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Liban - Reportage

Les magistrats lèvent leur mouvement de grève après avoir reçu « des promesses formelles »

Dans les dédales du Palais de justice, les salles d'audience étaient désertes, hier. Seuls les détenus verront leur dossier avancer.

À la porte d’une salle d’audience, un papier informant du report de la séance, suite à la décision d’abstention du CSM. Photo Anne-Marie el-Hage

Après trois jours d'abstention, la magistrature a annoncé hier soir la levée de son mouvement de grève. La reprise serait donc effective aujourd'hui. Dans un communiqué publié en fin d'après-midi, le Conseil supérieur de la magistrature reconnaît avoir reçu « des promesses formelles » et des marques de soutien à ses revendications concernant la grille des salaires, basées sur le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire et sur la nécessité de ne pas porter atteinte à ses mécanismes de fonctionnement. Il salue à ce propos les positions des trois pôles du pouvoir, le président de la République, le président du Parlement et le Premier ministre, celles aussi du ministre de la Justice, des députés et des barreaux de Beyrouth et de Tripoli.
La décision des magistrats de lever la grève a été prise en concertation avec le président du Conseil d'État et le président de la Cour des comptes, précise le communiqué. Le CSM invite donc les juges à « assumer leur mission dès aujourd'hui, pour rendre justice et appliquer la loi ». Il leur promet de « continuer de veiller à la dignité, à l'indépendance et au bon fonctionnement de la magistrature ».

Il n'y avait pas foule, hier, dans les dédales du Palais de justice de Beyrouth. Les salles d'audience étaient désertes. Avec pour seule explication une feuille de papier parfois affichée à la porte, informant de la décision d'abstention des magistrats et du report de la séance. Les visiteurs faisaient pourtant la queue à l'entrée du bâtiment, pour le contrôle sécuritaire de routine. Ils arpentaient les locaux toujours en chantier, à la recherche d'une salle d'audience, d'un juge, d'un fonctionnaire susceptible de faire avancer leur formalité. Le va-et-vient était digne d'une journée ordinaire, certes, mais c'était « beaucoup de mouvement pour rien », comme le constatait une soldate qui discutait avec une collègue. Car la grande majorité des visiteurs repartaient bredouilles, et certains avec agacement. « Pourquoi ne m'avez-vous pas prévenue qu'il n'y avait pas d'audience aujourd'hui ? » a demandé en sortant une femme à l'agente sécuritaire chargée de l'accueil. « Vous ne m'auriez pas crue, et ce n'est pas à moi de vous le dire », a répondu la soldate.

Pour la troisième journée consécutive, la magistrature était donc en grève hier. Plus exactement, les juges et les procureurs se sont abstenus d'apposer leurs signatures. « Je ne signerai pas la moindre décision, jusqu'à ce que les mesures prises à l'encontre des magistrats soient levées », déclarait un juge à L'Orient-Le Jour, sous couvert d'anonymat. Il est alors resté dans son bureau, comme la plupart de ses confrères, histoire de protester contre le projet de loi sur l'échelle des salaires. Pris de court par ce mouvement de grève, nombre de visiteurs ont bien tenté d'insister, espérant accélérer leurs formalités. Mais la grande majorité d'entre eux a été déboutée. Tel ce jeune homme qui portait plainte pour agression, pris en charge par un greffier et prié de revenir le lendemain. Ou cette femme âgée, qui suppliait ce même greffier, en vain. Seuls les dossiers des détenus étaient traités par les juges comme à l'accoutumée. Pas question pour les magistrats de ralentir ces procédures, ou celles de tout dossier considéré comme urgent, lié à la privation de liberté. Menottes aux mains, des groupes de jeunes étaient conduits à la queue leu leu auprès d'un juge par des agents sécuritaires en civil. Leur audience aura bien lieu. Émue jusqu'aux larmes, une jeune femme saluait la décision de remise en liberté de son époux.

 

(Lire aussi : Les professions libérales haussent le ton)

 

Des revendications fermes
À mesure que la journée avançait, les promesses de la classe politique se faisaient plus concrètes. Un responsable haut placé de la magistrature, qui a requis l'anonymat, reconnaissait « avoir reçu des assurances sincères » de la part des pôles du pouvoir. Mais il continuait de marteler les revendications du pouvoir judiciaire, à savoir d'abord le refus des magistrats que leurs allocations familiales et leur couverture médicale soient unifiées avec celles des fonctionnaires. Leur refus aussi que le barème de leurs allocations soit revu à la baisse. « Nous sommes un pouvoir indépendant. Il est hors de question que les affaires sociales des magistrats soient traitées avec celles des fonctionnaires. Cela porterait atteinte au niveau de vie des juges, à leur indépendance surtout. » Le magistrat regrettait aussi que le CSM n'ait pas été consulté avant la mise en place du projet de loi, accusant le gouvernement d'aller « à l'encontre de l'article 5 de la loi sur l'organisation judiciaire ».

Autre point de discorde avec les autorités, les vacances judiciaires que le projet de loi entend ramener de deux mois à un mois. « Nous faisons face à un stress très important tout au long de l'année. Or les vacances judiciaires nous permettent non seulement de lever le pied, mais d'étudier nos dossiers. C'est pourquoi le congé judiciaire est une nécessité, d'autant qu'il y a des permanences », expliquait-il, tout en effectuant des comparaisons avec d'autres pays comme la France ou l'Égypte. Enfin, les magistrats refusent catégoriquement que les hauts fonctionnaires perçoivent un salaire plus élevé qu'eux, comme proposé par la nouvelle grille des salaires. « En 2011, le corps judiciaire a obtenu des réajustements salariaux, compte tenu qu'il était considéré comme exceptionnel. Nous pousse-t-on aujourd'hui à douter de nous? » concluait le responsable.
La réponse se fait toujours attendre, le Parlement en séance plénière n'ayant toujours pas abordé les discussions sur la grille des salaires.

 

 

 

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