J’ai honte de dire que mon père fait partie du gouvernement !

L'autre jour, mes copains m'ont demandé ce que faisait mon père ! J'ai hésité, baissé les yeux et répondu : ouvrier dans une usine agricole ! J'ai préféré inventer ce métier noble plutôt que d'avouer ce qu'il faisait réellement. Pourquoi ? Parce que j'ai honte de dire que mon père est membre du gouvernement. J'ai honte des insultes et injures que lancent mes copains à longueur de journée à l'encontre de ces politiciens dont fait fièrement partie mon père. J'ai honte de tout ce qu'ils pensent d'eux, de la hargne avec laquelle ils les traitent, en pleine rue, de « poubelles », de « voleurs », d'« assassins du peuple », d'« arnaqueurs », « de « paresseux » et de  profiteurs », sachant pertinemment que mes copains ont parfaitement raison.
J'ai honte des discours débiles, mensongers, ridicules et dépourvus de sens que lancent tous les soirs ces politiciens au peuple, qui attend des actes plutôt que des paroles, et qui donnent surtout « envie de vomir », m'a lancé l'autre jour mon copain Omar, après un passage de mon père à la télévision ! J'ai honte de leurs bassesses, a-t-il ajouté, et des décisions qu'ils prennent, faisant fi de la misère et des besoins réels des citoyens. J'ai honte de ce scandaleux cortège de voitures, cet étalage de chauffeurs et de « bodyguards » que mon père et tous les membres de ce gouvernement arborent fièrement à chacun de leurs déplacements ; « question de sécurité », m'a-t-il précisé avec un clin d'œil, payé « avec l'argent du peuple », m'a encore lancé ironiquement Omar.
J'ai honte du salaire mirobolant et des « largesses » que mon père accepte sans aucun scrupule, « pour services rendus à la société », alors que beaucoup d'autres travaillent deux fois plus que lui, cumulent deux boulots et n'arrivent jamais à boucler la fin du mois. J'ai honte de l'attitude hautaine, arrogante et dédaigneuse qu'il affiche depuis qu'il fait partie de ce gouvernement, lui qui a toujours été humble et respectueux envers les autres.
J'ai honte, et je ne le comprends plus ! Comment lui, cet homme intègre et honnête dont j'étais tellement fier, accepte-t-il aujourd'hui toutes ces injures et ces insultes sans en être affecté ? Comment ose-t-il paraître encore devant son peuple avec tant de désinvolture et d'arrogance ? Est-ce que cet univers corrompu, faux, sale, pourri qu'est la politique grise ces hommes au point de leur ôter toutes leurs valeurs ? Est-ce que cette aura dans laquelle ils baignent effacent en eux toute dignité et tout respect de soi, au point de les rendre sourds et ne plus entendre ce que le peuple pense d'eux ?
Aujourd'hui, j'aurais tellement aimé que mon père soit un simple ouvrier travaillant dans une usine agricole ou faisant un métier noble comme les papas de mes copains, dont ils sont tellement fiers. Il ne se serait jamais permis d'enfreindre les lois. Il n'aurait jamais été insensible à la misère des autres. Il n'aurait jamais pensé voler son peuple. Et surtout, il n'aurait jamais été traité par la foule de « poubelle », de « voleur », d'« arnaqueur » et d'« assassin du peuple ».