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Moyen Orient et Monde - Je vous parle d’Alep...

XI- Joumana Omar, travailleuse sociale à Alep-Est : « C’est un peu absurde de faire du shopping vu les circonstances, mais ça nous fait du bien »

On parlera plus tard d'Alep comme on parlait il n'y a pas si longtemps de Sarajevo, Srebrenica ou Grozny. On parlera de la politique de la terre brûlée menée par le régime syrien, les Russes et les Iraniens sous le regard des Occidentaux, impuissants. Parce que cette histoire tragique est en train de se passer à quelques kilomètres de nos frontières, parce que cette bataille symbolise, plus que n'importe quelle autre, la nature et les enjeux du conflit syrien, « L'Orient-Le Jour » a décidé de donner la parole aux Alépins pendant une semaine. Chaque jour, un Alépin, homme ou femme, vivant à l'est dans les quartiers rebelles, ou à l'ouest dans les quartiers loyalistes, anesthésiste, activiste, médecin, étudiant ou autre, racontera son quotidien dans l'enfer d'Alep.
Aujourd'hui, le témoignage de Joumana Omar, travailleuse sociale à Alep-Est.

Le quartier détruit d’al-Kallassé, à Alep-Est. Photo Joumana Omar

Chaque jour je me réveille avec le bruit des avions. On se lève du lit en se demandant ce que la journée nous réserve. Quand il ne se passe rien, je me dis « qu'est-ce qu'il y a aujourd'hui, ils nous ont oubliés ?».
Depuis quelques jours, les raids aériens se sont calmés, mais on entend très fortement les tirs d'obus.

Habituellement j'arrive en retard au travail. Aujourd'hui (hier), c'était mieux que d'habitude. Je suis allée au bureau à l'heure. Depuis 3 ans, je suis en charge des dossiers des orphelins, dans une association caritative. Ma journée de travail dure à peu près six heures, et je suis souvent sur le terrain, ce qui est très fatigant et surtout stressant. Nous vivons en fonction des avions et des bombardements. La situation est tragique. Au bureau, les murs tremblent lors des explosions. Nous avons à peu près 370 enfants à gérer. C'est intense car chacun d'entre eux a besoin d'une prise en charge globale, qu'elle soit financière, pédagogique ou sanitaire.

Quand je suis rentrée à la maison aujourd'hui, la situation était plus calme, car les bombardements se concentraient loin de chez moi. Mais c'est très exceptionnel. J'en ai profité pour aller faire du shopping dans mon quartier. C'est vrai que c'est un peu absurde d'aller faire du shopping vu les circonstances, mais ça nous fait du bien. C'est comme un soutien psychologique. J'ai acheté des pelotes de laine pour tricoter un pull à ma nièce. On ne trouve plus beaucoup de vêtements, spécialement pour enfants. J'ai aussi acheté des crayons de couleur pour mon neveu. C'est rare que je voie mes frères et sœurs, ou que j'aille chez mes amis. Quand on parvient à organiser une sortie, on finit toujours par annuler à cause des bombardements.

La vie normale nous manque tellement, et la moindre bouffée d'air est salutaire. À la maison, nous avons un générateur qui fonctionne près de trois heures par jour. Généralement, on ne dort pas trop la nuit, car notre sommeil est entrecoupé par les bombardements. Ce soir, je ne sais pas si je réussirai à dormir.

J'ai 35 ans. Je ne suis pas mariée et je n'ai pas d'enfants. C'est peut-être mieux car la maternité en temps de guerre, ça doit être tellement difficile. Je ne peux pas m'imaginer la vie d'une mère en ces temps. Vous vous imaginez devoir chercher votre enfant de l'école ou de la garderie sous les bombes, sans même savoir s'il est en vie ?

Je fais souvent don de mon sang, et avant je prenais des médicaments pour ne pas avoir d'anémie. Maintenant je ne trouve même plus de calcium dans les pharmacies. Je suis en bonne santé, mais il faut imaginer la situation des autres, des blessés ou avec des parents, c'est dramatique. Une fois dans mon bureau, une femme avec des jumeaux d'un mois est venue me voir, car elle n'arrivait plus à les allaiter. J'étais désemparée. Je ne fais plus confiance à la communauté internationale et bien entendu encore moins au régime. Je pense que cette histoire de corridors humanitaires est un piège, car si quiconque avait voulu nous aider, il l'aurait fait avant qu'on se retrouve pris au piège. Le blocus, c'est avec nos nerfs avant tout qu'il joue.

 

 

L'Orient-Le Jour a demandé à Joumana Omar des images représentant son quotidien (ici, des destructions dans le quartier rebelle d'al-Kallassé, à Alep-Est) :

 

 

 

"Je vous parle d'Alep", les précédents témoignages :

X- Ahmad al-Ahmad, travailleur humanitaire à Alep-Est : « Les légumes ou les fruits ? On ne sait plus ce que c’est ! »

IX- Wissam Zarqa, professeur à Alep-Est : « La plupart des gens diplômés ont soit fui, soit été arrêtés ou tués »

VIII- Anouar Chehada, anesthésiste à Alep-Est : « Mon petit garçon a très peur des bombardements »

VII- Jack, étudiant à Alep-Ouest : « Chaque matin dans le bus, nous essayons de ne pas penser à ce qui se passe de l'autre côté »

VI – Ismaël Alabdallah, Casque blanc à Alep : Nous avons pu trouver à manger aujourd'hui

V- Dr Farida, gynécologue-obstétricienne à Alep : « C'était un jour comme un autre, sous les bombes »

IV- Abou el-Abed, combattant rebelle : Ma mère n’a jamais accepté que j’aille combattre

III-Ameer, photographe : Quand je croise les enfants du quartier, ils m’indiquent des corps en décomposition

II - Yasser, comptable : « Ne t’inquiète pas mon amour, nous sommes en vie, ne sois pas triste pour la maison »

I - Mohammad, infirmier à Alep : « Les enfants ne savent pas qui est Assad ou ce qu'est la rébellion »

Chaque jour je me réveille avec le bruit des avions. On se lève du lit en se demandant ce que la journée nous réserve. Quand il ne se passe rien, je me dis « qu'est-ce qu'il y a aujourd'hui, ils nous ont oubliés ?».Depuis quelques jours, les raids aériens se sont calmés, mais on entend très fortement les tirs d'obus.
Habituellement j'arrive en retard au travail. Aujourd'hui (hier),...

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