ainsi au Qatar de se démarquer du wahhabisme saoudien et d'affirmer sa légitimité dans les territoires arabes.
Le divorce entre l'organisation islamiste et Doha apparaît dès lors peu envisageable sans une refonte de la politique étrangère qatarie. Mais le grand perdant d'une telle désunion resterait la confrérie elle-même. Selon le géographe Medhi Lazar, « le prix à payer sera certainement plus élevé pour les mouvements issus de la confrérie, que le Qatar a soutenus financièrement et médiatiquement, à travers sa chaîne de télévision al-Jazira ». Alors que le Qatar offre, via ce média, un écran de visibilité internationale à l'idéologie des Ikhwan, le mouvement peut s'attendre à une perte significative de son pouvoir d'attraction si Doha se plie aux exigences de Riyad. Il en avait déjà fait les frais en 2014, alors que l'Arabie saoudite avait donné un premier avertissement au Qatar en rappelant, avec Abou Dhabi et Bahreïn, son ambassadeur dans l'émirat. Sept cadres hauts placés des Frères musulmans avaient alors été expulsés du pays. D'autres avaient été interdits d'antenne sur la chaîne qatarie. Une première crise qui avait notamment trouvé sa source dans les soulèvements de 2011. Les Frères musulmans y avaient vu une opportunité pour s'affirmer en véritable force politique. Ils entreront finalement dans une période noire, listés depuis par plusieurs pays comme organisation terroriste.
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Deux islamismes
À l'aune des révolutions arabes, le bras de fer entre les deux pays voisins s'était en effet musclé. Alors que le modèle des Ikhwan profite des premiers soulèvements pour tenter d'accéder au pouvoir dans des pays comme la Tunisie, l'Égypte et la Libye, le Qatar redouble d'efforts pour voir les Frères musulmans se hisser à la tête de ces États. En juin 2012, c'est chose faite en Égypte. Un choc pour l'Arabie saoudite, qui ne supporte pas qu'un concurrent direct à son modèle politique prenne les rênes du pouvoir. « Deux formes d'islamismes se font alors face », selon Karim Bitar, « un islamisme radical (NDLR : incarné par l'Arabie saoudite) qui soutient un statu quo dans la région, et un islamisme politique (NDLR : promu par les Frères musulmans et le Qatar) qui joue le jeu des élections ». Les profits que le Qatar espère tirer de cette nouvelle configuration régionale ont à peine le temps de se dessiner que Mohammad Morsi est démis de ses fonctions, évincé par un putsch militaire, soutenu par Riyad, qui place l'actuel président Sissi à la tête de l'Égypte. Pour Karim Bitar, le Qatar « a succombé à son hubris ». En 2013, il se trouve alors en position de faiblesse face à la monarchie saoudienne.
C'est le moment que choisit l'Arabie saoudite pour rappeler une première fois à l'ordre le Qatar, au début de l'année 2014. Quelques mois seulement après que l'Arabie saoudite eut officiellement inscrit les Frères musulmans sur sa liste des organisations terroristes, le message est clair pour le Qatar : s'il veut se remettre en selle avec ses voisins sunnites, il devra abandonner son soutien à l'organisation. Huit mois après la rupture, Doha fait alors un pas vers la monarchie pétrolière pour trouver une résolution à la crise. Trois ans plus tard, les concessions faites par le pays ne semblent pourtant pas avoir suffisamment convaincu les pays du Golfe, qui ont renouvelé la semaine dernière leur mise au ban de l'émirat.
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15 h 24, le 13 juin 2017