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Liban - Interview exclusive

Michaëlle Jean à « L’OLJ » : Le Liban est déjà dans ma vie

En visite officielle à Beyrouth, la secrétaire générale de l'organisation internationale de la Francophonie proposera aux Libanais l'initiative « Libres ensemble » pour montrer que les jeunes font partie de la solution face aux crises qui secouent le monde.

Photo Cyril_Bailleul/OIF

L'attente fut longue ce 30 novembre 2014, lors du XVe Sommet de la Francophonie à Dakar. L'amphithéâtre du CICAD (centre international de conférences Abdou Diouf) était plein à craquer. Tout le monde attendait avec impatience la déclaration finale, mais surtout l'annonce du nom du nouveau secrétaire général de l'OIF (Organisation internationale de la Francophonie), le successeur d'Abdou Diouf. Sur l'estrade, vide, un employé vient échanger le porte-nom sur lequel était écrit « Monsieur le secrétaire général » par un autre dont l'intitulé est « Madame la secrétaire générale ». Les chefs d'État et de gouvernement avaient désigné Michaëlle Jean, la première femme élue à ce poste.

Née à Port-au-Prince, en Haïti, elle fuit le régime dictatorial de François Duvalier avec ses parents pour aller au Canada. Elle éprouva ainsi l'émigration et la douleur du déracinement. De 1988 à 2005, Michaëlle Jean connaît une brillante carrière de journaliste et d'animatrice d'émissions d'informations, avant de devenir de septembre 2005 à septembre 2010 la 27e gouverneure générale du Canada.

De passage à Beyrouth, la secrétaire générale de l'OIF se livre à L'Orient-Le Jour, dans une interview exclusive :

 

Quel est tout d'abord le but de votre visite au Liban ?
Cette visite est très importante pour la Francophonie, pour l'OIF et pour moi-même personnellement. Il s'agit de mon premier déplacement non seulement au Liban mais aussi au Proche-Orient. Ce sera évidemment l'occasion de dire la place importante qu'occupe le Liban au sein de l'espace francophone, comme un acteur extrêmement dynamique.
Il m'importe donc d'apporter un coup de projecteur important sur les réalités libanaises, sur les défis auxquels le Liban est confronté et comment ce pays tente de manière très volontaire et active d'affronter ces problèmes qui ont une dimension internationale, notamment celle des réfugiés ; il m'importe aussi d'insister sur la force et le dynamisme des acteurs économiques libanais dont les femmes entrepreneures ; de montrer enfin combien le Liban est porteur d'une approche très singulière de la culture pour faire rayonner la Francophonie.
Dans ce contexte, j'aurais une grande annonce à faire : la tenue à Beyrouth des « Trophées francophones du cinéma » dont l'OIF est partenaire.

 

Ayant fui vous-même avec vos parents Haïti sous la dictature, que ressentez-vous face à la crise des migrants ? Avez-vous par ailleurs des projets particuliers lors de votre visite au Liban concernant les réfugiés ?
Je reviens tout droit de New York où un large pan des travaux qui ont accompagné l'Assemblée générale de l'Onu était consacré à la crise migratoire. Lorsqu'on évoque ce sujet, pour moi il ne s'agit pas de statistiques. Je suis passée par là. C'est un chapitre important de ma vie. J'ai vécu cet arrachement au pays natal, forcé par les circonstances, notamment un régime dictatorial et une répression redoutable. J'ai fait partie de ces milliers de familles qui ont quitté Haïti pour trouver refuge ailleurs. C'était une question de vie ou de mort. Et nous avons finalement trouvé refuge au Canada. Je sais la douleur que cela représente et le fait de se retrouver dans une situation de grande vulnérabilité et fragilité lorsqu'on traverse une telle épreuve. Je comprends comment une vie peut basculer et combien il faut pour reconstruire à partir de zéro.
Actuellement, le Liban se trouve aux premières loges face à cette crise mondiale. Vous avez sur votre sol des millions de réfugiés, notamment les réfugiés palestiniens ou irakiens et aujourd'hui les réfugiés syriens en très grand nombre.
J'ai envie de montrer comment le Liban, dont on parle trop peu, essaie de relever ce défi en y investissant beaucoup de ressources. C'est notamment le cas concernant l'éducation de jeunes Syriens.
Je prendrais le temps de me rendre dans une école publique accueillant des enfants réfugiés syriens. L'OIF veut pouvoir discuter de la possibilité d'arriver à un accompagnement pour consolider les efforts investis par le Liban en partageant avec lui des outils pour une approche pédagogique ajustée aux besoins spécifiques de ces jeunes réfugiés.

 

(Pour mémoire : Sommet de la francophonie : le Liban obtient 3 amendements majeurs à la résolution de Dakar)

 

Quel message apportez-vous par ailleurs aux jeunes Libanais ?
Mon témoignage est très personnel. Il faut savoir que le Liban est entré dans ma vie. Je viens à Beyrouth pour la première fois, mais le Liban est déjà dans ma vie. Et ce, depuis que j'étais à Haïti où il y avait déjà une importante communauté libanaise très dynamique. Et ce qui m'avait frappé dès cette époque, c'est la force d'intégration des Libanais qui étaient devenus haïtiens.
Et lorsque nous avons immigré au Canada, on a retrouvé également une population d'origine libanaise très importante, très influente et dynamique. Que ce soit à Montréal, à Ottawa ou à Toronto, il est par exemple impossible de prendre un taxi sans tomber sur un Libanais. Et évidemment vous allez immédiatement parler de la situation au Liban. Ce qui est très caractéristique de la diaspora libanaise, c'est qu'elle est constamment dans ce va-et-vient vers le pays natal. Il n'y a donc pas de rupture avec le Liban. Qu'il s'agisse de médecins, d'entrepreneurs, des professeurs, et même mon coiffeur... Les Libanais sont dans tous les secteurs au Canada.

