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Culture - Entretien

Véronique Aulagnon : Ce qui me frappe ? Ces murs culturels, au Liban, qui n’existent plus...

Jeune, moderne, dynamique, la nouvelle directrice de l'Institut français du Liban, et conseillère de coopération et d'action culturelle à l'ambassade de France, reflète l'image idéale d'une francophonie plus décontractée et plus dans l'air du temps. Rencontre.

Cela faisait longtemps que Véronique Aulagnon rêvait du Liban... Photo Michel Sayegh

À Beyrouth depuis « le 3 octobre dernier », Véronique Aulagnon s'exclame : « J'ai l'impression d'être ici depuis beaucoup plus longtemps tellement il m'est arrivé de choses ! » Ce n'est pourtant pas le premier poste à l'étranger de cette diplomate de carrière qui, en quelques années, a glané de l'expérience dans plusieurs domaines, notamment économiques, écologiques et de coopération culturelle. En ce Mois de la francophonie, marqué aussi par la Journée de la femme, L'Orient-Le Jour a choisi de présenter la nouvelle directrice de l'Institut français du Liban et de l'interroger sur sa « programmation 4.0 » en 2017.

 

Parlez-nous de votre parcours. Qu'est-ce qui vous a amené à la diplomatie et, par conséquent, au Liban ?
Je n'ai pas rêvé depuis toute petite d'être au Quai d'Orsay. Et en ce sens, mon parcours n'est pas classique. J'ai commencé par décrocher un bac scientifique, option maths, avant de faire une classe préparatoire littéraire au Lycée Henri IV à Paris. Puis, j'ai passé le concours de l'École normale supérieure que j'ai réussi et, du coup, j'ai suivi des études de lettres. Je suis normalienne comme on dit. Mais comme j'avais envie d'être plus dans l'action, moins dans l'enseignement et la recherche, j'ai suivi en parallèle le cursus de Sciences Po. Et c'est là que j'ai découvert les métiers de la diplomatie. J'ai débuté ma carrière à la direction des Affaires économiques, où j'étais en charge des questions de développement. Ensuite j'ai été en poste dans les grands lacs africains, où je représentais l'Union européenne pour la mise en œuvre des accords de paix avec le Congo. C'était une expérience humaine extrêmement forte qui a ouvert mon horizon. De retour à Paris, j'ai été chargée de la préparation des sommets du G8 et du G20, avant d'être à nouveau en poste au Maroc, puis à Washington, dans le domaine de la coopération.

Par la suite j'ai rejoint le cabinet de Laurent Fabius, en tant que « madame climat ». J'ai participé à la préparation de la conférence Cop 21 et je me suis beaucoup occupée aussi de Nations unies, de Conseil de sécurité et de francophonie, durant le mandat de Jean-Marc Ayrault également. Et puis, l'été dernier, j'ai eu envie de faire quelque chose de plus concret, de la gestion de projet, dans cette région du monde en particulier. Cela faisait longtemps que je rêvais du Liban, en famille, car mon compagnon est lui aussi diplomate, spécialiste de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ce pays m'intriguait, m'attirait... Et voilà, quand l'occasion d'y venir s'est présentée, de façon assez inattendue, j'ai immédiatement dit oui.

 

Dans votre introduction de la programmation 2017 de l'Institut français du Liban vous avez affirmé : « Notre mission, c'est d'être des instigateurs, des médiateurs. » Pouvez-vous développer un peu cette idée ?
Nous avons beaucoup réfléchi, avec l'équipe, sur le sens de notre mission dans ce pays où la vie culturelle est extrêmement riche. Et où elle existe fondamentalement indépendamment de l'Institut français. Il nous fallait donc agir dans le sens d'un apport de soutien et de projets en commun. Certes, nous organisons nos propres événements, mais nous essayons aussi de le faire en partenariat avec les autres. Avec les grands festivals d'été, avec Liban Jazz, avec le Festival Zoukak, entre autres. Comme avec de plus petites structures. Ce qui nous intéresse, au-delà de faire la promotion de la création française, c'est d'être à l'origine de rencontres, que ce soit entre artistes français et libanais, ou libanais entre eux. Nous avons, à ce titre, contribué à mettre en contact le collectif Kahraba et un mécène libanais qui ouvre une résidence d'artistes à Hammana, nous avons fait connaître le chorégraphe Ali Chahrour dans l'Hexagone, nous avons soutenu le concert de Souad Massi au Music Hall dernièrement... Nous travaillons beaucoup à identifier la demande et contacter les agents des artistes francophones pour appuyer leur venue au Liban.

