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Culture - Exposition

Lamia Abillama, une justicière contre le pourrissement de la société

Une installation vidéaste et une cinquantaine de photographies en couleurs, captées par l'œil de la caméra de Lamia Maria Abillama à la galerie Tanit. Pour un cri de révolte, un poing levé, par des femmes en treillis, contre un état sociétal en totale dégradation et décrépitude. Plaidoirie, réquisitoire, critique acerbe et procès, pour une réalité contradictoire, à travers une scénographie particulière et un art percutant.

L’une des oeuvres de Lamia Maria Abillama exposée en ce moment à la galerie Tanit. Photo DR

Des cheveux annelés en bataille, déjà légèrement sel et poivre, pour un front large et haut. Petite boule de nerfs qui ne tient pas en place et au bagout intarissable, Lamia Maria Abillama a un regard à rayons X. Un regard « scanner ».
« Intuitive et méticuleuse », c'est ainsi que se définit cette avocate, qui sans jeter sa robe noire aux orties, s'est prise de passion violente et dévorante pour la photographie, au hasard des circonstances de la vie. « Photographier, c'est démasquer », lance-t-elle en toute spontanéité pour cette expo qui « était dans ses tripes », confesse-t-elle sans ambages, elle qui se veut « justicière du jour et de la nuit, tel Charles Bronson... ».
Pour cette amazone de la caméra (indéfectiblement fidèle à son Hasselblad), pour cette portraitiste de l'environnement qui traque en toute impavidité de chasseresse chevronnée l'image choc, il s'agit, d'abord et toujours, de dénoncer, déterrer, débusquer, dévoiler. Sans nul doute, Lamia Maria Abillama –
sous ses allures véhémentes et agitées, par-delà technique et sens plasticien aigus – est une grande amoureuse de la vérité toute nue et crue.
Pour son parcours, déjà glorieux, de New York au Texas en passant par Paris et Anvers (et cela est loin d'être un itinéraire exhaustif), à titre de simples repères référentiels, on cite son coup d'œil bistouri et sa touche griffue pour les magnats de l'immobilier américain. N'en déplaise aux chichiteux, Donald Trump en tête de liste, suivi de près des Fisher, les rois de Park Avenue... Ajoutez à cela sa présence et son travail au top, dans les plus prestigieux magazines américains tels le New Yorker, le New York Times et Fortune Magazine... Sans oublier qu'elle est considérée, par les gens du métier, comme l'une des dix meilleures photographes au monde...
Trêve de présentation pour cette carte de visite en préambule, et rentrons dans le vif du sujet, dans cet espace habité de toutes les dénonciations, entre esprit du mal et indifférence. Deux pôles qui avalent, bâillonnent et anesthésient toute la « déglingue » d'un système social et politique plus que douteux et branlant.
À la galerie Tanit, au cœur de la grande salle vide, éclairée par les spots sur les cimaises, hormis les photographies, un écran où se projettent et se déroulent toutes les horreurs d'un pays en déliquescence, livré carrément au carnage, à la putréfaction et à la débandade. Images insoutenables de brutalités conjugales meurtrières, de femmes battues, égorgées, défenestrées, brûlées vives... Des talus et des montagnes d'immondices putrides, plus grands que des vergers dévastés par le soleil ou la pluie, des visages d'immigrants rongés par la lèpre de la misère, des enfants qui n'ont plus rien de l'enfance tant leur détresse est insondable. Et la litanie de l'inacceptable – et qu'on accepte dans des soupirs de damnés de la terre – est infinie. Plus qu'une résignation, un véritable crime organisé !
En face, les 50 photographies (allant de 70 cm x 70 cm à 1 m x 1 m), une galerie de personnages féminins, comme dans une loge. Elles regardent, sur cette pellicule effarante, un spectacle indigne, apanage d'un Néron des caniveaux. Ces femmes, la plupart de la haute bourgeoisie et d'autres qui ont le visage de quelques hères rabougries. Étonnants personnages dans ce contexte, ces décors, ces attitudes, ces poses... Des femmes, dans des intérieurs libanais cossus ou de bouis-bouis, à contre-emploi, car vêtues du treillis soldatesque, symbole de la masculinité, de la vigueur, de la force, du pouvoir, de la défense et de l'équité.