 

Pour parler d'un autre sujet qui vous tient à cœur : les femmes. Les droits des femmes au Liban ne sont toujours pas au beau fixe : la femme n'a toujours pas le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants, les problèmes de violences conjugales sont récurrents, etc. Là aussi, allez-vous discuter de ces sujets ?
Il est prévu dans mon programme au Liban la visite d'un refuge pour femmes victimes de violences conjugales. Cela fait partie d'un chapitre important de ma vie. Pendant plus d'une dizaine d'années, je me suis investie dans le Mouvement des femmes au Québec et au Canada pour mettre en place un important réseau de refuges pour femmes victimes de violences conjugales.
Je serais très à l'écoute de ces femmes et de ce que ce centre représente et apporte comme ressources et soutiens à ces femmes.
Même lors de ma participation à la Conférence « Femme entrepreneure, femme innovante » organisée par l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), Berytech, L'Orient-Le Jour et Le Commerce du Levant le 28 septembre à l'Université Saint-Joseph, il sera certainement question aussi de la transmission de la nationalité et de la condition des femmes au Liban. À ce niveau-là, les femmes libanaises sont extrêmement dynamiques sur le plan économique. Elles ont un sens poussé de l'entrepreneuriat.

 

(Pour mémoire : Abdou Diouf à « L'OLJ » : La valeur économique de la langue française illustre son utilité)

 

Parlons d'un autre sujet chaud de l'actualité, le terrorisme. En mars, deux chercheurs américains McCants et Christopher Meserole de la Brookings Institution ont affirmé, dans un article intitulé « The French Connection », publié dans la revue « Foreign Affairs », que les valeurs politiques et culturelles françaises jouent paradoxalement un rôle-clé dans la radicalisation islamiste. Qu'en pensez-vous ?
Il est vrai que la menace terroriste frappe des pays de l'espace francophone. Mais nous ne sommes pas les seuls. C'est un problème mondial qui n'a rien à voir avec la langue ou autres valeurs reliées à la Francophonie. Il s'agit d'organisations criminelles qui essaient de prendre le contrôle de pays sur la route de leur trafic et qui essaient d'isoler ces pays. Cette route traverse l'espace francophone qui est un espace de solidarité, de coopération, de mise en commun, etc.
Quand je vois ces chercheurs s'élancer sur des pistes en parlant de « French Connection », moi je réponds : Foutaise. Je trouve même irresponsable d'inventer des propos pareils. On embrigade dans toutes les langues et partout. Il y a eu des attaques en France, en Belgique, en Tunisie, au Liban, mais il y a aussi les États-Unis, l'Irak, et ailleurs dans le monde.

 

Parallèlement, l'OIF vient de lancer l'opération numérique « Libres ensemble ». Il s'agit d'une campagne de lutte contre la radicalisation violente. Pouvez-vous aborder un peu plus cette initiative?
Les organisations criminelles essaient d'emmener sur un terrain extrêmement dangereux des jeunes qui sont dans des situations de vulnérabilité, et qui sont en quête de réponses.
Dans cette mobilisation qui se doit mondiale, la Francophonie ne peut pas baisser les bras. D'où l'initiative « Libres ensemble » qui est là pour montrer que les jeunes font partie de la solution. Ces jeunes dans l'espace francophone sont en train de mettre en relief, à travers cette plate-forme que nous avons créée pour leur donner la parole, leur force dans la défense des valeurs fondamentales qui nous lient, dont la plus essentielle est celle du vivre libres ensemble.
Il est formidable de voir comment les jeunes de l'espace francophone ont répondu tout de suite à cet appel pour dire combien pour eux vivre libres ensemble, s'associer, renforcer leurs liens, créer, inventer ensemble est important, dans un esprit de fraternité et de solidarité, et dans le respect de la richesse de la diversité de culture.
Très vite, en quelques semaines, on a touché, en français, plus de 2 millions d'internautes. Cette campagne est en train de prendre vie également sur le terrain.
C'est avec cette initiative que nous venons au Liban qui peut jouer un rôle très intéressant dans la région du Proche-Orient.

 

Malgré l'enthousiasme des jeunes à travers le monde, les institutions internationales ne font plus rêver (UE), ou elles sont de moins en moins efficaces (Onu). Quelle est, selon vous, la place de l'OIF? À quoi sert aujourd'hui la Francophonie ?
Pour rendre justice aux organisations internationales, il faut dire qu'elles font face à des défis de taille. Néanmoins, l'espace multilatéral reste d'une importance capitale. Aujourd'hui, aucun pays ne peut s'en sortir seul.
Par contre, l'intensification des défis pose la question de la capacité de réaction des organisations internationales. Il est vrai que nous portons parfois une certaine lourdeur bureaucratique, mais le plus grand défi pour nous est de travailler sur l'efficacité de nos actions au plus près des populations et du terrain. Nous ne pourrons y arriver que si nous travaillons d'un commun accord.
À l'OIF, nous travaillons de manière plus concertée sur les actions que nous devons mener ensemble face à des crises politiques et des tensions énormes.
L'OIF, avec l'UA (Union africaine) et avec l'UE, est à pied d'œuvre sur tous les sujets chauds aujourd'hui, qu'il s'agisse du terrorisme, des réfugiés, du réchauffement climatique, etc.
Nous sommes présents sur les cinq continents. Plus de 80 pays. Nous avons donc cette capacité de mobilisation et de rassembler qu'il ne faut pas sous-estimer comme espace de pratique, de proposition, d'expérience et de solution.

 

 

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