Un jeu d'équilibriste, où tout est question de nuances et de soft power, dont l'objectif final est d'assumer le rôle « d'hégémon » stabilisateur au Moyen-Orient afin de gagner en influence à la table des grandes puissances.
C'est ainsi que l'on pourrait définir les contours de la diplomatie turque depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP en 2002, après avoir lu l'ouvrage de Jana J. Jabbour La Turquie : l'invention d'une diplomatie émergente (Paris, éditions du CNRS, 2017). Professeure de sciences politiques à Sciences Po Paris et à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, l'auteure nous livre le fruit de son travail de thèse : un livre passionnant, méticuleux et dynamique, qui peut tout autant séduire un public averti que novice.
Démontant, de façon subtile et documentée, les analyses qui consistent à ne voir derrière le retour de la Turquie au Moyen-Orient que la résurgence d'un néo-ottomanisme ou d'un panislamisme, Jana Jabbour démontre qu'il est, au contraire, la conséquence logique de l'accession turque au statut de puissance émergente. Autrement dit, ce qui est vrai pour la Turquie l'est tout autant pour le Brésil ou l'Afrique du Sud : la volonté de se projeter dans son espace régional pour peser à l'international.
Derrière la redéfinition de sa politique extérieure se trouve un homme, ancien professeur de relations internationales, devenu le stratège de la nouvelle Turquie : Ahmet Davotuglu, « le Kissinger turc », qui fut successivement ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre avant d'être écarté par le président Erdogan en mai 2016.
Jana Jabbour décrypte le discours et la vision des relations internationales de M. Davotuglu qui peut se résumer en une phrase tirée de son ouvrage de référence Profondeur stratégique : « Il convient d'appréhender notre politique régionale moyen-orientale à travers la métaphore du tir à l'arc : plus nous tirons fort au Moyen-Orient, et plus loin nous atterrissons sur la scène internationale. » Pour ce dernier, l'aspiration à l'Europe et le retour au Moyen-Orient n'ont rien de contradictoire. Ils sont le reflet de l'identité multiple de la Turquie moderne, héritière d'un empire multicivilisationnel au cœur de plusieurs espaces stratégiques. « Le ministre des Affaires étrangères turc peut tenir un meeting très amical à Téhéran puis se rendre au Caire comme un Égyptien, et aller prononcer un discours à Bruxelles, comme n'importe quel dirigeant européen. Il n'y a aucune contradiction dans cela », écrit M. Davotuglu.
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« Non allergique au monde arabo-musulman »
L'accession au pouvoir de l'AKP, le charisme de son chef de file, Recep Tayyip Erdogan, et le boom économique durant la « décennie glorieuse » va permettre au professeur de mettre ses théories en pratique. « Dans les bagages de sa victoire, l'AKP amène au pouvoir une nouvelle élite de décideurs qui, à la différence de l'élite sortante, n'est pas » allergique « au monde arabo-musulman », décrit Mme Jabbour.
Partenariats économiques, capacité à parler avec tous les acteurs, développement des Think Tanks et des écoles güllenistes, protection des minorités et diffusion de la culture turque, notamment au travers des séries télévisés, très suivies dans le monde arabe : tout les moyens sont utilisés par Ankara pour gagner en influence au Moyen-Orient, sans pour autant faire usage de son hard power. La lune de miel va durer jusqu'en 2011, jusqu'à l'éclatement des printemps arabes, qui vont complètement changer la donne et prendre la Turquie au dépourvu.
Ayant tissé des liens avec les régimes en place tout au long de la décennie, particulièrement avec Damas, la Turquie accueille les révoltes arabes avec scepticisme et pragmatisme. Elle noue des contacts avec l'opposition sans pour autant rompre ses relations avec les régimes en question. Ce n'est qu'après la chute des présidents Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte que la Turquie va tenter de parrainer les groupes islamistes, y voyant une opportunité de devenir l'hégémon régional. Le changement de stratégie va toutefois lui coûter cher puisqu'il va l'amener à surjouer son identité islamique au détriment de son ouverture vers l'Ouest. « La métaphore du » tir à l'arc « élaborée par Davotuglu devient caduque. Il s'est avéré que plus la Turquie tire fort au Moyen-Orient, par le biais de l'islam, et plus elle s'éloigne de l'Europe », résume Mme Jabbour.
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Piège du néo-ottomanisme
Ankara va surtout être pris au piège de la guerre syrienne. « Pour la Turquie, le chemin vers le M-O passe par Damas », écrit l'auteure. Le rapprochement turco-syrien avait constitué le cœur de la stratégie turque d'ancrage au Moyen-Orient. Durant les premiers mois de la révolte, la Turquie va « s'employer à convaincre le dirigeant syrien de mettre en œuvre des réformes afin de calmer la révolte et d'éviter le pire. Il s'agissait de sauver l'ami et le "frère" Assad afin de conserver les acquis d'Ankara dans la région ». « L'inflexibilité d'Assad, sourd à toute critique et refusant tout conseil, a blessé Erdogan dans son ego, lui qui se croyait en mesure d'influencer son » frère « de Damas au nom de » l'amitié « qui les liait », décrypte Mme Jabbour, qui y voit la principale cause de la volte-face turque à la fin de l'été 2011. Le chapitre sur la guerre syrienne aurait toutefois mérité d'être plus approfondi, même s'il était difficile, à chaud, de mettre en évidence tous les revirements et les contradictions de la politique turque en Syrie.
Le livre est essentiel pour comprendre les raisons de la montée en puissance turque au Moyen-Orient et les limites de cette stratégie. « Il s'est avéré que dans une région aussi fracturée et conflictuelle que le Moyen-Orient, il était impossible d'avoir zéro problème » avec le voisinage. Pire encore, le zéro problème avec les voisins s'est mué en un zéro voisin « sans problèmes », conclut l'auteure. Ankara est finalement tombée, dans une certaine mesure, dans le piège du néo-ottomanisme.
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13 h 01, le 06 mars 2017