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Moyen Orient et Monde - Analyse

La Turquie n’a plus de politique étrangère : les trois volte-face d’Erdogan

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Adem Altan/AFP

Aux côtés de la Russie et de l'Iran, la Turquie vient de parrainer les négociations d'Astana sur le cessez-le-feu en Syrie. Les apparences sont sauves : la Turquie conserve l'image d'une puissance régionale essentielle. Mais en réalité, à force de retournements d'alliance, le président turc Recep Tayyip Erdogan a démonétisé la parole de son pays sur la scène internationale. En s'alliant avec Moscou et en réalisant des purges massives, il mine la crédibilité de son alliance avec les États-Unis et son partenariat avec l'Europe. La Turquie a un homme fort. Mais sans doute plus de politique étrangère.
Depuis la guerre froide, l'alliance avec les États-Unis est le socle de la politique internationale de la Turquie. Entrée dans l'Alliance atlantique dès 1952, elle a été un bastion au contact direct de l'URSS et de l'Iran à partir de 1979. Elle met à disposition des États-Unis la base d'Inçirlik à partir de laquelle les forces armées américaines ont agi durant les guerres du Golfe. Et elle abrite une partie du bouclier antimissile américain. Malgré l'intervention turque à Chypre en 1974 et malgré la guerre du Golfe en 1991, la Turquie était, jusqu'à il y a peu, considérée comme un allié fiable à Washington.
Désormais, c'est la tension qui prévaut. Sur la question kurde, Washington et Ankara ont des positions opposées. Les États-Unis appuient les mouvements kurdes en Irak et en Syrie. La Turquie est, elle, en guerre ouverte avec tous les mouvements kurdes de la région, même hors de Turquie. Les tensions entre États-Unis et Turquie portent aussi sur l'extradition du prédicateur Fethullah Gülen vers la Turquie. Suite à la tentative de coup d'État du 16 juillet 2016, le président Erdogan pourchasse son ancien allié Gülen et se heurte, dans cette purge, à son allié américain. Enfin, au moment où l'Alliance atlantique renforce sa présence en Europe orientale contre la Russie, la Turquie opère un rapprochement soudain avec Moscou. La fidélité d'Ankara à ses engagements otaniens est incertaine. À l'aube de la présidence Trump, redoutée à Ankara, la Turquie d'Erdogan a largement dilapidé son crédit auprès de son plus solide allié.

Réchauffement en trompe-l'œil avec Moscou et Téhéran
Le rapprochement récent ente le « Sultan » Erdogan et le « Tsar » Poutine est abondamment médiatisé. Il s'agit pourtant d'un attelage improbable.
Sur le front syrien, la Russie soutient le régime de Bachar el-Assad. Au contraire, pour la Turquie, c'est l'ennemi traditionnel : soutenu par les Kurdes, ennemi d'Israël et en guerre avec les islamistes sunnites, le régime Assad est la cible de l'administration Erdogan comme des précédents gouvernements. Ces contorsions à l'égard de la Russie agitent l'opinion publique turque et le parti d'Erdogan, l'AKP : pendant les bombardements russes d'Alep, les postes diplomatiques russes en Turquie ont dû être protégés par l'armée. L'assassinat de l'ambassadeur russe en Turquie souligne que la politique prorusse d'Erdogan entre non seulement en contradiction avec les convictions de ses électeurs mais également avec les intérêts structurels de la Turquie en Asie centrale et dans le Caucase.
Le réchauffement des relations avec Moscou masque mal la position de faiblesse du pays.
La Turquie s'aventure même dans une coopération avec l'Iran qui laisse perplexe : celle-ci sape les efforts d'Erdogan pour acquérir le statut de grande puissance sunnite.

La candidature européenne dans l'impasse
Le candidat Erdogan s'était fait élire sur la promotion de la candidature de la Turquie en Europe. L'enjeu de l'AKP était de montrer que le kémalisme n'avait pas le monopole de la modernisation. Au fil du temps, l'europhilie d'Erdogan s'est avérée purement tactique. Elle lui a servi pour évincer l'armée des structures de gouvernement mais aujourd'hui, les désaccords entre l'Union européenne et la Turquie sont croissants.
Les libertés publiques sont menacées par les arrestations de masse, les persécutions de journalistes, les limitations à la liberté d'expression : l'ambition démocratique turque est démonétisée en Europe. De même, la réforme constitutionnelle en cours, sans doute validée par référendum en avril prochain, éloignera sans doute davantage la Turquie des standards de gouvernance de l'Union.
Concernant la question des réfugiés, l'accord conclu avec la chancelière Merkel a instauré entre l'Union européenne un rapport de force peu propice à un rapprochement. Les questions récurrentes du génocide arménien, des Kurdes, de la division de Chypre accentuent le fossé entre Union et Turquie. La perspective d'adhésion est aujourd'hui devenue irréelle. Actuellement, la Turquie est tenue en suspicion partout en Europe.
Loin de renforcer la position internationale de la Turquie, M. Erdogan affaiblit son pays en tournant le dos à plusieurs engagements structurels, soit pour la Turquie soit pour son propre programme : processus de paix négociée avec les Kurdes, accélération de la candidature à l'UE, fidélité à l'allié américain, soft power islamo-conservateur. Une série de reniements ne font pas une stratégie.

Cyrille BRET
Docteur et agrégé, enseigne à Sciences-Po Paris et dirige le site de géopolitique EurAsia Prospective.

Aux côtés de la Russie et de l'Iran, la Turquie vient de parrainer les négociations d'Astana sur le cessez-le-feu en Syrie. Les apparences sont sauves : la Turquie conserve l'image d'une puissance régionale essentielle. Mais en réalité, à force de retournements d'alliance, le président turc Recep Tayyip Erdogan a démonétisé la parole de son pays sur la scène internationale. En...

commentaires (3)

POLITIQUE TURQUE : TICH... MICH... OU FICH...

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 43, le 01 février 2017

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Commentaires (3)

  • POLITIQUE TURQUE : TICH... MICH... OU FICH...

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 43, le 01 février 2017

  • Résultat des courses , il ne reste aux usa que les Golfiques et leurs pendants salafowahabites. Tout çà sous la direction expresse des israéliens. Au fait , l'Egypte aussi a fait volte face , ils ont renvoyé paître les bensaouds malgré le pétrole qu'ils leur refilaient, vous êtes pas encore au courant ? Ça fait pleurer encore plus de le savoir ?

    FRIK-A-FRAK

    12 h 57, le 01 février 2017

  • La Turquie n’est pas le seul pays à avoir fait volte-face sur le dossier syrien. Plus aucun pays ne soutien les jihadistes et n’exige la chute d’Assad comme préalable aux négociations. Et l’Amérique de Trump va probablement se rapprocher de la Russie pour combattre l’islamisme radical

    Tabet Ibrahim

    08 h 28, le 01 février 2017

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