À chaque commémoration annuelle de la date fatidique du 14 février 2005, reviennent les images de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, et celles, tout aussi puissantes, d'une insurrection en devenir : des Libanais affligés, éprouvés, secoués par l'injustice de l'attentat et l'affront de l'occupant, puisant dans des émotions presque individuelles l'énergie collective d'une insurrection nationale pacifiste pour l'indépendance.
Aujourd'hui, à l'heure où règne une atmosphère de compromis circonstanciel – semblable à la période post-Doha en ce qu'elle contraint les anciens meneurs du 14 Mars à taire leurs principes souverainistes – les citoyens n'ont qu'un moyen d'honorer cet épisode de 2005 auquel ils ont pris part : s'engager à ne pas oublier, l'oubli ayant la redoutable capacité de régénérer les violences et de faire tabula rasa des acquis du système politique. D'où l'importance à cet égard du Tribunal spécial pour le Liban, relégué actuellement au second plan.
Le discours du Premier ministre, Saad Hariri, samedi au BIEL n'était pas voué, de toute évidence, à raviver l'élan de 2005. Il s'est ainsi contenté de rappeler les positions stratégiques du courant du Futur à l'égard des armes du Hezbollah et de son implication en Syrie. Il a ajouté que la légitimité de l'État et de l'institution militaire est la seule à ne pas être remise en cause à l'intérieur. Le bloc parlementaire du Futur a d'ailleurs lui aussi pris soin, dans son communiqué hier, de réaffirmer son engagement en faveur de la résolution 1701 du Conseil de sécurité.
(Lire aussi : Saad Hariri inflexible sur Assad et les armes illégales)
Bien que réaffirmant très brièvement (en comparaison avec ses nombreuses références au compromis « salutaire » ) les positions stratégiques du courant du Futur, le discours de M. Hariri a servi à rappeler que les points stratégiques sont loin d'être tranchés. Même s'ils sont occultés du débat interne à l'heure actuelle, « ces points restent litigieux », selon ses termes.
Ce faisant, le Premier ministre a réagi aux récents propos du président de la République, qui avait pris l'initiative de réincorporer au débat la question litigieuse des armes du Hezboollah, en défendant de surcroît la complémentarité entre l'armée et le Hezbollah, comme si le débat était tranché dans ce sens. Mais sans vouloir pointer du doigt directement le chef de l'État, M. Hariri n'a fait que rappeler que si l'intention est de réincorporer au débat les questions stratégiques, le contrepoids au Hezbollah reprendra forme, dans la mesure où la position de principe des parties du 14 Mars à l'égard de l'arsenal est toujours la même.
C'est dire l'état d'érosion du discours souverainiste, réduit désormais à faire exceptionnellement état de sa présence – en dépit de la scène de solidarité entre Saad Hariri et Samir Geagea, faisant ensemble leur entrée au BIEL.
Entre-temps, du côté des tenants de la moumanaa, les accusations de traîtrise, pourtant mises en veilleuse depuis le compromis de la présidentielle, semblent de nouveau au goût du jour. Saisissant l'opportunité que lui offrent visiblement les récentes positions de Baabda, le bloc du Hezbollah – relayé par les partis pro-Assad – a exprimé « son soutien total aux positions nationales du président de la République ». L'engagement « national » ne saurait se lire sans une adhésion au triptyque de la résistance, dont Baabda est devenu l'un des rouages depuis qu'il s'est déclaré gardien de la complémentarité entre l'armée et le Hezbollah. L'enjeu des propos du président est donc d'assurer une couverture institutionnelle aux armes du Hezbollah, et non plus seulement une couverture par un parti chrétien fort. La différence entre les deux cas de figure est considérable au plan symbolique et ne saurait être occultée ou minimisée sous la rhétorique selon laquelle Michel Aoun a de tout temps adopté cette attitude. Depuis le 31 octobre 2016, ce que pouvait se permettre Michel Aoun à Rabieh, Michel Aoun de Baabda ne peut plus le faire...
(Lire aussi : D'après la 1701, l'État libanais détient à lui seul le monopole des armes, souligne le bloc du Futur)
C'est l'effet d'un tel dérapage que le courant du Futur semble minimiser pour l'instant, en continuant de considérer le président de la République comme une entité indépendante du Courant patriotique libre (alors même que le chef de l'État a lui-même précisé, à un média égyptien lundi dernier pour justifier sa préférence pour la proportionnelle, que celle-ci était défendue par le CPL depuis avant la présidentielle).
Mais la tendance du camp haririen à calmer le jeu – « même si le président risque de devenir un nouveau Émile Lahoud » – s'expliquerait d'abord par sa « compréhension que le général Aoun a des dettes envers le Hezbollah pour son élection ». En outre, le courant du Futur semble s'en remettre aux garde-fous constitutionnels pour rééquilibrer les rapports de force, le cas échéant. « Quelles que soient les déclarations du chef de l'État, celles-ci ne peuvent se concrétiser en actes officiels sans l'aval du Conseil des ministres », affirme ainsi une source du courant du Futur. Cela vaudrait notamment pour les velléités de dialogue du Hezbollah avec Damas.
Il reste que rien de concret n'a pour l'instant résulté du compromis de la présidentielle sur les questions socio-économiques dont il se prévaut. C'est l'avis en tout cas d'un député centriste, qui confirme par ailleurs la suspension du débat autour de la loi électorale. Il semble que le mieux auquel l'on puisse aspirer à ce stade soit la loi de 1960 révisée, ou bien un report des législatives. À moins que la position du président Michel Aoun en faveur du « vide » à la Chambre, qui serait à ses yeux un moindre mal que le report du scrutin, ne soit elle aussi investie par le camp du Hezbollah, à l'instar de sa position en faveur des armes illégales...
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commentaires (8)
Bientôt un STO imposé aux Libanais(h)en bääSSyrie aSSaSSine cette fois et non plus en Allemagne de 40-45, ou quoi ! ?
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 57, le 16 février 2017