Mohammad, infirmier à Alep.
« Ce matin, comme chaque matin, je me réveille sans même avoir le sentiment d'avoir dormi ne serait-ce qu'une minute à cause des avions et des bombes. Mais je me lève quand même, porté par l'idée que des gens auront besoin de moi. Je pars au travail sans savoir si je rentrerai à la maison le soir. Vais-je échapper à une bombe à sous-munitions ou au phosphore, ou encore à un baril d'explosifs aujourd'hui ? Le matin, une voiture vient chercher les infirmiers, car nous habitons tous loin de l'hôpital. Il s'agit du plus grand hôpital de campagne d'Alep-Est.
Commence alors une véritable course contre la montre. En arrivant à l'hôpital, mes collègues et moi prenons la relève de ceux qui étaient là pendant toute la nuit. Chaque matin, en découvrant les lieux, nous pouvons imaginer ce qu'ils ont vécu. Nous nettoyons, préparons les chambres d'opération et le matériel. Les avions de la mort sont déjà au-dessus de nos têtes. Et là reprennent les bombardements. Le sol tremble sous nos pieds, nous essayons de nous cacher en nous efforçant de cacher notre peur, car il y a des blessés partout qui comptent sur nous. Les ambulances et des voitures de civils commencent à affluer, qui déposent des femmes et des enfants blessés, encore à moitié endormis, dans leurs pyjamas tachés de sang. On nous emmène des gens sans savoir s'ils sont toujours vivants. Des moitiés de corps, des membres déchiquetés. Les familles hurlent et s'imaginent qu'on peut faire quelque chose, mais parfois il est trop tard. Et ça nous fend le cœur. Le plus douloureux, c'est surtout les enfants victimes de cette guerre. Ils ne savent même pas qui est Bachar el-Assad, ni ce qu'est la rébellion. Tout ce qu'ils souhaitent, c'est de pouvoir manger, jouer... Vivre en somme.
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Quand la situation se calme un peu, on part manger un bout à tour de rôle. On nous donne un verre de thé, du pain avec un peu d'huile et du thym. Il n'y a plus rien de mangeable à Alep. Nous travaillons le ventre vide parfois, 14 heures d'affilée, voire plus. Les médecins nous demandent d'économiser les aiguilles ou les doses de médicaments, mais c'est très difficile. Bientôt, nous n'aurons plus rien pour soigner les gens.
Je rentre le soir chez moi. Pas d'électricité bien sûr. J'ai rechargé mon téléphone à l'hôpital. Je capte Internet en achetant des coupons, mais ça marche mieux dans la rue que chez moi. Les avions passent toujours au-dessus de nous, je ne veux pas qu'ils aperçoivent la lumière de mon portable, alors j'interromps la conversation WhatsApp avec mes collègues sur le groupe qu'on a créé pour parler de la journée. C'est notre exutoire. Nous nous persuadons que nous ne faisons pas ce métier pour rien, même si nous nous sentons souvent impuissants. En me couchant le soir, je pense aux défis qui m'attendent le lendemain : trouver à manger, trouver de l'essence, rester en vie... »
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« J'en veux à tous ceux qui laissent les Alépins face à une mort certaine »
« Ce matin, comme chaque matin, je me réveille sans même avoir le sentiment d'avoir dormi ne serait-ce qu'une minute à cause des avions et des bombes. Mais je me lève quand même, porté par l'idée que des gens auront besoin de moi. Je pars au travail sans savoir si je rentrerai à la maison le soir. Vais-je échapper à une bombe à sous-munitions ou au phosphore, ou encore à un baril...
commentaires (4)
Et n'oublie pas le boucher de damas !!
Bery tus
18 h 38, le 28 septembre 2016