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Liban - La vie, mode d’emploi

52 - Le salut par l’art

Beaucoup sont disciples de Nietzsche sans le savoir : l'art, l'art pour ne pas mourir de la vérité. Ils courent les expositions, se découvrent des talents de galeriste, s'inscrivent à un cours de « création », attendent chaque matin et chaque soir devant leur écran, assistés d'immenses bibliothèques numériques et de logiciels performants, la naissance de leur premier-né littéraire, prennent l'avion pour la dernière rétrospective de..., travaillent des matériaux ingrats et d'autres plus nobles qui savent, par héroïsme ou bonnes manières, les remercier de les inciser, les gratter, les triturer, les tordre, les broyer, etc. Avec trois bouts de fer, une musique de théâtre nô et du gribouillage inspiré, certains produisent une œuvre qui sitôt installée doit déménager ; on devient à soi-même inconnu pour trouver en son fond du nouveau. Car le salut par l'art est salut par le nouveau. Tous s'accordent aujourd'hui sur cette définition du beau, mais pas sur celle du nouveau.
On n'est jamais, en effet, assez nouveau. On est né trop tard et tout a été dit, peint, entendu. Alors, il ne reste plus qu'à mettre une moustache à la Joconde et puis une barbe et puis de la petite vérole ; de lui faire tenir son sourire dans le creux de ses mains, puis en laisse et, enfin, de le jeter dans quelque corbeille virtuelle et de donner à cette toile le titre-révélation : C'est la Joconde. Là est la nouveauté, là est le salut.
Des histoires racontées en évitant la lettre « v » ou, plus difficile, la lettre « e » et même la ponctuation. De l'athlétisme littéraire avec sueur et contorsions. On ne lit plus, on applaudit la performance. Il y aussi les textes composés avec des bouts de journaux découpés au hasard ou sans queue ni tête, mais avec un moignon et une petite griffe. Des chaudrons de sorcière en pleine ébullition. De l'alchimie qui n'opère plus et de l'or qui redevient plomb.
Des couleurs criardes sur les murs. On se croirait dans une poissonnerie. Des mufles de gorilles donnés pour des portraits de famille ou pour mon visiteur, mon frère. Des amabilités qui sentent le défi. Et des défis sans rage. Des ventres d'égouts à admirer. Mais non, l'admiration elle-même est d'un autre âge ! Plus personne n'admire. Tout le monde se sauve, s'administre cette huile sainte pour ne pas mourir. On jette des voiles à tour de bras sur le réel pour ne pas se crever les yeux. Quelques-uns aimeraient se sauver en prenant leurs jambes à leur cou. Hélas, sur un mur blanc, un carré blanc et ces simples mots : Ecce Homo. Plus de jambe, plus de cou, plus d'yeux pour pleurer. Blanc sur blanc. La messe est dite.

Nicole HATEM

Beaucoup sont disciples de Nietzsche sans le savoir : l'art, l'art pour ne pas mourir de la vérité. Ils courent les expositions, se découvrent des talents de galeriste, s'inscrivent à un cours de « création », attendent chaque matin et chaque soir devant leur écran, assistés d'immenses bibliothèques numériques et de logiciels performants, la naissance de leur premier-né...
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