Tracer des lignes rouges. Ou plutôt imposer ses lignes rouges à tout acteur susceptible de contrarier ses plans : c'est de cette manière que Washington a pour l'instant décidé de gérer la crise syrienne, depuis l'arrivée au pouvoir de l'administration Trump. Contrairement à l'administration Obama, peu encline à s'engager davantage dans la lutte contre l'État islamique en Syrie, la nouvelle équipe au pouvoir n'hésite pas à intervenir militairement, ou à menacer de le faire, pour défendre ses intérêts. Les Américains avaient donné un premier aperçu, plutôt soft, de cette nouvelle approche en mars dernier, alors que les Turcs menaçaient de lancer une offensive contre la ville de Manbij, aux mains du PYD kurde (Parti de l'union démocratique), principal allié de Washington dans la lutte contre l'EI en Syrie. Les 4x4 américains et leurs drapeaux étoilés avaient circulé à découvert dans la ville, afin d'envoyer un message très clair aux Turcs : « N'allez pas plus loin. » Quelques semaines plus tard, c'est la version plus hard qui a été employée en réponse à l'attaque chimique, qui a fait au moins 86 morts dont 30 enfants, imputée au régime syrien, contre la ville de Khan Cheikhoun : 59 missiles Tomahawk ont été lancés contre la base syrienne d'al-Chaayrate. Une manière pour l'administration Trump de définir sa propre ligne rouge, l'utilisation d'armes chimiques, et de se démarquer de l'administration Obama, sans pour autant remettre en question la stratégie américaine en Syrie. C'était la première fois que les Américains ciblaient volontairement les forces gouvernementales depuis le début de la guerre en Syrie. Mais clairement pas la dernière.
(Lire aussi : Attaque sanglante de l'EI dans la province de Hama : plus de 50 morts)
« Jugée agressive »
Sans que cela provoque la même stupeur sur la scène internationale, les États-Unis ont bombardé hier soir un convoi lié au régime syrien près de la frontière jordanienne. « La coalition a frappé des forces prorégime (...) qui posaient une menace pour des forces américaines et des forces alliées (syriennes) à Tanaf », près de la frontière jordanienne, a déclaré le colonel Ryan Dillon, un porte-parole militaire de la coalition antijihadiste commandée par Washington.
Un autre responsable américain a précisé à l'AFP, sous le couvert de l'anonymat, que les forces prorégime frappées étaient « probablement » des milices chiites, sans être plus précis sur leur identité. Le régime de Damas n'a pour sa part pas confirmé dans l'immédiat la frappe américaine. Encore une fois, la décision n'est pas la conséquence d'un revirement stratégique américain. Le secrétaire américain à la Défense Jim Mattis s'est empressé d'assurer que les États-Unis ne cherchaient pas à « augmenter leur rôle » dans la guerre civile mais défendraient leurs troupes si elles sont menacées. L'offensive menée par les forces du régime vers l'est syrien a donc été jugée comme « agressive » par Washington, notamment car le camp de Tanaf est utilisé par les forces spéciales américaines et britanniques pour former des rebelles syriens se battant contre l'EI.
Mais l'enjeu dépasse la simple protection du camp. C'est une véritable course à la conquête du sud-est syrien, pour le contrôle de la frontière irakienne et de la province de Deir Ez-Zor, riche en ressources, que se livrent les forces du régime et les rebelles affiliés à l'Armée syrienne libre (ASL) soutenue par les Américains. La collision entre les deux forces semblait inévitable, depuis que les troupes loyalistes et leurs alliés iraniens ont fait de la reprise de cette région un objectif primordial. Pour plusieurs raisons : pouvoir remettre la main sur la « Syrie inutile », indispensable du fait de ses ressources pour la viabilité du régime ; éviter un repli de l'EI sur Deir Ez-Zor en cas de perte de Raqqa ; empêcher les Américains de s'installer durablement dans la région ; et surtout former un axe continu avec l'Irak qui permet de tracer une ligne Damas-Bagdad-Téhéran, via le sud de la Syrie. Un croissant chiite sur lequel les Américains viennent de tracer une nouvelle ligne rouge.
Lire aussi
Le régime syrien en passe de contrôler totalement Damas
Après l’accord d’Astana, l’armée syrienne fait cap vers l’Est
Pour mémoire
Quand les frappes US en Syrie divisent les alliés de Trump
Ce que les rebelles syriens attendent désormais d’« Abou Ivanka el-Ameriki »
LA DANSE A COMMENCE ! GARE A CEUX QUI CROYAIENT ALLER DANSER SEULS ET IMPUNEMENT... GARE !
17 h 40, le 19 mai 2017