Et s'il n'y avait pas eu cette foutue guerre, que se serait-il passé ? Comment auraient été nos vies ? Sans doute que ces quelques lignes auraient été écrites depuis l'autre rive de la Méditerranée. Sans doute que mes parents, mon frère et mes sœurs, ma famille et mes amis habiteraient le même quartier, la même ville, le même pays ; que l'arabe serait ma langue maternelle. Sans doute aurais-je parlé français, avec plus de musique dans mes intonations.
Sans doute que mes étés sentiraient davantage le jasmin et les bougainvilliers, et que mes hivers seraient plus doux. Sans doute que je vérifierais par moi-même et chaque année s'il est vraiment possible de skier et de se baigner dans la même journée. Sans doute que les ruelles, les rues et les impasses de Beyrouth n'auraient pas changé et qu'elles seraient les miennes. J'y aurais joué aux billes ou au ballon contre un mur jaune ocre. Je serais né dans cette ville, j'y aurais grandi, étudié, travaillé. Sans doute ne parlerions-nous pas d'émigration ou d'exil. Peut-être aurions-nous moins peur du lendemain; peut-être que nous ne danserions pas constamment sur un volcan prêt à se réveiller.
Peut-être que ce volcan dormirait pour l'éternité. Sans doute aurais-je été moins nostalgique d'un passé méconnu ou impossible.
Sans doute que nos vies auraient été différentes.
Jean-Paul ACHKAR
Paris
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