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Liban - Conférence

Les démocraties chrétiennes en Europe, une inspiration pour le monde arabe ?

Bernard Vogel et Radwan Sayyed débattent à l'initiative de la Fondation Konrad Adenauer et de la Maison du Futur.

L’ancien ministre allemand lors de son intervention à l’hôtel Le Gabriel. Photo Michel Sayegh

Le politique et le religieux sont-ils condamnés à la fusion ou à la séparation ?
À la lumière de la résurgence de la problématique de la relation entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel ou religieux, et des replis nationalistes et identitaires dans un monde pourtant mondialisé, la question s'impose dans toute son acuité. Si l'histoire récente a prouvé l'échec de la laïcité dans sa version radicale ou celui du communisme athée, il n'en reste pas moins que le problème du rapport de l'État à la religion n'a pas été résolu, loin de là. Ceci est encore plus vrai dans le monde arabo-musulman, tiraillé entre les dictatures militaires et communautaires, sinon religieuses.

L'une des solutions à cette impasse serait peut-être à rechercher dans une sorte de synthèse entre le politique et le religieux. Une formule où la séparation entre la religion et l'État ne signifierait pas le rejet des valeurs inhérentes aux religions et où l'homme, sa dignité, sa liberté et son épanouissement resteraient au cœur du fait politique comme des principes religieux.

C'est, en bref, autour de cette réflexion centrale que deux penseurs éminents, l'un chrétien, Bernhard Vogel, ancien ministre et ancien membre du Conseil fédéral allemand, l'autre musulman, Radwan Sayyed, professeur à l'UL diplômé de l'Université al-Azhar et des universités allemandes, tous deux profondément croyants et démocrates, sont intervenus mardi dernier en abordant le thème suivant : « Les valeurs religieuses en politique : le passé, le présent et l'avenir des partis chrétiens-démocrates ». Au menu des échanges : l'expérience du parti chrétien-démocrate allemand (CDU) et les leçons que peut en tirer le monde arabe.

Organisée à l'initiative de la Fondation Konrad Adenauer et de la Maison du Futur présidée par l'ancien président Amine Gemayel, la rencontre s'est déroulée en présence notamment de l'ancien Premier ministre Fouad Siniora et du président du Conseil supérieur de la magistrature, Jean Fahd. Le choix du sujet, a justifié M. Gemayel en introduisant ses invités, est commandé par « les appréhensions qui ponctuent notre quotidien » et le besoin imminent de réintroduire « les principes d'ouverture et de tolérance pour contrer les radicalismes de toutes sortes et les idées destructrices ». Autant de principes que les nouveaux défis ont fini par ébranler à la lumière notamment des développements rapides et inquiétants dans les relations internationales, constate M. Vogel. Face à la menace graduelle à la sécurité et à la paix, le nombre croissant des crises, des conflits, des guerres et l'expansion du terrorisme, les gens ont aujourd'hui besoin plus que jamais d'une adoption de politiques durables et d'une clarté de vision et de critères.

« Ceux qui souhaitent définir une vision pour l'avenir dans l'intérêt de leur pays, ceux qui souhaitent gagner la confiance à long terme, tout en incitant les citoyens à l'engagement social, doivent exprimer clairement leurs principes et convictions », dit-il. D'où la nécessité de lier l'action politique aux valeurs, de sorte à éviter de s'enliser dans des politiques visant à contenter les électeurs à court terme. « Celui qui adhère aux valeurs ne mise pas sur ce qui est en vogue », lance l'intervenant.
Il rappelle les circonstances dans lesquelles est née la Constitution allemande, largement inspirée des principes sociaux chrétiens en réaction au nazisme et au communisme à l'origine de la Constitution de l'Allemagne de l'Est.

Le texte fondamental allemand énonce clairement « la neutralité ouverte en matière de religion et la séparation de l'État et de l'Église. En même temps, il prévoit un partenariat entre les deux », précise l'ancien ministre. « Autrement dit, les Églises – et nous l'espérons, un nombre plus important des musulmans allemands – créent les opportunités que l'État libéral laïc ne peut garantir mais qui sont fondamentales pour sa perpétuation », enchaîne M. Vogel.
Le terme de responsabilité reviendra plusieurs fois dans son intervention, « la responsabilité devant Dieu », qui figure dans la Constitution, et devant les hommes, mais aussi devant sa propre conscience.

 

« Mainmise chiite »
Au pouvoir pendant plusieurs décennies, les démocrates chrétiens allemands ont indéniablement à leur crédit des réalisations majeures, reconnaît Radwan Sayyed, en évoquant l'édification d'un régime démocratique après la Deuxième Guerre mondiale, la réunification de l'Allemagne et la contribution de celle-ci à la création de l'Union européenne.

Le professeur se dit cependant moins sûr pour ce qui est de l'avenir et de la capacité du parti à faire face aux défis actuels, tels que le désintérêt exprimé par les jeunes notamment à l'égard des grands partis politiques traditionnels, la montée du populisme face à la vague d'immigration et la fin – relative – de la prospérité.
Le problème, dit-il, est la difficulté d'établir un parallélisme entre l'Allemagne et le Liban où la problématique n'est pas celle de la relation entre l'État et la religion mais entre l'État et les communautés religieuses, qui s'affrontent entre elles du fait de la contradiction de leurs intérêts respectifs. Outre l'exception de l'ère chéhabiste, qui a amorcé l'édification d'un État civil, par la suite remis en cause par la question palestinienne, la guerre civile et l'occupation syrienne, aucune autre tentative n'a abouti, constate M. Sayyed.
« Les chrétiens libanais n'ont pas une vision singulière pour édifier un État moderne (...). Quant aux musulmans, ils se trouvent dans une situation encore plus déplorable, divisés qu'ils sont entre sunnites et chiites », déplore l'intervenant, en pointant du doigt le projet de « mainmise chiite » sur le pouvoir et l'effritement de la communauté sunnite, ses élites étant « dépourvues de toute initiative ».

Le paysage de désolation est encore davantage marqué dans le monde arabe, divisé entre des régimes aux mains de partis islamistes « avec des idées qui posent problème » et d'autres qui « ne tolèrent ni les communistes ni les islamistes ». En bref, des systèmes qui prohibent le pluralisme.
Pour pouvoir établir un parallèle entre les démocraties chrétiennes en Europe et les partis islamistes, il faut d'abord « amorcer une réforme religieuse, de sorte à extirper la religion du ventre de l'État ou l'empêcher de concurrencer ce dernier », poursuit le professeur. « Il faudra également renouveler l'expérience de l'État-nation dans le monde arabe en extrayant le despotisme, le totalitarisme et la production de guerres civiles », dit-il.

Et de conclure, en s'inspirant de son ancien professeur, le pape émérite Benoît XVI : « Je souhaiterais que la fonction de la religion ou sa contribution à nos États soit fondée sur les valeurs et l'éthique, ni plus ni moins. »

 

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commentaires (5)

"Le professeur Radwan Sayyed se dit moins sûr pour ce qui est de la capacité de la démocratie-chrétienne à faire face aux défis actuels, telle la fin, relative, de la prospérité. (Des trente glorieuses e.g.). Le problème, dit-il, est que les chrétiens du Liban n'ont pas une vision singulière pour édifier un État moderne mise à part la tentative Chéhabiste. Quant à ses musulmans, ils se trouvent dans une situation encore plus déplorable, divisés qu'ils sont entre sunnites et chiites. Le paysage de désolation est encore davantage marqué dans le monde arabe, divisé entre des régimes (islamistes) aux idées (rétrogrades), et d'autres (autocrates) qui ne tolèrent ni les communistes ni les islamistes. Bref, des systèmes (autoritaires) qui prohibent tout pluralisme. Et pour pouvoir (espérer) établir une sorte de (démocraties-musulmanes en terre arabe ou en terre musulmane), il faut amorcer une réforme religieuse de sorte à extirper la religion du ventre de l'État ! (Point barre). Et il faudra surtout renouveler l'expérience de l'État-nation dans le monde arabe ou musulman, en extrayant tout despotisme ou totalitarisme.". (Tant pseudo-laïc que religieux). Plus clair que ça tu meurs ! EXCELLENT !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

09 h 00, le 12 février 2017

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Commentaires (5)

  • "Le professeur Radwan Sayyed se dit moins sûr pour ce qui est de la capacité de la démocratie-chrétienne à faire face aux défis actuels, telle la fin, relative, de la prospérité. (Des trente glorieuses e.g.). Le problème, dit-il, est que les chrétiens du Liban n'ont pas une vision singulière pour édifier un État moderne mise à part la tentative Chéhabiste. Quant à ses musulmans, ils se trouvent dans une situation encore plus déplorable, divisés qu'ils sont entre sunnites et chiites. Le paysage de désolation est encore davantage marqué dans le monde arabe, divisé entre des régimes (islamistes) aux idées (rétrogrades), et d'autres (autocrates) qui ne tolèrent ni les communistes ni les islamistes. Bref, des systèmes (autoritaires) qui prohibent tout pluralisme. Et pour pouvoir (espérer) établir une sorte de (démocraties-musulmanes en terre arabe ou en terre musulmane), il faut amorcer une réforme religieuse de sorte à extirper la religion du ventre de l'État ! (Point barre). Et il faudra surtout renouveler l'expérience de l'État-nation dans le monde arabe ou musulman, en extrayant tout despotisme ou totalitarisme.". (Tant pseudo-laïc que religieux). Plus clair que ça tu meurs ! EXCELLENT !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 00, le 12 février 2017

  • Effectivement M.Tabet, M.Vogel n'a pas parlé de laïcité radicale . C'est moi qui le dit. L'expression n'est pas mise entre guillemets et n'est en aucun cas la reprise d'une citation. Elle ne lui ait pas attribuée non plus.

    Jalkh Jeanine

    09 h 55, le 11 février 2017

  • Le professeur Vogel attribue les succès de l’Allemagne, au respect des valeurs chrétiennes qui sont inscrites dans sa Constitution, même si celle-ci est basée sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Mais il n’a pas dit comme vous l’affirmez que « la laïcité radicale a échoué a résoudre le problème des relations entre la religion et l’Etat ». Je pense personnellement que la démocratie allemande plus tolérante envers les différences religieuses et culturelles, n’est pas mieux à même que le modèle français de laïcité républicaine a intégrer sa population musulmane. J’aurais souhaité demander au professeur Vogel ce qu’il pensait de la politique de Madame Merkel d’accueil de près d’un million de réfugiés en Allemagne. Malheureusement il n’y a pas eu de débat à l’issu de la conférence.

    Tabet Ibrahim

    08 h 28, le 11 février 2017

  • Depuis que Napoléon 1er , à inventé le code civil , les dites démocraties chrétiennes , ne peuvent être que binaires...D'ailleurs depuis la proclamation de la République Corse en 1755 par Pascal Paoli ,déjà la cohabitation entre religieux et droit était actée...!

    M.V.

    08 h 19, le 11 février 2017

  • ON REVE ! LES CASSURES SONT DE PLUS EN PLUS PROFONDES ET IRREMEDIABLES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 08, le 11 février 2017

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