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Liban - Patrimoine architectural

Les centenaires de Beyrouth en mal d’amour

Est-ce une tour de verre et d'acier qui va bientôt surgir au cœur d'un quartier à caractère historique et à l'emplacement de deux bâtiments datant de plus d'un siècle? Nous n'en savons rien, mais il est clair qu'en l'absence d'un cadre juridique, la préservation des maisons traditionnelles, ou du peu qui en reste, devient chimérique. On continue à détruire en toute légalité.

Avant-hier jeudi, le Conseil d'État présidé par le juge Chucri Sader a cassé la décision ministérielle de Raymond Arayji portant sur l'interdiction de démolir les bâtiments plantés sur les parcelles 726 et 1 520, face au jardin Saint-Nicolas à Achrafieh. Deux belles constructions offrant des baies à trois arcades, qui font partie de l'îlot historique formé par les rues Bustros et Chucri el-Asli.

Se refusant à tout commentaire, le ministre de la Culture a juste précisé qu'au niveau juridique, il ne conteste pas les décisions prises par le Conseil d'État. Il a toutefois tenu à souligner que la conservation du patrimoine est une responsabilité que son ministère assume seul, alors qu'en réalité, « elle est une responsabilité collective nationale qui relève également de la compétence du ministère des Travaux publics à travers la direction générale de l'urbanisme, des municipalités concernées et accessoirement de la DGA au niveau technique. Or, dans cette mission très importante mais aussi très lourde, je me retrouve seul, sans moyens financiers, sans ressources humaines et sans outils juridiques pour engager les procédures de protection », a ajouté M. Arayji, rappelant que la loi libanaise protégeant le patrimoine archéologique et architectural remonte à 1933 et ne couvre que les vestiges antérieurs à 1700 et quelques bâtiments isolés, classés monuments historiques par la DGA.

Une législation appropriée est donc la seule solution pour mettre fin au massacre du patrimoine. Le premier pas a été fait en 1996 : le commanditaire du recensement du patrimoine architectural, le ministre Michel Eddé, avait chargé une commission d'architectes d'étudier les modalités de compensation des propriétaires dont les bâtiments sont « gelés », qui se considèrent lésés de ne pouvoir exploiter librement leurs biens immobiliers, refusent d'assumer seuls le prix de la sauvegarde du patrimoine et pour qui le souci de vivre passe avant tout.

Les spécialistes proposent alors des mesures d'urgence à prendre : la libération des loyers pour leur permettre de profiter de leurs biens ; l'exemption fiscale sur le droit d'héritage ; le transfert de certains coefficients de construction ; la ristourne d'une taxe frappant les immeubles bénéficiant de la vue sur les ensembles sauvegardés ; une exonération de l'impôt sur le revenu ou encore la création d'un « fund raising ».

Mais suite à un remaniement ministériel et des interférences sociopolitiques, les travaux de la commission ont été suspendus, et, au fil des ans, les propositions avancées par le ministère ont été rejetées. Sept projets de loi, dont le dernier a été présenté par le ministre actuel Raymond Arayji, ont été élaborés, (ré) élaborés, pertinemment ciselés, sans qu'aucun ne soit voté. Agissant uniquement en fonction de leurs intérêts propres, nos élus n'ont pas légiféré, permettant ainsi aux promoteurs et spéculateurs de façonner, de modeler, d'inventer et d'imaginer l'espace urbain au gré de leur volonté. Bientôt, c'est tout Beyrouth qui deviendra le lieu de « l'antimémoire », selon l'expression de l'architecte Jad Tabet.

 

(Lire aussi : À Abdel Wahab on restaure, à Gemmayzé on démolit)

 

Un produit à jeter après usage ?
L'héritage architectural est-il à l'image d'un kleenex qu'il faut jeter après usage ? Ces bâtiments des années vingt et trente, fragiles et muets, qui se dressent à la rue Pasteur, la rue al-Arz, la rue Nahr Ibrahim, Mar Mikhaël ou Zaroub el-Haramiyé, entre autres lieux, sont-ils voués à disparaître? Les uns avec leurs volets claquemurés et leur rez-de-chaussée systématiquement condamné s'enveloppent d'un silence de mort. D'autres sont dans un bien mauvais état : vitres cassées, fer forgé et balcons démontés, et, au travers des façades défoncées, on peut imaginer le pire.

L'interdiction de les démolir n'assure en rien de leur longévité. D'une part, en raison de l'absence d'une loi moderne, et, de l'autre, l'interdiction de démolir n'est jamais suivie de notifications rapides ou de mise en demeure pour réparer les dégâts, c'est-à-dire restituer les fenêtres, colmater les trous des façades ou encore remettre en état le toit. Ballottée au vent, exposée à la pluie et aux inondations, la construction tombe peu à peu en ruine et ne tient plus que sur des béquilles, menaçant de ce fait la sécurité publique. Cette négligence volontaire est le moyen fréquemment utilisé par le propriétaire pour obtenir ce qu'il veut : démolir et construire du neuf. C'est ainsi que la désintégration pure et simple du patrimoine architectural se poursuit. En 40 ans, on a détruit ce qu'on a construit en deux siècles. Et on continue à abattre les vieilles pierres, couler la ville dans du béton, en prenant pour modèle les métropoles pétrolières.

Pour tout dire, l'hécatombe du patrimoine est un acte de plus à ajouter à la dégradation du discours politique, aux dérapages sécuritaires et au malaise social.

 

 

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Avant-hier jeudi, le Conseil d'État présidé par le juge Chucri Sader a cassé la décision ministérielle de Raymond Arayji portant sur l'interdiction de démolir les bâtiments plantés sur les parcelles 726 et 1 520, face au jardin Saint-Nicolas à Achrafieh. Deux belles constructions offrant des baies à trois arcades, qui font partie de l'îlot historique formé par les rues Bustros et...

commentaires (3)

Peut être doit on envisager de créer, sous la tutelle des ministères interesses "Une Banque De Conservation et Régénération du Patrimoine" Elle pourrait, avec le concours d'architectes et d'entrepreneurs du bâtiment, cette Banque pourrait sauver les biens quasi en déshérence, en les rachetant partie en cash et partie en "titres de participation. La Banque du Patrimoine" Vœu Pieux...mais avec un potentiel precieux

Chammas frederico

13 h 29, le 22 août 2016

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Commentaires (3)

  • Peut être doit on envisager de créer, sous la tutelle des ministères interesses "Une Banque De Conservation et Régénération du Patrimoine" Elle pourrait, avec le concours d'architectes et d'entrepreneurs du bâtiment, cette Banque pourrait sauver les biens quasi en déshérence, en les rachetant partie en cash et partie en "titres de participation. La Banque du Patrimoine" Vœu Pieux...mais avec un potentiel precieux

    Chammas frederico

    13 h 29, le 22 août 2016

  • Il faudrait vraiment prendre les bonnes decisions pour que Beyrouth ne soit pas une capitale ayant renie son pratrimoine architectural pourtant si typique et si beau

    nahas corinne

    13 h 57, le 20 août 2016

  • Le « TITANIC » à tous les niveaux ! ?

    Emile Antonios

    09 h 58, le 20 août 2016

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