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Liban - Patrimoine naturel

La « Réserve du toit de l’Orient » pour sauvegarder un espace vierge

Que le projet immobilier envisagé à Kornet es-Saouda soit une simple rumeur ou pas, le danger qui menace la montagne libanaise, lui, est bien réel. D'où l'appel urgent à le prévenir, lancé par nombre d'activistes.

Les photos de Samih Zaatar sont une façon, pour lui, de sensibiliser le public.

Le projet immobilier envisagé à Kornet es-Saouda pourrait n'être qu'une simple rumeur, mais le danger écologique qui pèse sur la montagne libanaise, lui, est bien réel.

« Le plus grand danger qui puisse jamais menacer un pays est que ses habitants disposent de ressources financières avant que la culture du paysage, de la construction et de l'environnement ne leur parvienne », déclarait, en juin dernier, le professeur d'anthropologie et écrivain Antoine Doueihy, lors d'un atelier intitulé « Repenser Zghorta ».

C'est dans cet esprit qu'un groupe d'intellectuels, d'artistes et d'activistes originaires d'Ehden milite, depuis plusieurs années, pour que l'ensemble du mont Mekmel (Liban-Nord), dont le plus haut sommet est Kornet es-Saouda, soit classé réserve naturelle.

À cette fin, ces activistes engagés dans la sauvegarde de cette chaîne montagneuse ont même lancé un projet qu'ils ont appelé « Réserve du toit de l'Orient ». Le projet en question comprend la région de Kornet es-Saouda, ainsi que les flancs et les jurds qui l'entourent. Selon M. Doueihy, sa mise en œuvre est la seule chance qui reste de « sauver l'endroit des capitaux qui s'empressent de le dévorer, que ce soit du côté de Denniyé, d'Ehden, de Bécharré et bientôt peut-être du Hermel ». Certes, convient-il en substance, le tourisme rural, culturel et environnemental, loin des hôtels grandioses mais insipides, incolores et dépourvus d'âme, est à la mode. Mais là n'est pas la question. Les investisseurs ne peuvent concevoir les éléments de la nature qu'en fonction des éventuels profits qu'ils peuvent en tirer. Or avec le jurd du mont Mekmel, nous sommes en présence du plus important château d'eau du Liban, d'une réserve hydrologique d'une absorption extrême et d'une grande fragilité, qui ne supporterait pas de pareils projets immobiliers, estime l'expert.

Par contre, une fois créée, la « Réserve du toit de l'Orient » pourrait être inscrite, selon lui, sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, à l'instar de la vallée de la Qadicha. « C'est uniquement après cela que des activités pourraient être envisagées dans la réserve, conformément aux lois qui la régiront », ajoute-t-il.

 

(Lire aussi : Courte-vue, l'impression de Fifi ABOU DIB)

 

 

Posséder la beauté ou en être possédé ?
« C'est parce que le mont Mekmel est d'une grande beauté que les investisseurs lui consacrent ces projets-là », avoue Antoine Alam, artiste et membre du groupe d'activistes, avant de renchérir : « Sauf qu'il ne faut pas absolument chercher à posséder, matériellement, la beauté. » Pour l'artiste, qui travaille notamment le vitrail, la beauté de la montagne est une source d'inspiration. Et de signaler qu'il s'applique à un projet d'art sur verre feuilleté soufflé, intitulé « Kornet es-Saouda/Nassaf el-Batrak (congères du patriarche)/Dahr el-Qadib ».

Le groupe d'activistes à l'origine de l'appel à la création de la réserve est conscient des répercussions environnementales et écologiques de toute construction au niveau de la montagne. Mais il est préoccupé tout autant par les autres aspects que revêtent ces espaces : identité historique du lieu, culture globale du paysage et conception de la beauté.
« Le jurd du mont Mekmel est l'ultime sommet (au Liban) en relation avec l'espace, avec l'infini ; nous avons le devoir et la responsabilité de le préserver tel qu'il est, une terre sauvage et vierge et qui renferme dans ses profondeurs l'essence de la vie : l'eau », insiste M. Alam. « Ce serait une erreur fatale d'appréhender cet espace en tant que lotissements qui peuvent être achetés et vendus, alors qu'il s'agit d'héritage et d'histoire avec un grand H », renchérit-il.