 

Vous dites aussi que vous avez trois priorités : la jeunesse, la modernité et l'accès de tous à la culture.
C'est vraiment le sens de notre action culturelle. Nous avons dans ce pays un très riche héritage. Je vais souvent dans les écoles et je suis à chaque fois très étonnée de la prodigieuse capacité des élèves à citer des auteurs français. La francophonie au Liban est remarquablement portée par les enseignants et par toutes ces générations qui ont grandi avec ses textes, ses valeurs et une certaine vision du monde. Cela étant, il faut qu'elle se renouvelle. Il y a un défi pour nous, pour que le français apparaisse comme une langue moderne, comme une langue avec laquelle on peut avoir des opportunités économiques, comme une langue à la mode. De ce point de vue, il y a un vrai travail à faire. C'est pourquoi nous avons voulu, à travers l'ensemble de notre programmation et notamment au cours du Mois de la francophonie, nous adresser en priorité au jeune public. Nous présentons, par exemple, beaucoup de musique classique, qui certes peut attirer tout le monde, mais nous essayons d'y amener encore plus les jeunes en changeant nos modes d'intervention. Pour les très jeunes publics, il faut des formes différentes, plus restreintes, plus ludiques. C'est ce que nous avons tenté de faire avec Onomatopoeia, qui a animé des ateliers de création musicale, ou encore le Quatuor Béla qui est intervenu auprès d'enfants et d'adolescents dans un format de concert audacieux...

 

La culture n'est pas seulement un loisir, mais un ciment du vivre-ensemble, dites-vous. Comment cela se traduit-il concrètement ?
C'est quelque chose que nous ressentons fortement quand nous observons la vie culturelle au Liban. C'est évidemment le cas en France, qui est à l'origine d'un certain nombre de manifestations amenant la culture à tout le monde et créant des moments de liesse collective. Avec la fête de la Musique ou la Nuit des musées, nous cherchons à faire en sorte que des gens qui ne se croiseraient jamais normalement se rencontrent. Idem avec la Nuit des idées par laquelle nous essayons d'amener des gens au débat qui n'y viendraient pas naturellement... Des non-francophones, notamment, que nous avons réussi à faire participer grâce aux interprètes disponibles. Au Liban, ce qui nous frappe beaucoup, c'est que dans la culture, il y a des murs, des frontières communautaires ou de langues qui n'existent plus.

 

Pourriez-vous nous signaler les temps forts de ce Mois de la francophonie 4.0 ? Et pourquoi 4.0 et pas 2.0 ?
Il paraît que le terme en vogue actuellement est 4.0 et non plus 2.0. J'en ai été moi-même surprise. Heureusement que nous avons pas mal de jeunes dans notre équipe qui contribuent à nous garder à la page (rires). Concernant les temps forts de cette programmation axée sur le numérique, la modernité et la jeunesse, il y a déjà eu beaucoup de choses : Virginia Wolf, un spectacle de contes accompagné de projection d'animations qui a été présenté en tournée dans tout le pays; les ateliers de composition musicale, la projection-débat autour de l'école de l'image et du cinéma d'animation Les Gobelins... Et le meilleur est encore à venir avec notamment le Hackaton, qui se déroulera du 16 au 18 mars. Il s'agit d'une nouvelle forme de concours de création de films. Organisé en partenariat avec l'ESA, Berytech et l'ALBA, il réunira de jeunes talents de l'audiovisuel (issus des milieux créatifs et de la programmation) qui, répartis en équipes, vont réaliser en 48 heures des courts-métrages en réalité virtuelle. Leurs projets seront examinés par un jury d'experts et la remise du prix à la meilleure équipe aura lieu au cours de la soirée du 20 mars à Station, Beyrouth. Ensuite, le 17 mars, une très belle soirée autour du slam est programmée à Onomatopoeia (Sioufi). Et, enfin, le 20 mars, pour marquer la Journée internationale de la francophonie, Phoenix, un innovant spectacle mettant en scène trois danseurs et trois drones, ouvrira les festivités en soirée. Il sera suivi de conférences et tables rondes extrêmement intéressantes sur l'art, le numérique, les nanotechnologies et les réseaux sociaux*. Venez-y nombreux !

 

Un mot, pour conclure ?
Je voudrais rappeler le partenariat de longue date de l'Institut français avec L'Orient-Le Jour. Je crois que nous avons vraiment une convergence de valeurs, d'intérêts, de projets avec ce journal au niveau de la défense de la langue française, de la liberté d'expression et de la diversité des opinions... Je voudrais profiter pour réitérer ici notre soutien et notre admiration pour l'initiative Génération Orient que vous avez mise en place. Elle permet de montrer les choses positives, les talents des jeunes au Liban et contribue vraiment à y renouveler la francophonie dans toutes ses dimensions.

*La table ronde « Art et technologie » (20h15 à 20h45) aura lieu avec Éric Minh Cuong Castaing, le chorégraphe de « Phoenix », et Ghada Waked, directrice du festival d'arts numériques Albedo. Elle sera animée par notre collègue Gilles Khoury.

 

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commentaires (1)

Courage pour la mission culturelle de Véronique Aulagnon dans un monde ou la francophonie lâche du lest au profit d 'autres langues .

Antoine Sabbagha

11 h 09, le 14 mars 2017

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Commentaires (1)

  • Courage pour la mission culturelle de Véronique Aulagnon dans un monde ou la francophonie lâche du lest au profit d 'autres langues .

    Antoine Sabbagha

    11 h 09, le 14 mars 2017

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