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Nos Lecteurs ont la Parole - David SAHYOUN

De quoi la ville d’Alep est-elle le symptôme ?

Photo Youssef Karwashan

Un symptôme est un signe extériorisé (physique ou psychique) grâce auquel un sujet peut s'y concentrer afin de ne plus se préoccuper de ses origines souterraines anxiogènes.
La symbolique d'Alep dépasse, et de loin, sa position géographique. Les causes de l'abandon de cette ville au carnage et à l'annihilation de sa population dans l'indifférence et la connivence de ceux qui règnent sur cette planète trouvent leurs sources (comme pour d'autres endroits de la terre) aux confins du monde oriental et occidental et relèvent des positions politiques adoptées par ses dirigeants, sachant que toute position politique reflète des attitudes aussi bien économiques que morales.
De quoi Alep est-elle le symptôme ?
– D'un monde en déshumanisation, de plus en plus dépourvu de compassion pour la souffrance d'un être humain autre, parce que cet autre est devenu l'objet de projection de toutes les craintes, de toutes les angoisses, de toutes les frustrations. Cet autre (syrien, réfugié, « migrant », voisin, étranger, etc.) est devenu le bouc émissaire qui nous délivre de notre responsabilité en tant qu'êtres humains solidaires. Oublié John Donne et son admirable déclaration reprise par Hemingway : « La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
– D'un dédouanement à bon compte d'États qui font l'aumône de millions de dollars pour garder les réfugiés loin de leurs rivages, pour que ces réfugiés demeurent parqués sous des toiles et des abris de fortune au lieu d'entreprendre, avec un souci réel d'efficacité, des actions diplomatiques et, s'il le faut, militaires pour mettre fin à l'équarrissage que le boucher de Damas (ou d'ailleurs), soutenu par ses complices locaux et internationaux, opère sur son peuple. Réédition au XXIe siècle du drame palestinien non plus par un envahisseur qui s'est identifié à ses bourreaux mais cette fois-ci par un syrien assassin de son propre peuple. Ces réfugiés que les États occidentaux, semble-t-il, veulent garder dans les pays de refuge, s'associent au régime syrien, servent ses objectifs génocides et de nettoyage ethnique.
– De citoyens apeurés, désemparés, inquiets de leur avenir et de celui de générations futures qui, aux USA, élisent un candidat politique populiste, démagogue, auteur de slogans haineux et racistes, tout en sachant pertinemment que ses déclarations électorales ne sont que mensonges. Alors qu'ailleurs, d'autres citoyens mettent leurs espoirs en un candidat qui affiche sa foi catholique fervente et qui ne trouve aucune contradiction à s'accointer avec un répugnant duo de féroces dictateurs.
– De la médiocrité de dirigeants suiveurs d'une opinion publique qui retrouve les pulsions les plus primaires pour se défendre contre ses fantasmes angoissants. Des dirigeants qui, non seulement abandonnent toute conscience morale, mais qui se réfugient dans les déclarations apitoyées ou dans des reproches moralisateurs adressés aux autres (que tout le monde trouve admirables !)
alors qu'ils sont eux-mêmes responsables d'avoir laissé le massacre des Syriens se réaliser en toute impunité dès le début de la révolution syrienne, qui sont eux-mêmes coupables de s'être montrés complices du tyran syrien, qui sont eux-mêmes à l'origine de la création de ces mêmes groupes extrémistes qu'ils combattent.
– De l'éloge d'un pragmatisme ou d'une « realpolitik » qui n'est synonyme que de déresponsabilisions et de tentatives de déculpabilisation.
– De la misère d'une rhétorique locale et internationale qui met à égalité celui qui extermine son peuple, celui qui prend les armes pour se libérer de la tyrannie et celui qui, au nom d'une doctrine obscurantiste, tranche les têtes et réduit des êtres humains en esclavage.
– De pauvres discoureurs aveuglés par la peur d'attentats extrémistes ou de disparition en tant que minorités et qui s'accrochent désespérément aux basques des habits ruisselants de sang de Bachar el-Assad.
– De la rapacité usurière d'États et de financiers qui assistent ou participent à la désintégration de villes et de populations entières en se réjouissant à la pensée des milliards de profits économiques qu'ils engrangeront dans la reconstruction.
– De l'ignorance de la précarité économique, sociale et culturelle d'une bonne partie d'une population qui, ayant abandonné l'espoir de voir un État se préoccuper de la sortir de sa misère, se tourne vers les appels de ceux qui promettent, dans l'allégresse illusoire, richesses, gloire et salut.
– De l'incapacité de responsables à comprendre l'état de vide psychique tragique de jeunes à la recherche d'un sens à leur existence et qui pensent trouver, dans les promesses d'un paradis rédempteur, la solution à leurs failles existentielles, à défaut de véritables projets de reconstruction de soi et de son avenir.
Je m'arrête là car la liste est trop longue.
Il n'existe pas un facteur unique responsable d'un symptôme. Celui-ci est le produit d'une multitude de facteurs déterminants. Et ce n'est que par leur résolution, en s'attaquant à ses nombreuses causes profondes, dont j'ai énuméré quelques-unes, que le symptôme pourra éventuellement disparaître.
Autrement, telle une hydre, il se reproduira indéfiniment.

David SAHYOUN

Un symptôme est un signe extériorisé (physique ou psychique) grâce auquel un sujet peut s'y concentrer afin de ne plus se préoccuper de ses origines souterraines anxiogènes.La symbolique d'Alep dépasse, et de loin, sa position géographique. Les causes de l'abandon de cette ville au carnage et à l'annihilation de sa population dans l'indifférence et la connivence de ceux qui règnent sur...

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