Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’humour des Libanais, meilleure arme contre les guerres d’occupation

Nous avons vu la dernière fois comment l'humour et le rire pouvaient être salvateurs et permettre de dépasser la terreur de la guerre, la crainte de la mort, voire la mort elle-même. Pendant la guerre et ses longues années de haine, de frérocité, de destructions et de mort, l'occupant israélien mais aussi l'occupant syrien eurent à se défendre eux-mêmes contre l'humour des Libanais.

Lors de l'invasion israélienne de 1982, alors que les Israéliens avançaient en territoire libanais, les Libanais du Sud se moquaient d'eux du fait que la livre libanaise restait stable alors que le shekel israélien perdait de sa valeur de jour en jour : « C'est vous qui nous occupez et pourtant notre livre libanaise reste stable et plus forte que votre shekel. » Cet humour, bien de chez nous, permettait aux Libanais de se moquer des Israéliens, pendant que l'occupation battait son plein. L'humour permet de renverser le rapport de force, en permettant au désir inconscient de traverser la barrière de la censure.

Pendant l'occupation syrienne, les blagues à propos des barrages syriens faisaient le bonheur des Libanais. Ainsi, un Libanais se fait arrêter à un barrage syrien, il roulait en Coccinelle, une Volkswagen dont le moteur était à l'arrière.
- « Qu'est-ce que tu as dans ton coffre arrière wla (mot intraduisible, utilisé pour rabaisser et humilier l'interlocuteur) ? », demande le soldat syrien, avec l'accent typique, qui, à lui seul, était source de moquerie pour les Libanais.
- « Rien, le coffre est vide », répond le conducteur libanais.
- « Tu te moques de moi, j'entends le bruit d'un moteur, tu as volé un moteur et tu n'as même pas pris le soin de l'arrêter de tourner ? »
Un autre Libanais qui transportait un coq dans son coffre se fait arrêter toujours à un barrage syrien.
- « Qu'est-ce que tu as dans ton coffre, j'entends un bruit ? », demande le Syrien.
- « Un coq », répond le Libanais.
- « Ah bon, tu portes un coq dans ton coffre, et comment tu lui donnes à manger ? »
- « Je lui laisse du blé à côté de lui. »
- « Du blé, tu lui donnes du blé alors que les gens meurent de faim », dit le Syrien furieux en lui ordonnant de rouler.

Un peu plus loin, alors que le coq s'était mis à chanter, il se fait arrêter sur un autre barrage.
- « Qu'est-ce que tu as dans ton coffre wla ? J'entends le chant d'un coq. »
- « En effet, c'est un coq. »
- « Qu'est-ce que tu lui donnes à manger ? »
- « De l'avoine », répond le Libanais agacé (les Syriens ne pensaient qu'à leur ventre, comme Averell Dalton), et qui se fait engueuler pour les mêmes raisons, mais on le laisse partir.
Au troisième barrage, un sous-officier syrien lui pose la même question.
- « Qu'est-ce que vous donnez à manger à votre coq ? »
- « Ah, y en a marre, je lui donne son argent de poche et il se débrouille tout seul. »
Un autre exemple de barrage syrien met aux prises un Libanais qui transportait dans son coffre de petits diamants, des vrais. Il pensait, comme dans La lettre volée, le conte d'Edgar Poe, qu'en disposant les diamants de manière négligée, au vu et au su de tout le monde dans le coffre, personne ne les verrait.
Or, le sous-caporal syrien les a vus, il devait avoir lu Poe...
- « Qu'est-ce que vous avez dans votre coffre ? »
- « Des diamants. »
- « Pourquoi faire ? »
- « Pour les donner à manger à mes poules. »
- « Vos poules mangent des diamants ? »
- « Qu'elles en mangent ou qu'elles n'en mangent pas, moi je les leur offre. »

Les blagues à propos des barrages syriens sont légendes au Liban. Le barrage est une manifestation du pouvoir que les occupants du monde entier et de tous les temps exercent sur les citoyens du pays qu'ils occupent. Au Liban, elles avaient une connotation spéciale, le caprice des Syriens, caprice qui étouffe et enrage les Libanais jusqu'à aujourd'hui.

Ce caprice apparaît nettement dans la blague suivante :
Un Libanais fuyant la guerre au pays s'arrête quelques jours à Damas. Attablé à un restaurant avec sa famille, il demande du pain au garçon. Agacé, le garçon lui dit d'aller en chercher à la boulangerie d'à côté. Il y va et trouve la boulangerie vide avec le boulanger qui mettait de la pâte au four.
- « Bonjour monsieur, je voudrais du pain s'il vous plaît. »
- « Attends ton tour. »
- « Mais il n'y a pas d'autres clients que moi. »
- « Attends ton tour je te dis. »
- « Mais... »
- « Attends ton tour je te dis, tu es libanais, cela se voit, c'est normal qu'il y ait la guerre chez vous, vous êtes tellement indisciplinés vous les Libanais. »
Rabroué une troisième fois, le Libanais n'en peut plus. Il s'approche du boulanger, toujours occupé avec son four, et lui donne une forte claque sur le cou.
- « Mais qui m'a frappé ? », dit-il furieux en se retournant.
- « Je ne sais pas dit le Libanais, il y a tellement de monde. »

Toutes ces blagues qui mettent en évidence l'intelligence des Libanais contre la naïveté et la niaiserie des Syriens nous faisaient rire aux éclats, particulièrement la dernière. Et ce sont les Libanais installés à Paris, dans les autres grandes et moins grandes villes européennes et américaines, loin de Beyrouth et de sa frérocité, qui trouvaient dans ces blagues de quoi s'identifier les uns aux autres, comme libanais.

 

Dans la même rubrique

L’humour des Libanais, meilleure arme contre la guerre

« Pile je gagne, face tu perds », un paradoxe qui peut rendre fou

 Le message paradoxal (double bind) et la schizophrénie (suite)

Le discours collectif autour de la schizophrénie aboutit à la ségrégation du fou (suite)

La schizophrénie n'est ni une fatalité ni une malédiction

Nous avons vu la dernière fois comment l'humour et le rire pouvaient être salvateurs et permettre de dépasser la terreur de la guerre, la crainte de la mort, voire la mort elle-même. Pendant la guerre et ses longues années de haine, de frérocité, de destructions et de mort, l'occupant israélien mais aussi l'occupant syrien eurent à se défendre eux-mêmes contre l'humour des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut