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Liban - Fonction publique

L’administration étatique doit être redéfinie pour répondre aux besoins de la modernité

La situation à laquelle est parvenue l'administration étatique et les mesures qui devraient être prises pour opérer un redressement sur ce plan ont fait l'objet d'une étude approfondie de l'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar. Après s'être penché sur le cas de la fonction publique et sur les mesures conjoncturelles à prendre (voir L'Orient-Le Jour du jeudi 5 janvier et du lundi 9 janvier), M. Najjar évoque dans les lignes qui suivent les réformes structurelles nécessaires.

L'administration publique semble être appelée à une nouvelle définition. Son rôle doit évoluer au Liban pour tenir compte d'un impératif: elle doit être efficace sans être lourde. Le secteur public doit permettre non pas « plus d'État », mais un « mieux État ». Les évolutions du secteur privé en font désormais un acteur dominant dans la vie publique. Le développement de la communication, de l'informatisation et de la recherche constante de l'innovation va agir dans le sens d'une nouvelle « alphabétisation » des paramètres de l'intervention de l'administration. Le rôle régulateur de l'État doit cesser de paraître comme un élément perturbateur des solutions: en ce sens, la simplification et la régionalisation administratives paraissent les devoirs premiers d'un État qui se voudrait crédible. L'État doit être facilitateur, créateur d'innovations et de croissance. Il faut investir dans l'éducation, mais à condition qu'elle soit ouverte et pluridisciplinaire.
De telles réformes ne visent tantôt qu'à appliquer les dispositions législatives en vigueur – en ce sens ce ne sont pas vraiment des réformes textuelles mais un changement de l'esprit dans leur application (A) ; tantôt, elles supposent qu'on jette un regard nouveau sur la fonction publique (B): les premières ont à peine besoin d'être rappelées ; les secondes appellent une vision d'un programme de gouvernement.

 

A – Pour une application responsable des obligations du fonctionnaire

Les fonctionnaires sont soumis à des obligations éthiques dans et hors l'exercice de leurs fonctions. Parmi elles, on peut citer notamment celles qui sont de moins en moins observées au quotidien: obligation de se consacrer à la fonction ; obligation de désintéressement.
L'obligation de désintéressement interdit aux fonctionnaires « la prise, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, d'intérêts de nature à compromettre leur indépendance », ce qui correspond à la prise illégale d'intérêt du 432-12 et 13 NCP. L'arrêt CE, 1996, Sté Lambda étend l'obligation à toutes les positions statutaires de la fonction publique.
Les devoirs d'obéissance et de désobéissance: le devoir d'obéissance ne suppose donc pas un suivisme aveugle. Cela rappelle beaucoup la jurisprudence des « baïonnettes intelligentes », dégagée par les travaux du tribunal de Nuremberg. Le devoir d'obéissance s'impose lorsque l'ordre est manifestement illégal ou contraire à la conscience et aux obligations professionnelles.
À cela s'ajoutent l'obligation de loyauté et l'obligation de réserve.
Il faut ajouter à ce qui précède une obligation de neutralité et de discrétion professionnelle.
La sanction disciplinaire du non-respect des obligations doit enfin trouver application, au moins pour l'exemple.

 

B – Une remise en perspective de la fonction publique dans un programme de gouvernement.

1 – Un plan, une stratégie du développement.

L'administration en général doit être redéfinie pour répondre aux besoins de la modernité. Il faut un plan, encore une fois une stratégie du développement ; il en est temps !
Cette idée revient sur le devant de la scène avec la nomination d'un ministre d'État chargé de la Planification, suite à une intervention télévisée applaudie par un député et ancien ministre.
Les besoins sécuritaires doivent certes meubler la toile de fond de l'action des ministères concernés. C'est une priorité absolue, elle peut induire la confiance et la sérénité. Primum vivere !
Mais ceci dit, un nombre de lignes directrices doit être mis en relief:

a- Aucune réforme digne de ce nom n'est envisageable sans un inventaire systématique des besoins socio-économiques du pays. On ne peut ignorer les couches miséreuses de la population et la nécessité d'y remédier. Il n'est pas normal d'ignorer pourquoi, où et comment des causes profondes et durables rongent le tissu social du pays. Les attentats contre l'armée libanaise à Tripoli (Tell et Bahssas) ont mis en évidence à quel point il était facile de recourir aux services de jeunes désœuvrés. Ces derniers font partie de familles nombreuses qui vivent à dix personnes à Bab el-Tebbaneh, dans une chambre qui leur sert de maison, séparée d'une autre chambre-maison par un simple rideau. Pour 20/30 dollars, vous pouviez louer les services d'un adolescent pour aller poser le cartable explosif à l'arrêt du bus des militaires. L'insécurité est à ce prix parfois.

b- Le secteur public ne doit pas être « lourd ». L'idée du « tout État » doit céder la place à un « mieux État ». L'interventionnisme d'antan doit céder la place aux actions pragmatiques. L'État doit être le régulateur des énergies et de la croissance, le facilitateur des innovations et des créativités, à l'exemple de la circulaire 331 de la Banque du Liban, non le perturbateur des actions du secteur privé et de la croissance. En ce sens, une politique monétaire et fiscale adaptée et souple peut attirer les investissements.

c- L'informatisation doit être généralisée, dès lors qu'elle peut rendre l'administration plus accessible, plus efficace, plus transparente, moins propice au trafic d'influences. J'avoue avoir eu du mal à obtenir de certains juges de s'y consacrer. En arrivant au ministère de la Justice en 2008, les juges n'avaient pas de compte email, ni de wifi ! L'informatisation des décisions de justice restait embryonnaire !

d- La régionalisation aussi peut aider de manière fondamentale à la répartition des compétences et au rapprochement des services publics du citoyen.
C'est surtout, croyons-nous, l'éducation qui forme l'ossature des investissements de l'État. Mieux on est éduqué et instruit, plus on est citoyen. Le budget de l'éducation doit être multiplié par cinq. Ce serait le plus bel investissement du Liban.

2 – Une école nationale d'administration chargée non seulement de la formation des grands commis de l'Etat, mais aussi de leur recrutement.

3 – Le défi du partenariat public/privé.
Il n'est plus possible à l'État de tout entreprendre ; il doit aider les entreprises privées à exécuter les projets d'intérêt général, en facilitant la perception des redevances et en définissant les priorités de l'action des services publics. Les projets de lois en souffrance doivent être sur ce plan adoptés par le Parlement.

4 – Le développement de la sous-traitance pour rendre plus efficace la politique.
Pour faire état d'une expérience personnelle, j'évoquerais volontiers la décision prise de transférer au ministère de la Justice la responsabilité des prisons libanaises. Lourde tâche. Comment faire pour que le ministère de la Justice s'occupe de la sécurité des prisons ? Nous n'y avons ni FSI, ni armes et munitions ! Les juges ne sont pas des infirmiers ! Comment donner à manger aux prisonniers ? Les greffiers ne sont pas des traiteurs patentés ! Comment contrôler les livraisons d'eau dans des bouteilles à double fond, piégées pour contenir de la drogue ? Comment ouvrir les « manakiche » contenant chacune une cinquantaine de puces de cellulaire ? Il fallait décider de sous-traiter.
ORGANIZE, DEPUTIZE SUPERVISE ! C'est le seul moyen d'être efficace.
La modernisation et l'informatisation de l'administration sont supposées jouer un rôle décisif pour rapprocher les services publics du citoyen et d'offrir un gage à la transparence des services publics. Avec leur régionalisation, ces derniers pourront être gérés de manière plus responsable.

5 – Le défi du savoir-faire consensuel pour choisir la personne compétente à la place qu'il faut, au sein de chaque communauté.
L' « Observatoire de la fonction publique » va fonctionner aujourd'hui dans le cadre de l'Université St-Joseph, parallèlement aux nouvelles missions ministérielles. Un choix attend. Quelle priorité définir pour la fonction publique ? La compétence ? Le consensus ? Le vivre-ensemble ? La real politik ? Comment peser sur l'évènement ? Par communiqué de presse ? Par action « vive » ? Les statistiques ? La tâche est délicate. Il ne faudra pas foncer tête baissée, ni se résigner à admettre l'insupportable ! Ni – ni ? Quelle finalité ?
Je crois personnellement que les faits vont plus vite que les idées. Que les hommes sont plus importants que les directives qu'on leur donne ; que l'action est la fille spontanée de l'éducation, de la culture, de la liberté.
Trouvons des hommes libres, nous aurons une fonction publique. Il n'est de « richesse que d'hommes », comme aimait à le répéter E. Teilhac : « Un homme en plus, c'est une bouche de plus ; mais un homme en plus, ce sont deux bras de plus. »
Il nous faut des bras, des « hommes de plus ». Il faut des « hommes » !

 

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L'administration publique semble être appelée à une nouvelle définition. Son rôle doit évoluer au Liban pour tenir compte d'un impératif: elle doit être efficace sans être lourde. Le secteur public doit permettre non pas « plus d'État », mais un « mieux État ». Les évolutions du secteur privé en font désormais un acteur dominant dans la vie publique. Le développement de la...

commentaires (1)

Feu Cheikh Farid Dahdah, un des promoteurs et 1er Président du Conseil de la Fonction Publique au Liban, aurait été fier, Excellence et cher ami, de votre apport dans ce domaine. Vos analyses et vos propositions pour réhabiliter, remettre à jour et relancer une Fonction Publique en état de déliquescence, sont trés appréciables et très judicieuses. Cette Institution qui fut sous le régime du Président Fouad Chébab un des fleurons de la République et un modèle de modernité et d'efficacité, contribuera aussi, si elle venait à être bien restorée, à la réussite du régime du Pésident Michel Aoun ...!

Salim Dahdah

11 h 12, le 10 janvier 2017

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Commentaires (1)

  • Feu Cheikh Farid Dahdah, un des promoteurs et 1er Président du Conseil de la Fonction Publique au Liban, aurait été fier, Excellence et cher ami, de votre apport dans ce domaine. Vos analyses et vos propositions pour réhabiliter, remettre à jour et relancer une Fonction Publique en état de déliquescence, sont trés appréciables et très judicieuses. Cette Institution qui fut sous le régime du Président Fouad Chébab un des fleurons de la République et un modèle de modernité et d'efficacité, contribuera aussi, si elle venait à être bien restorée, à la réussite du régime du Pésident Michel Aoun ...!

    Salim Dahdah

    11 h 12, le 10 janvier 2017

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