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À La Une - Conflit

En Syrie, les graffitis du désespoir dans une ancienne prison de l'EI

"La plupart des prisonniers ont laissé des graffitis sur les murs pour garder des traces, pour dire qu'ils étaient encore vivants", raconte un ancien prisonnier.

Khalifa al-Khodr, emprisonné ente juin et décembre 2014 dans une prison du groupe Etat Islamique à Al-Bab, en Syrie, revient sur les lieux de sa détention. AFP / Nazeer al-Khatib

"Toutes les portes sont fermées, sauf la Vôtre Ô Dieu". Sur les murs des cellules d'une ancienne prison du groupe Etat islamique (EI), des détenus ont gribouillé des slogans, des dessins ou des poèmes exprimant l'espoir d'en sortir vivant ou adressant un adieu au monde.

Khalifa al-Khodr est de retour sur les lieux de sa détention à Al-Bab, deux semaines après la prise de cet ancien fief jihadiste dans le nord de la Syrie par les forces turques et leurs alliés rebelles syriens. Au départ sûr de lui, il est pris par la peur dès qu'il entre dans le bâtiment de trois étages, qui abritait avant la guerre le conseil local de la ville et un centre de détention provisoire.
A pas lourds, le jeune homme de 23 ans descend un escalier menant vers des cellules sombres au sous-sol.
Il y a été emprisonné entre juin et décembre 2014 après avoir été arrêté par l'EI en possession d'une caméra.

"La plupart des prisonniers ont laissé des graffitis sur les murs pour garder des traces, pour dire qu'ils étaient encore vivants", explique le jeune homme brun et grand, en montrant un mur griffonné de noms, de dates et de vers. "La prison est pour moi un honneur, les menottes un bracelet, le ballanco, la balançoire des héros", a écrit l'un d'eux, en référence à une méthode de torture consistant à suspendre un corps en l'air à une chaîne, les mains derrière le dos.

 

(Lire aussi : Saydnaya, la plus redoutable des prisons du régime)

 

'Je ne rêvais de rien'
Un autre prisonnier, sentant peut-être ses jours comptés, a écrit: "Si les jours passent et que vous ne me voyez plus, ceci est mon écriture, souvenez-vous de moi". Pour d'autres, un seul mot a suffi pour résumer leur état d'esprit: "Injustice". Sur l'un des murs, on peut encore voir le nom Etat islamique écrit en rouge.

L'ex-prison était reliée par un couloir au tribunal religieux instauré par l'organisation jihadiste dans cette ville de la province d'Alep. La prison comprenait entre 75 et 100 cellules, dont des cachots où s'entassaient parfois une centaine de détenus, selon Khalifa. "Quand j'étais en prison, je ne rêvais de rien", dit lentement Khalifa, militant anti-régime et anti-EI. Sur les murs, des rêves ont pourtant été dessinés comme celui d'une colombe avec l'inscription "Elle veut s'envoler" ou encore la phrase "Liberté pour la presse".

Soudain, le regard de Khalifa se pose sur une inscription qu'il a lui-même gravée le 3 juin 2014. Il s'agit d'un vers du célèbre poète palestinien Mahmoud Darwich: "Sur cette terre, il y a des choses qui méritent qu'on vive pour elles". "Les écrits sur les murs peuvent donner de l'espoir aux proches" des détenus, souligne Khalifa d'une voix émue.

 

(Lire aussi : La « politique d’extermination » dans les prisons syriennes une nouvelle fois dénoncée)

 

Souhaiter la mort
Pour Alaa, 25 ans, un ex-détenu, "toute personne qui a été emprisonnée passe deux semaines à raconter son histoire". "Par la suite, il n'a plus rien à raconter et commence à ressentir un ennui mortel et chacun trouve un moyen pour faire passer le temps", se souvient ce jeune homme joint par internet. Au fil des mois, "le prisonnier perd la notion du temps et tente de marquer au mur le nombre de jours passés" en détention.

Alaa, qui a gravé son nom fin 2013, se souvient encore du jour où lui et d'autres détenus sont parvenus à mettre la main sur des crayons. "Un jour, des gens de l'EI ont demandé des volontaires pour nettoyer une grande chambre remplie de documents et de registres fonciers de l'Etat syrien", se souvient-il. "Pendant le nettoyage, on a retrouvé une boîte de crayons, on en a subtilisé deux". Alaa se souvient avoir vu des inscriptions de détenus d'avant la guerre. "Ces murs ont connu plusieurs générations" de prisonniers, ironise-t-il.

Certaines cellules individuelles étaient connues sous le nom de "tombeau": il s'agissait d'armoires rectangles adossées au mur à l'intérieur desquelles le détenu peut à peine se tenir debout. Mais le pire, c'était "la maison du chien", c'est-à-dire des placards carrés où le prisonnier devait rester agenouillé. "Ils restaient ainsi pendant 40 jours; on leur mettait même des couches pour faire leurs besoins car ils n'avaient pas le droit de sortir", explique Khalifa, qui est parvenu à s'enfuir au bout de sept mois de détention. "Certains souhaitaient la mort".
Aujourd'hui, "je suis ici de mon plein gré, dans cet endroit où je pouvais mourir à tout moment", clame le jeune homme avec un air de revanche.

 

 

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