Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

« La folie est un produit de la lutte des classes »

Crédit Bigstock

Qui oserait défendre aujourd'hui une position pareille ?
Évidemment personne. Non pas qu'il n'y a plus personne pour croire à la lutte des classes aujourd'hui. Seulement, dans les années 60, années de révolution et de mise en cause radicale du capitalisme et de la société de consommation, tout était possible. Cependant, l'affirmation de Franco Basaglia est fausse. Les fous subissaient le pouvoir des classes dominantes, mais ce n'est pas pour autant que la lutte des classes produisait la folie. La déduction de Basaglia est rapide, comme l'est aujourd'hui celle des psychiatres qui croient que la schizophrénie est une maladie du cerveau. Ce n'est pas parce que le traitement biologique par les médicaments est très efficace pour soigner la schizophrénie que la schizophrénie est une maladie biologique du cerveau.

L'expérience alternative de Franco Basaglia (1924-1980) est peut-être la plus originale parmi les expériences alternatives à la psychiatrie asilaire que nous avons vues précédemment. Elle amena l'Italie à promouvoir une loi qui ferma les hôpitaux psychiatriques, la loi 180. Nous avons vu qu'avec l'ouverture par Laing et Cooper d'une « maison pour les fous », Kingsley Hall, la Grande-Bretagne avait annoncé la fermeture à terme de ses asiles. La France, quant à elle, comptait sur sa « politique de secteur » pour transformer la prise en charge des patients. L'hôpital psychiatrique n'était plus le noyau, le pivot des soins. Les structures annexes, comme les dispensaires, les hôpitaux de jour, les appartements thérapeutiques, etc., devenaient l'élément principal des ces soins. On soignait les patients psychiatriques dans leur lieu de vie ce qui, à terme, diminuait beaucoup le nombre des hospitalisations, de même que la durée des séjours hospitaliers. Ce qui n'était pas sans créer des problèmes à court terme avec les syndicats qui subissaient la baisse de la main-d'œuvre hospitalière.

Quant aux États-Unis, comme toujours lorsqu'il s'agit d'expériences alternatives et révolutionnaires, ils font tout à l'envers. Ainsi, comme l'a constaté Jacques Hochman, Les antipsychiatres, une histoire, la fermeture massive des hôpitaux psychiatriques, sans aucune préparation, « précipitait dans les rues et les parcs une nouvelle population de sans-abri qui débordait les possibilités d'accueil des centres communautaires de santé mentale ».

Quant à Basaglia, pour fermer l'hôpital psychiatrique de Trieste (plus de mille lits), il lui a fallu environ 10 ans. Il devait préparer la population de Trieste. Non pas pour augmenter seulement leur tolérance, mais pour intégrer les fous au monde du travail.
Franco Basaglia parle du « vide qui se creuse au lendemain de la mort de l'asile, le définissant comme un moment heureux où l'on pouvait commencer à aborder les problèmes de façon différente ». En effet, il ne fallait pas avoir peur du « vide » sans lequel il n'y a aucune création possible. En psychiatrie, comme dans n'importe quel autre domaine, politique, social, culturel, etc., l'asile est une solution de facilité. Il fait de la médecine mentale une médecine spéciale, une médecine de réclusion, alors que la médecine mentale doit avoir sa place dans le monde médical, comme n'importe quelle autre spécialité. Tout hôpital général devrait avoir un service de psychiatrie. Mais cela ne va pas sans préparation du milieu hospitalier qui, comme n'importe quel autre microcosme social, a des réflexes de peur, de rejet et de stigmatisation qui sont une source de souffrance supplémentaire pour les fous.

C'est ce qu'a fait Basaglia à Trieste. Avec l'aide du Parti communiste italien et des syndicats, progressivement, la ville de Trieste accepta l'idée que les fous avaient leur place dans le monde du travail. Il ne s'agit nullement de nier la « maladie mentale », au contraire. Il s'agit juste de redonner leur place à ceux qui ont été exclus, rejetés, stigmatisés du fait d'une souffrance psychique incompréhensible par les autres. Fermer les asiles ne signifie pas nier la nécessité des soins, mais exercer ces soins dans le milieu de vie des patients. Et les hospitaliser quand il le fallait dans un service psychiatrique intégré à un hôpital général. La différence est gigantesque. Ainsi, la folie n'est plus considérée comme « un déficit de normalité », point sur lequel se rejoignent la psychanalyse et l'antipsychiatrie. Et bien sûr « la santé est le miroir de l'altérité », n'en déplaise à Donald Trump, qui est obsédé par l'abolition de l'Obamacare.

En une journée ensoleillée de 1978, pour fêter la fermeture de l'hôpital psychiatrique de Trieste, tous les amoureux d'une psychiatrie alternative étaient là : Franco et Franca Basaglia, Thomas Szasz, Ronald Laing, David Cooper, Maud Mannoni, Jean Oury, Félix Guattari, Robert Castel, Elisabeth Roudinesco et bien d'autres.
J'y étais.

 

Dans la même rubrique

Histoire, humour, musique, chansons, folklore et culture : la vraie identité des Libanais.

L'humour des Libanais, meilleure arme contre les guerres d'occupation

L’humour des Libanais, meilleure arme contre la guerre

Qui oserait défendre aujourd'hui une position pareille ?Évidemment personne. Non pas qu'il n'y a plus personne pour croire à la lutte des classes aujourd'hui. Seulement, dans les années 60, années de révolution et de mise en cause radicale du capitalisme et de la société de consommation, tout était possible. Cependant, l'affirmation de Franco Basaglia est fausse. Les fous subissaient le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut