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Moyen Orient et Monde - Japon / Témoignage

« La rivière était pleine de cadavres et finissait par se jeter dans la mer »

Katsuko Kuwamoto a survécu à la tragédie de Hiroshima. Elle raconte à « L'Orient-Le Jour » le récit de cette journée apocalyptique.

Au musée du Mémorial pour la paix, un vélo carbonisé lors de l’explosion de la bombe A à Hiroshima en 1945. Photo A.S.

« Nous avons connu l'agonie de la guerre. Trouvons aujourd'hui le courage, ensemble, de propager la paix et de construire un monde sans armes nucléaires », a écrit le président américain Barack Obama sur un papier conservé au musée Mémorial pour la paix au moment de sa visite historique à Hiroshima, le 27 mai dernier.
C'était la première visite d'un président américain en exercice depuis l'explosion de la bombe nucléaire, baptisée Enola Gay, le 6 août 1945, qui avait fait 140 000 morts. Plusieurs survivants avaient écrit au président ou étaient venus le rencontrer à cette occasion pour essayer de tourner enfin cette terrible page de l'histoire. D'autres ne sont pas encore prêts à pardonner.
C'est le cas de Katsuko Kuwamoto. Elle avait 6 ans quand la bombe A a explosé au-dessus de la ville. « La visite d'Obama ne va pas réduire la douleur des gens qui ont tout perdu », confie-t-elle aujourd'hui. Longtemps elle a préféré garder le silence sur son histoire. Mais plus les années passaient, moins les survivants étaient nombreux et plus il devenait nécessaire, à ses yeux, d'en parler. D'une voix frêle, parfois tremblante, elle raconte à L'Orient-Le Jour le récit de cette journée apocalyptique.

 

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L'odeur était insupportable
« Je suis née en pleine guerre. Un jour, à l'école maternelle, alors que je préparais mes devoirs, j'ai entendu aux informations qu'un avion de guerre américain allait survoler la ville. Les professeurs ont donné l'alerte et nous ont dit de ranger nos affaires et de rentrer à la maison. J'ai rangé tous mes livres dans mon sac à dos puis j'ai couru vers la maison. Voilà à quoi ressemblaient mes journées. Moi je rêvais de rester en classe pour continuer à étudier. Mais notre quotidien, pendant un mois, était ponctué d'alertes et de départs précipités.

« Au bout d'un certain temps, ce quotidien était toutefois devenu trop dangereux. Les enfants ne pouvaient plus vivre en ville. Ceux qui avaient des proches en montagne allaient vivre là-bas, chez des cousins ou chez des voisins. Les autres, qui n'avaient personne, étaient emmenés dans un temple en dehors de la ville. Ma sœur et moi sommes allés chez des cousins, et nous avons dû changer d'école. Notre père était miliaire, engagé sur le front, loin de chez nous. Notre mère est donc restée seule à la maison. On la voyait seulement pendant les week-ends. Durant la semaine, je pleurais tous les jours. J'aurais préféré rester avec ma mère, quitte à mourir à ses côtés, plutôt que d'être loin d'elle et en sécurité.
« Notre quotidien était de plus en plus difficile. Notre ancienne école avait été bombardée et complètement détruite. Nous manquions de tout et la faim se faisait sentir. Ma sœur et moi étions tout le temps en larmes. Pour nous réconforter, les femmes du village nous offraient des prunes. Cela nous rendait tellement heureuses.

« Le 6 août, le jour de l'explosion, nous sommes allés à l'école. À 8h15, au moment de l'explosion, tous les enfants étaient en classe. Toutes les vitres se sont brisées. Une fille qui était assise à côté de la fenêtre a été blessée par les bris de verre. Son sang giclait dans la classe. La professeure a porté la fille et commencé à courir à travers la cour. Nous étions tous sous le choc. Nous ne comprenions pas ce qu'elle faisait. Et pourtant nous nous sommes tous mis à courir derrière elle. Nous étions dans un état second.
Notre tante est arrivée plus tard pour nous ramener à la maison. Nous étions en sécurité, mais terriblement inquiètes pour notre mère. Qu'a t-il pu lui arriver ? Était-elle encore en vie ? L'explosion avait eu lieu au-dessus du centre-ville, là où elle habitait. Notre cousin nous a dit qu'il allait la chercher. Nous avons attendu une dizaine de minutes avant de le voir revenir... seul. Il nous a expliqué qu'il avait dû rebrousser chemin à 500 mètres du centre-ville. Il était impossible de s'approcher davantage à cause du feu.
« Nous avons attendu trois ou quatre jours pour que les choses se calment avant de retourner au centre-ville pour chercher notre mère. Partout dans la ville, les corps étaient couverts de tapis, conçus à base d'herbes et de feuilles. Nous avons commencé à soulever les tapis un par un pour voir si notre mère était en dessous. Il faisait chaud, les cadavres étaient en plein soleil depuis plusieurs jours et sentaient extrêmement fort. L'odeur était insupportable. Il nous était impossible de continuer.

 

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4 000 degrés
« J'ai appris plus tard que ma mère était en train de prendre son petit déjeuner au moment de l'explosion. Le mur lui est tombé dessus, elle ne pouvait plus bouger. Mais ses voisins lui sont venus en aide et l'ont aidée à partir. Ce sont les trois seules personnes qui ont survécu dans ce quartier.
« Ma mère était rongée par l'inquiétude à notre égard. Mais elle ne pouvait pas venir chez ma tante car le vent soufflait du sud vers le nord, les obligeant à aller vers l'est pour éviter le feu. Quand elle a su que le feu avait été éteint, elle est venue nous voir. Une semaine était passée depuis l'explosion. J'étais tellement heureuse de la revoir. Mais j'avais l'impression que son visage n'était plus celui d'une personne humaine. Elle avait le visage très bleu. Je compris plus tard que c'était à cause des radiations. Les jours qui ont suivi, ma mère était toujours fatiguée mais on ne comprenait pas pourquoi. On avait l'impression qu'elle n'avait rien.

« Les gens de toute la région de Hiroshima avaient compris qu'il y avait eu une explosion, mais personne ne savait que cette explosion était nucléaire. On ne savait même pas ce que nucléaire voulait dire, donc personne n'était préparé aux effets secondaires de la bombe. À cette période, tous les hommes de la région étaient enrôlés dans l'armée. Il ne restait que les femmes et les enfants qui devaient prendre la place des hommes.

« Le jour de l'explosion, aucune alarme n'avait retentit pour prévenir les gens, contrairement à d'habitude. Les gens ne se sont pas cachés, ils ne s'attendaient pas à cela. C'était une journée normale, comme les autres. Mais les enfants ont vu l'avion lâcher la bombe. Le spectacle était incroyable, bien que terrifiant.
« Les enfants qui étaient dans le centre-ville au moment de l'explosion ont été brûlés et quelques jours plus tard, ils n'étaient plus capables de marcher. À cause de la pression de la déflagration, on avait l'impression que certains avaient les yeux qui leur sortaient de la tête, comme s'il s'agissait de balles. La température était de 4 000 degrés. Les survivants étaient très peu nombreux. Ils étaient assoiffés, réclamaient désespérément de l'eau. Ceux qui étaient capables de marcher ont couru vers la rivière et ont bu de l'eau de la rivière. Mais dès l'instant où ils buvaient, ils mouraient.
« La rivière était pleine de cadavres et finissait par se jeter dans la mer. Les corps prenaient le large et revenaient au gré des vagues.

Les rares survivants ont voulu aller se soigner, les gens couraient en direction des hôpitaux. Les bâtiments étaient encore debout, mais dedans tout avait brûlé. Tous ceux qui travaillaient à l'hôpital étaient blessés ou morts, et il n'y avait plus de médicaments, ou de matériel médical pour soigner les gens. Les blessés avaient des vers dans le corps, alors les survivants essayaient de les enlever. C'est tout ce qu'il était possible de faire à l'hôpital.

 

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« Le 15 août, l'empereur annonce la capitulation du Japon. Mais nous n'avons toujours pas de nourriture dans toute la région de Hiroshima. Tous les 3 jours, nous faisions la queue à partir de quatre heures du matin, pour récupérer un bout de pain. Un jour, j'étais dans la file d'attente avec ma mère, il pleuvait des cordes et elle est tombée. Nous avons dû l'amener d'urgence à l'hôpital.
Quelques jours plus tard, des gens sont venus nous voir à la maison pour nous annoncer que ma mère n'avait plus que quelques heures à vivre et qu'il fallait qu'on se dépêche d'aller la voir. Nous sommes allés à l'hôpital. Du sang sortait de sa bouche en continu. Les médecins pensaient qu'elle était atteinte de tuberculose, ils ne savaient pas que c'était à cause des radiations. Ils nous ont dit que cela se transmettait, surtout pour les enfants, donc ils nous ont obligés à nous éloigner d'elle.

« Mon père est venu à son tour à l'hôpital. Les médecins pensaient que grâce aux transfusions de sang, ils pourraient soigner les victimes, dont ma mère. Ils lui ont donné beaucoup de sang et son état s'est amélioré. Un jour, elle a pu remarcher. Sa santé était fragile mais elle est revenue vivre avec nous.
« Elle a vécu jusqu'à ses 50 ans. Mais les radiations l'avaient tellement affaibli qu'elle était plus encline que la normale à développer un cancer. Elle a commencé par avoir le cancer des poumons, puis cela s'est développé aux seins, puis dans le cou et jusqu'au cerveau. Elle avait beaucoup de mal à respirer. On n'avait pas de capsule d'oxygène pour lui en donner. Elle a fini par tomber dans le coma. Cela l'a soulagé, elle ne sentait plus la douleur. Trois autres personnes sont mortes le même jour qu'elle, des mêmes symptômes.
« Quand l'école a repris, il n'y avait plus de bâtiments. Nous sommes allés chercher du bois dans les ruines puis nous avons construit un abri pour pouvoir retourner à l'école. Mais à chaque fois que la pluie tombait, nous devions rentrer à la maison.

Peu à peu, les gens commençaient à revenir. Il y avait 4 classes, et nous étions 40 enfants par classe. Parmi les 40, 10 au moins avaient perdu père et mère à cause de l'explosion.
« Pendant quatre années, nous avons manqué des produits essentiels. Je ne sais pas comment ma mère continuait de me chercher des habits, des livres, des stylos alors que nous n'avions plus rien. Tous ceux qui vivaient dans le centre-ville ont été touchés. Les plus chanceux avaient le tiers de leurs corps entièrement brûlé. C'était le cas d'une amie de ma mère, qui travaillait à la poste. Elle avait survécu à l'explosion mais avait fini par mourir quelques années plus tard. Avant de décéder, elle m'avait montré ses brûlures. Sa jambe était de la taille de mon avant-bras. Elle n'avait pas de muscles, pas de graisse. Juste un peu de peau et des os. Son visage était complètement brûlé, il n'y avait qu'une petite partie de son corps qui était resté indemne. »

 

*À l'invitation du ministère nippon des Affaires étrangères.

 

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Et les vingt millions de morts que l'armée japonaise, dans sa conquête de l'Asie, opérant comme les armées hitleriennes dans leur conquête de l'Europe, a provoqué en Chine, en Mandchourie, aux Philippines.... Personne pour les pleurer ?

Saleh Issal

09 h 02, le 10 octobre 2016

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Commentaires (1)

  • Et les vingt millions de morts que l'armée japonaise, dans sa conquête de l'Asie, opérant comme les armées hitleriennes dans leur conquête de l'Europe, a provoqué en Chine, en Mandchourie, aux Philippines.... Personne pour les pleurer ?

    Saleh Issal

    09 h 02, le 10 octobre 2016

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