 

Secret de polichinelle
Sans être une narration romanesque à clef, sans une théâtralité travestie ou voilée, ce sont des femmes qu'au Liban on reconnaît d'emblée. Avec la réserve que pour un public étranger, peut-être et sans nul doute, ce sont des obscures inconnues. Femmes du monde donc, figures de proue de la société beyrouthine ou libanaise tout court. Des femmes « glamour » qui sentent le parfum, le froufrou des maisons haute couture, les œuvres caritatives, les informations médiatiques haut de gamme, la culture, les soirées mondaines à grand fracas de champagne et de diamants au cou et aux doigts... Mais l'artiste les veut scrupuleusement dans l'anonymat. Un peu secret de polichinelle tant la plupart sont parfaitement identifiables. Inutile de révéler leurs noms. On n'est pas chez Proust pour une soirée Guermantes.
Ces dames connues pour leur rire, leur chatouilleuse féminité, leur beauté, leur activisme, leur sens des affaires, leur courage à dire certaines réalités sont croquées ici dans un musée de cire où l'heure est d'une extrême gravité. Effondrées, pétrifiées, tétanisées, effarées, muettes devant ces images qui passent en boucle sur l'écran, sous les yeux grands ouverts de ces grands-mères, ces épouses, ces mères, ces sœurs, ces jeunes filles, ces vieilles ridées comme des reinettes. Elles sont tout d'un coup, comme une étrange pâleur, le reflet de la misère et de la déchéance de leur pays...
Elles n'ont plus rien des oripeaux étincelants de leur autre visage, mondain ou sociétal. Entre ce jeu des apparences, ce travestissement théâtral et cette pellicule d'une répulsive réalité, où est la part d'innocence et de ponce pilatisme ? Quelle leçon tirer de tous ces actants, respirant le même oxygène sous un même ciel ?
Quelle part d'interactivité dans ce fouillis de vacarme des nantis, des démunis, de drames et de chaos ? La réponse est aussi épineuse, embarrassante et sans frontières nettes que la question...
Pour cerner le projet de cette expo dont le sous-bois remonte déjà à plusieurs années, l'artiste déclare : « Ces femmes, toutes solidaires, anonymes, servent une cause commune : celle de dénoncer un système défaillant, des institutions bafouées, des magouilles politiciennes et un État de droit de massacre. Elles sont (ou constituent) le dernier rempart contre l'effritement total des institutions. »
Mais alors, dans tout cela, par-delà toutes les considérations, les opinions et les jugements, par-delà le fait qu'une femme soit mère nourricière, gardienne des valeurs éducatives, porteuse de vie et d'espoir, par-delà le plaisir de cliquer sur le grain de peau satiné d'une femme, qu'est-ce qu'une bonne photo, celle qu'on dit captivante, réussie ?
Et Lamia Maria Abillama de donner la clef et le secret avec cette réponse lapidaire : « Celle dans laquelle on entre, pour ne plus en ressortir... »

L'exposition « Clashing Realities » de Lamia Maria Abillama à la galerie Tanit (Naila Kettaneh Kunig) à Mar Mikhaël se prolongera jusqu'au 5 novembre 2016.

 

 

Pour mémoire

Quand Karim parle de Myriam, Myriam de Lara, Lara de Lamia et Lamia de Karim...

Leurs « Excellences » dans le viseur de Lamia-Maria Abillama

Des cheveux annelés en bataille, déjà légèrement sel et poivre, pour un front large et haut. Petite boule de nerfs qui ne tient pas en place et au bagout intarissable, Lamia Maria Abillama a un regard à rayons X. Un regard « scanner ».« Intuitive et méticuleuse », c'est ainsi que se définit cette avocate, qui sans jeter sa robe noire aux orties, s'est prise de passion...

commentaires (1)

Bravo Lamia pour ta douce révolution en silence .

Sabbagha Antoine

09 h 48, le 17 septembre 2016

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Commentaires (1)

  • Bravo Lamia pour ta douce révolution en silence .

    Sabbagha Antoine

    09 h 48, le 17 septembre 2016

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