 

(Lire aussi : Des rumeurs autour d'un projet immobilier à Kornet es-Saouda enflamment la Toile)

 

 

Cinquante ans de destructions
« En cinquante ans, tout ce qui a été préservé pendant des milliers d'années au Liban a été détruit, et le tour de la montagne libanaise ne va pas tarder à venir », affirme M. Alam pour qui le projet immobilier à Kornet es-Saouda est loin d'être « une simple rumeur lancée gratuitement ».

« On ne lance pas comme ça l'idée d'un tel projet », précise l'artiste qui n'a pas été surpris de voir cette annonce par le groupe Realis Development. « On a voulu tâter le pouls du peuple, de la rue et des activistes, ainsi que leur capacité à faire face à de telles initiatives », ajoute-t-il.
« C'est le dernier espace où nous pouvons encore respirer. Cette affaire touche à notre destin, à notre futur, à celui des générations à venir, rappelle-t-il. Quand la corruption aura atteint ce sommet, nous cesserons d'exister. »

Le photographe Samih Zaatar avoue, pour sa part, être « très inquiet » pour la montagne libanaise. « L'annonce par le groupe Realis Development n'est pas neuve, je l'ai découverte au printemps dernier sur un site web, assure-t-il. Ceux qui sont derrière cette annonce, et derrière sa diffusion récemment sur les réseaux sociaux, cherchent en effet à susciter une réaction. Ce qui signifie qu'une action existe déjà, et que le projet est établi », explique-t-il.

Selon M. Zaatar, qui suit de près les menaces qui pèsent sur la montagne libanaise, « la recherche d'investisseurs est lancée ». « Cette menace ne se limite pas au Liban ; tout le Moyen-Orient sera à son tour touché par des projets semblables », dit-il avant de poursuivre : « La seule solution pour échapper à ce danger est de classer la région réserve naturelle hydrogéologique en raison de sa richesse en nappes souterraines. »

Quant à la comparaison lancée par certains entre les montagnes des Alpes, avec les pistes de ski et les hôtels qui s'y trouvent d'une part, et le mont Mekmel d'autre part, M. Zaatar rappelle que la structure des Alpes est essentiellement formée de granite, et ne ressemble donc en rien à la fragilité des roches de la montagne libanaise. « Une comparaison de la sorte ne tient pas debout », affirme-t-il.
Un projet de loi pour que la région soit classée réserve naturelle existe déjà, mais le groupe attend le moment propice pour le soumettre aux autorités compétentes.

 

 

 

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Le projet immobilier envisagé à Kornet es-Saouda pourrait n'être qu'une simple rumeur, mais le danger écologique qui pèse sur la montagne libanaise, lui, est bien réel.
« Le plus grand danger qui puisse jamais menacer un pays est que ses habitants disposent de ressources financières avant que la culture du paysage, de la construction et de l'environnement ne leur parvienne »,...

commentaires (3)

L'urbanisation du bois des Cèdres au dessus d'Eden montre l'urgence absolue d'une loi protectrice des sommets, en particulier du Mont Mekmel, puisse le Président lever les yeux vers les hauteurs et le temps long!

Beauchard Jacques

17 h 47, le 21 janvier 2017

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Commentaires (3)

  • L'urbanisation du bois des Cèdres au dessus d'Eden montre l'urgence absolue d'une loi protectrice des sommets, en particulier du Mont Mekmel, puisse le Président lever les yeux vers les hauteurs et le temps long!

    Beauchard Jacques

    17 h 47, le 21 janvier 2017

  • Il y a deux pétitions qui ont été initiées sur le site Change.org, pour les animaux de cirque au Liban et pour Qornet el Saoudah, Signez les et faites les suivre avant que nos chers élus ne se prosternent une fois de plus devant le veau d'or. Merci de me publier.

    Christine KHALIL

    15 h 06, le 21 janvier 2017

  • La vallée de Nahr Brahim ou Nahr Adonis, fut inscrite dans la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, on sait ce qu'il en reste. La gloutonnerie des concasseurs est sans limites.

    Un Libanais

    14 h 00, le 21 janvier 2017

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