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Nos Lecteurs ont la Parole - Yves PRÉVOST

Faut-il réserver Qannoubine aux jeunes ?

La fameuse vallée de la Qadicha. Crédit Office du tourisme

Il y a peu, il était fortement question d'une route menant jusqu'à la porte du couvent de Qannoubine. Devant mon opposition à ce projet une amie me posa la question suivante: « Pourquoi veux-tu réserver Qannoubine aux jeunes ? »
Avant de répondre, il importe de bien comprendre ce que sont Qannoubine et la Vallée sainte. Un site touristique ? Un monument historique ? Un musée ? Tout cela, certes, mais aussi : le lieu le plus sacré du patrimoine chrétien du Liban ; le cœur de l'Église maronite, et, d'abord et avant tout, un lieu de silence, de méditation et de prière. Parce que de même que l'on a dit de la cathédrale de Chartres qu'elle était une « Bible de pierre », on peut dire de la Qadicha qu'elle est un manuel de spiritualité.

Une « sainteté ordinaire »
Tout a commencé au IVe siècle, lorsque la vallée s'est remplie d'ermites. La Roque rapporte que, selon les dires des moines, ils auraient été jusqu'à 800 au plus fort de la vague.
Entourée de hautes montagnes, avec ses gorges profondes accessibles seulement par de raides sentiers, la vallée, qui par leur présence, allait devenir la Sainte, la Qadicha, leur offrait le refuge idéal. C'est cet isolement qui a motivé leur choix, c'est pourquoi il constitue une composante essentielle de la Vallée sainte et a d'ailleurs été un élément déterminant dans la décision de classification par l'Unesco.
On a dit souvent qu'ils cherchaient des lieux isolés pour se protéger des pillards, c'est inexact car ils ne craignaient pas la mort. C'est après la conversion de Constantin que le mouvement des ermites a pris de l'ampleur. Les persécutions ayant pris fin, les hommes qui, fous d'amour pour le Christ, ne pouvaient plus lui offrir leur mort par le martyre, décidèrent donc de lui consacrer leur vie. Et c'est autour des moines, leurs successeurs, que l'Église maronite a pris corps et s'est développée.
Ici, il importe de dissiper un malentendu. Les saints maronites que l'Église nous propose en exempl, sont tous moines ou moniales. Nous les admirons, mais nous sentons incapables de les imiter. Bien entendu ! Car ils sont inimitables. Leur vocation n'est pas la nôtre. Mais il est cependant possible de suivre leur exemple en offrant au Seigneur chaque geste de la vie quotidienne. Alors manger, dormir, lire, jouer ou travailler devient prière.
Ne nous montrent-ils pas ainsi la voie d'une « sainteté ordinaire », accessible à chacun, quel que soit son état ? Et c'est bien là la première leçon que nous donne la Qadicha.

Simplicité, pauvreté, humilité
La deuxième leçon nous est proposée à Qannoubine. La vue du modeste « palais patriarcal » accolé à l'église nous fait ressentir le même étonnement et la même admiration que les visiteurs du XVIIe siècle devant l'austérité de vie, tant des moines que des évêques et patriarches.
En témoigne Jean de La Roque qui visita le monastère en 1689 : « Tous les prélats maronites mènent une vie fort régulière et fort austère, ils sont habillés pauvrement et n'ont pour tout revenu que ce que la terre leur donne par le travail de leurs mains. On ne voit point chez eux le faste de nos prélats d'Europe. Leurs ornements sont propres quoique pauvres. C'est la vertu qui les orne et non pas les étoffes riches, les broderies, l'or et l'argent. Ils n'ont que des crosses de bois, mais ce sont des évêques d'or.»
Simplicité, pauvreté, humilité : à Qannoubine, ces vertus sourdent littéralement des pierres.

Sens de l'effort
Pour comprendre la troisième leçon, il faut se replonger dans l'atmosphère de la région à l'époque ottomane, et particulièrement au XVIIe siècle.
Depuis le début du XVIe siècle, les Mamelouks ont laissé place aux Ottomans, mais les persécutions continuent. La principale préoccupation des nouveaux maîtres est l'argent. Quoique de population majoritairement chrétienne, la zone nord est soumise aux émirs chiites du clan Hamadé. Ceux-ci, chargés de la collecte des impôts pour le compte des pachas de Tripoli, prélèvent, bien entendu, leur part au passage. Les taxes augmentent sans cesse de façon arbitraire. Souvent dans l'impossibilité de payer, la population est soumise à toutes sortes de vexations, soit de leur part, soit de celle des sbires du pacha. Parfois, les paysans viennent se réfugier à Qannoubine où le patriarche a du mal à trouver de quoi les nourrir. Lui-même est souvent contraint de se cacher ou s'enfuir, comme l'exprime Stéphane Doueyhi dans une poignante lettre au roi Louis XIV :
« Ils ont emprisonné les hommes et les enfants et accroché les femmes aux arbres par leurs seins comme nous avons vu de nos propres yeux. Ceci nous a fendu le cœur, (...) tous les lieux et les villages de Jebbé sont entièrement dévastés et leurs habitants dispersés dans de lointaines contrées (...). De plus, ils (...) ont aussi porté atteinte à notre personne et à nos évêques et nous ont avili comme nos ouailles à tel point que nous avons dû maintes fois nous habiller à la façon des laïcs et fuir. Nous avons vécu dans les vallées et les grottes, dans les rocs et les montagnes, sous les intempéries, malgré la vieillesse, pour échapper à leurs mains criminelles. Nous sommes déjà fatigué de tout ceci au point d'abandonner notre Siège et de quitter vers des localités étrangères. »
Quatre siècles de présence des patriarches à Qannoubine, quatre siècles de persécutions ininterrompues. Ils font de Qannoubine un symbole de fidélité dans les épreuves et de persévérance dans l'effort.

Silence
Si ce n'était pas pour des raisons de sécurité, pourquoi donc les ermites ont-ils cherché un endroit aussi retiré ? Tout simplement pour y trouver le silence nécessaire à l'écoute de Dieu.
Une jeune fille me fit un jour cette réflexion: « Moi, je n'aime pas le silence : il m'oblige à réfléchir ! » Voilà pourquoi on voit, dehors, tant de jeunes, les écouteurs constamment à l'oreille, et dans les maisons, une musique ou une télévision en permanence allumée, que personne d'ailleurs n'écoute ni regarde, mais qui suffit à distraire l'attention, à empêcher de penser.
Rechercher le silence, c'est cesser de se fuir, c'est accepter de regarder son image dans un miroir, avec les défauts que l'on sait y trouver. C'est accepter un face-à-face avec soi-même, une prise de conscience de ses faiblesses, et par conséquent un engagement à progresser. C'est un geste – nécessaire – d'humilité.
Le silence est le fondement de toute vie spirituelle – le silence extérieur qui favorise le silence intérieur qui seul permet d'écouter la voix du Seigneur. Il constitue – comme l'isolement dont il est d'ailleurs le fruit – une valeur essentielle de la Qadicha. Beaucoup de jeunes en ont fait l'expérience, demeurée pour eux inoubliable, lors d'une nuit passée à la belle étoile dans la Vallée sainte.

La réponse
Il est maintenant temps de répondre à la question posée plus haut. Entre la recherche de Dieu face à l'athéisme ambiant ; l'humilité face à la recherche du pouvoir ; la pauvreté face à l'appât de l'argent ; le sens de l'effort face à la recherche du plaisir comme bien suprême, et le silence face à la fuite de soi-même par l'étourdissement, oui, face à tous ces poisons distillés et proposés par la société, Qannoubine a beaucoup à apporter à la jeunesse libanaise !
Sac à dos à préparer, pour apprendre le dépouillement ; fatigue de la marche sous le soleil, pour le sens de l'effort ; silence de la nuit étoilée, pour se retrouver soi-même, et écouter en soi la voix du Seigneur ; présence invisible des milliers de saints qui ont sanctifié cette Vallée, pour apprendre la fidélité, et le doux manteau de Notre-Dame pour venir s'y réfugier et panser ses blessures.
Alors ? Qannoubine réservée aux jeunes ? Oui, certainement ! Mais de tous âges...

Yves PRÉVOST

Il y a peu, il était fortement question d'une route menant jusqu'à la porte du couvent de Qannoubine. Devant mon opposition à ce projet une amie me posa la question suivante: « Pourquoi veux-tu réserver Qannoubine aux jeunes ? »Avant de répondre, il importe de bien comprendre ce que sont Qannoubine et la Vallée sainte. Un site touristique ? Un monument historique ? Un musée ? Tout...

commentaires (3)

Je suis mille fois d'accord avec Yves Prévost. Je le remercie de cet excellente étude. Que d'endroits saccagés à cause de l'ouverture d'une route à proximité.

Un Libanais

12 h 59, le 09 janvier 2017

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Commentaires (3)

  • Je suis mille fois d'accord avec Yves Prévost. Je le remercie de cet excellente étude. Que d'endroits saccagés à cause de l'ouverture d'une route à proximité.

    Un Libanais

    12 h 59, le 09 janvier 2017

  • TOUCHEZ PAS A MA VALLEE... LE CEDRE D,ANNOUBINE SUR UN VERSANT ABRUPT DU CANYON D,ANNOUBINE, IL EST UN CEDRE ALTIER QUE BERCENT LES ZEPHYRS. LE PELERIN AU PIED DE CE GEANT S,INCLINE ET MURMURE D,AMERS REGRETS ET REPENTIRS. DEUX NOMS, IL GARDE EN SA MEMOIRE. LA TEMPETE N,A PU LES EFFACER. DANS SON INVOCATION, LE PELERIN LES CITE ; ET L,ECHO LES REPETE ; ET LE CEDRE TRESSAILLE A LEUR EVOCATION. QUAND DANS LES BOIS LE MERLE AU CREPUSCULE CHANTE, OU D,UNE FLUTE UN AIR MELANCOLIQUE MONTE, L,ON ENTEND S,EXHALER COMME DE LONGS SOUPIRS. ON DIRAIT QUE LE CEDRE ACQUIERT SOUDAIN UNE AME, ET QUE D,UN GRAND AMOUR L,INDELEBILE FLAMME Y REVEILLE DE CHERS ET HEUREUX SOUVENIRS. -FILS DU LIBAN,DIS-MOI : POURQUOI, SUR CETTE TERRE, LE VERIDIQUE AMOUR EST TOUJOURS EPHEMERE ? POURQUOI S,ECLIPSE-T-IL DES SON PREMIER PRINTEMPS ? DIS-MOI, TOI QUE LE TEMPS N,A PU FLECHIR L,ECHINE, DES AMANTS, QUE LE SORT A L,OUBLI PREDESTINE, POURQUOI N,EN RESTE-T-IL QUE D,ANONYMES NOMS ? - DANS CE MONDE OU TOUT N,EST DESTINE QU,A SE PERDRE, HEUREUX, QUI LAISSE UN NOM DANS L,ESPRIT D,UN VIEUX CEDRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 43, le 09 janvier 2017

  • Merci, Monsieur Yves Prévost, pour cet article magnifique ! Ne reste plus qu'a espérer que les responsables de l'Eglise Maronite, en premier, fassent tout pour préserver cet endroit sublime. Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 01, le 09 janvier 2017

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